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CHAPITRE XXIII.

Le péché d'Adam seroit nécessaire à l'essence divine, si ce système étoit véritable.

Le titre de ce chapitre ne peut être vrai, me dira-t-on; car l'auteur dit que Dieu a été libre de faire le monde ou de ne le faire pas; en ne le faisant pas, il eût évité le péché d'Adam. Il est vrai que l'auteur dit que Dieu pouvoit s'abstenir de créer le monde; mais il n'est pas moins vrai que j'ai déjà prouvé clairement qu'il ne peut le dire. Supposé que Dieu, comme il le soutient, soit toujours invinciblement déterminé par l'ordre à ce qui est le plus parfait, est-il aussi parfait de ne rien faire, que de faire un ouvrage d'une perfection infinie? Le monde, infiniment parfait de la perfection de Dieu même par Jésus-Christ, étant mis dans une balance, oseroit-on mettre dans l'autre le néant d'où Dieu a tiré le monde? Le monde tel qu'il est étoit donc nécessaire à l'ordre; et le péché d'Adam, bien loin d'être contraire à l'ordre, étoit essentiellement demandé par T'ordre pour l'accomplissement de son œuvre. Si le péché d'Adam a été nécessaire à l'ordre, il l'a été à l'essence divine, qui est l'ordre même.

C'est un sophisme, dira l'auteur. L'ordre ne demande point le péché d'Adam; mais il en tire la plus grande perfection de son ouvrage. Tous les théologiens ne disent-ils pas que ce péché est entré dans les desseins de Dieu pour sa gloire? Il n'a fait

que le permettre. D'ailleurs, ce péché n'ayant rien de positif, il ne peut être l'ouvrage de la volonté de Dieu.

Premièrement, je réponds que c'est en cela que consiste la contradiction dans la doctrine de l'auteur, en ce que d'un côté Dieu ne peut pas vouloir le péché, et que de l'autre, il est essentiel à l'ordre, qui est Dieu même. Au reste une négation peut en sa manière être essentielle à une chose positive. N'avons-nous pas montré qu'il est essentiel à toute créature d'avoir des bornes (*)? Tout de même, je dis que, selon les principes de l'auteur, il est essentiel à l'ordre, qui est Dieu même, qu'il accomplisse le plus parfait ouvrage, et par conséquent qu'Adam ait péché.

Secondement, je n'ai pas besoin d'entrer dans la difficulté, qui est commune à tous les théologiens, sur la permission du péché. Il me suffit que ceux qui sont allés plus loin en cette matière se sont contentés de dire que Dieu a bien voulu renfermer dans son plan général la permission du péché du premier homme, en vue de la rédemption opérée par le nouveau. Ainsi, ces théologiens n'admettent en Dieu qu'une volonté libre pour laisser tomber Adam, et pour faire servir sa chute au plus glorieux de tous ses ouvrages.

Mais l'auteur ne peut éviter de dire que le péché étoit attaché à l'ordre qui est l'essence divine, puisque, selon ce principe, que je viens de développer, ni l'ordre ne pouvoit étre sans l'incarnation, ni l'incarnation sans cette chute (**). On voit par-là deux (*) Ce qui précède, depuis je réponds, est de Bossuet. — (**) Bossuet,

choses, qui sont le comble des absurdités. L'une, que le péché d'Adam, ni tous ceux de sa postérité qui en ont été les suites, et qui ont attiré le réparateur, n'ont pu être commis librement. Ce que Dieu permet par une volonté libre peut arriver ou n'arriver pas; car il y a véritablement une possibilité dans les choses contraires à celles qui ne sont futures que par un décret libre de Dieu; mais pour les choses qui sont contraires à l'essence immuable de Dieu, qui est la raison absolue de toutes choses, elles n'ont aucune sorte de possibilité: puisqu'elles sont absolument impossibles, nulle créature ne peut être libre de les faire. Telle étoit, selon ce systême, la persévérance d'Adam et de sa postérité dans le bien : elle étoit contraire à l'ordre, qui est l'essence divine donc elle étoit absolument impossible; donc Adam et ses enfans n'ont eu aucune liberté à cet égard.

