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>> compris que hors de Dieu il n'y a point de puis»sance véritable, et que toute efficace, quelque pe» tite qu'on la suppose, est quelque chose de divin » et d'infini. »

Je laisse à l'auteur à nous expliquer comment est-ce que les volontés créées sont libres, s'il est vrai que hors de Dieu il n'y a aucune véritable puissance. Peut-on concevoir la volonté avec son libre arbitre sous une autre idée que sous celle d'une puissance, qui n'étant vaincue par aucun des objets qui se présentent à elle, peut choisir parmi ces objets? N'est-ce pas même l'idée que l'auteur donne souvent de la liberté ? Encore une fois, ce n'est pas à moi à résoudre ici cette difficulté; c'est à l'auteur à nous faire entendre nettement comment est-ce qu'une volonté créée peut être une véritable puissance; comment est-ce que, sans être ni infinie ni divine, elle peut par sa propre détermination se rendre meilleure qu'elle n'étoit, et par conséquent produire réellement en elle par son propre choix un nouveau degré de perfection?

Si l'auteur revient à dire que toute volonté libre est une véritable puissance, mais qu'elle est prévenue et déterminée efficacement en toutes choses, comme le disent les Thomistes, par la volonté de Dieu; outre qu'il admet par-là, contre son principe, d'autres causes réelles que Dieu, d'ailleurs cette détermination efficace suppose évidemment que les causes occasionelles n'épargnent à Dieu aucune volonté particulière, puisqu'il ne veut les causes occasionelles qu'à cause des effets particuliers qu'il leur fait vouloir, et qu'ainsi il veut les effets particuliers plus qu'il ne veut les causes mêmes.

Mais supposons que l'auteur, contre ses propres paroles et ses principes fondamentaux, soutienne que la volonté angélique peut être la vraie cause de sa propre détermination, et que bien loin d'être prédéterminée par le concours, c'est elle qui le détermine: voyons s'il peut se sauver par-là. Dieu, lui demanderai-je, n'établissant les causes occasionelles que pour l'accomplissement de l'ordre, comment peut-il s'assurer que ces causes qu'il ne déterminera point, et qui se détermineront librement elles-mêmes, voudront précisément ce qu'il faut pour l'accomplissement de l'ordre? Je ne vous dis point maintenant qu'elles ne peuvent être libres pour faire ou ne faire pas ce que l'ordre, c'est-à-dire ce que l'essence absolue de Dieu demande; c'est une contradiction manifeste de votre systême, que j'ai déjà assez montrée ailleurs je me borne à vous dire ici que si Dieu laisse choisir ces causes libres, peut-être elles ne choisiront pas ce qu'il faut pour l'accomplissement de l'ordre, et qu'ainsi l'ordre sera renversé par l'inutilité de leur établissement. D'ailleurs voilà l'œuyre de Dieu mise au hasard; il ne faut plus parler de providence, si Dieu laisse l'accomplissement de l'ordre même à la discrétion des créatures libres, sans les diriger à aucune fin.

Dieu a prévu ce quelles voudront, répondra peutêtre quelqu'un, et il ne se détermine à les établir causes occasionelles qu'à cause qu'il prévoit qu'elles voudront ce qu'il faut pour la plus grande perfection de son ouvrage. S'il avoit prévu qu'elles devoient vouloir autrement, il ne les auroit pas créées, parce qu'il n'est pas de sa sagesse de créer ce qui ne

convient pas à l'ordre; il auroit mis en leur place d'autres natures intelligentes dont il auroit prévu que la volonté auroit désiré la perfection de son ouvrage; enfin il n'auroit jamais créé l'univers, s'il n'avoit prévu qu'il trouveroit dans ses créatures intelligentes des causes occasionelles qui voudroient précisément tout ce qu'il faudroit vouloir.