:

La seconde conséquence que je tire du principe de l'auteur, c'est que Dieu ne pouvant être infiniment sage et parfait, comme je l'ai montré, qu'en faisant le plus parfait ouvrage, et cet ouvrage ne pouvant s'accomplir sans le péché d'Adam, Dieu ne pouvoit être infiniment sage et parfait, en un mot, il ne pouvoit être Dieu sans ce péché.

Si l'auteur dit qu'Adam étoit libre de ne pécher pas, et qu'en cas qu'il n'eût point péché, l'ordre se seroit contenté de l'ouvrage le plus parfait d'entre ceux qui auroient été possibles en ce cas, c'est-àdire, qu'il se seroit borné à unir le Verbe à une chair impassible; je lui demande si l'ouvrage de Dieu, joint au Verbe incarné dans une chair im

pass ble, auroit été infiniment parfait ou non. Il n'oseroit dire qu'il n'auroit pas été infiniment parfait. Cependant, il ne peut éviter de dire qu'il est encore plus parfait selon le dessein du Verbe incarné dans une chair souffrante; car autrement Dieu auroit fait souffrir Jésus-Christ sans raison, c'est-à-dire sans tirer de sa mort aucun degré de perfection pour son ouvrage. Voilà deux desseins infiniment parfaits, dont l'un est pourtant plus parfait que l'autre. Il est aisé de voir l'absurdité grossière de cette doctrine; mais je me réserve de la développer entièrement dans la suite. Cependant voici à quoi je me borne, dans ce chapitre, contre l'auteur.

Quel est donc, lui répondrai-je, cet ordre immuable qui ôte à Dieu toute liberté, et qui le met, pour ses desseins, à la merci de la liberté de ses créatures? Quel est cet ordre qui ne peut rien régler que conditionnellement, et qui est subordonné au choix de l'homme? Quel est cet ordre que l'homme, quand il lui plaît, peut frustrer de l'ouvrage le plus parfait auquel il aspire, et le borner à un moins parfait. Mais enfin, quand même nous supposerions que la volonté libre d'Adam auroit pu, en ne péchant pas, frustrer l'ordre de l'accomplissement du plus parfait dessein', il faudroit toujours que l'auteur avouât que, selon lui, l'ordre, c'est-à-dire l'essence divine qui tend toujours au plus parfait, tendoit nécessairement au dessein dans lequel le péché d'Adam étoit essentiel, et qu'il n'y avoit que la volonté humaine qui pût l'empêcher. Ainsi, suivant cette réponse, l'essence divine exigeoit le péché d'Adam autant qu'elle le pouvoit, en exigeant le choix du

dessein le plus parfait où il étoit renfermé; et il n'y avoit que la volonté d'Adam qui fût libre de le rejeter.

CHAPITRE XXIV.

Ce systéme engage à confondre le Verbe divin avec l'ouvrage de Dieu.

L'AUTEUR veut que le monde soit inséparable du Verbe divin, qui s'est uni à la chair humaine (*). Il a voulu en composer un tout indivisible, et représenter par-là l'ouvrage de Dieu infiniment parfait. Mais, pour lui montrer que l'ouvrage de Dieu n'est point par-là infiniment parfait, ni même élevé au plus haut degré de perfection possible, il faut lui prouver que le Verbe divin ne doit pas être confondu avec l'ouvrage de Dieu. Il est vrai que la personne de Jésus-Christ est infiniment parfaite; car c'est une Personne divine. Il est vrai encore que le tout où l'humanité est comprise, est infiniment parfait par la divinité qui s'y trouve : mais, après tout, la personne de Jésus-Christ, en tant qu'infinie en perfection, c'est-à-dire, en tant que divine, n'est point l'ouvrage de Dieu; car en ce sens elle est Dieu même. Le tout n'est infiniment parfait que par une de ses parties, qui est le Verbe ; et il n'est l'ouvrage de Dieu que par l'autre partie, qui est l'humanité et l'union hypostatique.

Vous ne pouvez nier, me dira quelqu'un, que le (*) Ce chapitre est d'une grande subtilité et fort abstrait. Bossuet.

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