Mais cette réponse que l'auteur peut faire, outre qu'elle est manifestement indigne de Dieu, et capable de soulever tous les chrétiens, fait encore tomber en ruine tout son systême. Si Dieu a tellement voulu les effets qu'il a tirés des causes occasionelles qu'il ne les a établies qu'à cause qu'il a prévu qu'elles désireroient infailliblement ces effets, en sorte qu'il se seroit abstenu de créer l'univers plutôt que de ne tirer pas ces effets de ces causes occasionelles, n'estil pas évident que ces effets particuliers ont été la principale fin qu'il s'est proposée, et qu'il a voulu non les effets en conséquence de la volonté des causes occasionelles, mais les causes occasionelles ellesmêmes pour les effets qu'il a prétendu en tirer? Ces effets n'étant pas renfermés dans les lois générales, il s'ensuit, selon la définition de l'auteur, que Dieu n'a pu les vouloir que par des volontés particulières. Ainsi les causes occasionelles n'épargnant point à Dieu ces volontés particulières, il les a établies sans aucun fruit, et contre l'ordre de sa sagesse leur établissement même, comme nous l'avons vu, a coûté à Dieu beaucoup de volontés particulières sans aucune raison.

CHAPITRE XVIII.

Ce que l'auteur dit sur les volontés particulières détruit par ses conséquences toute providence de Dieu.

QUOIQUE nous ayons déjà remarqué que la providence est détruite, si Dieu laisse tout au gré des causes occasionelles, il faut encore développer davantage cette vérité. Qu'entendons-nous par le mot de providence? Ce n'est point seulement l'établissement des lois générales, ni des causes occasionelles; tout cela ne renferme que les règles communes que Dieu a mises dans son ouvrage en le créant. On ne dit point que c'est la providence qui tient la terre suspendue, qui règle le cours du soleil, et qui fait la variété des saisons; on regarde ces choses comme les effets constans et nécessaires des lois générales que Dieu a mises d'abord dans la nature: mais ce qu'on appelle providence, selon le langage des Ecritures, c'est un gouvernement continuel qui dirige à une fin les choses qui semblent fortuites (*).

La providence fait donc deux choses; quelquefois elle agit contre les règles générales, par des miracles; c'est ainsi qu'elle ouvrit la mer Rouge pour délivrer les Israélites. Quelquefois aussi, sans violer les lois générales, elle les accorde avec ses desseins parti

(*) La providence semble enfermer tout cela, mais plus particulièrement ce qui semble fortuit. Bossuet.

culiers; elle se sert des volontés des hommes auxquels elle inspire ce qu'il lui plaît, pour causer dans la matière même les mouvemens qui semblent fortuits, et qui ont rapport aux événemens que Dieu en veut tirer. Par exemple, il inspire à un prédestiné d'aller dans une rue où une tuile mal attachée tombant sur sa tête, il mourra avec la persévérance finale. C'est encore ainsi que les frères de Joseph le vendent, et qu'il est esclave en Egypte, pour y être bientôt après élevé à une autorité suprême. C'est ainsi qu'Alexandre conçoit le dessein ambitieux de conquérir l'Asie : par-là il doit accomplir la prophétie de Daniel. Si on examine ainsi toutes les révolutions des grands empires, on verra (et c'est le plus grand spectacle qui puisse soutenir notre foi) que la providence les a élevés ou abattus pour préparer les voies au Messie et pour établir son règne sans fin (). Non-seulement ces grands événemens prédits par le Saint-Esprit sont attribués à la providence, mais encore on croit que par cette combinaison, elle dispose, selon ses desseins, de tout ce qui arrive aux hommes dans le cours de la vie, et qu'elle se cache sous un certain enchaînement de causes naturelles. On croit que c'est Dieu qui envoie les biens et les maux temporels ; qu'il se sert de notre sagesse et de notre imprudence pour nous donner tantôt ce qui nous console, tantôt ce qui nous humilie. Si c'est une erreur vulgaire, c'est une erreur que l'Ecriture, que toute la tradition des saints pères nous ont enseignée, et que la piété a enracinée dans tous les cœurs.

(1) Voy. Disc. sur l'Hist. univ. 2° part. OEuv. de Bossuet, tom. xxxv.

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