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il est faux que Dieu ait choisi, parmi plusieurs desseins possibles, le plus parfait pour faire son ouvrage. Dieu n'a pu voir comme possible que ce qui l'étoit véritablement. Il n'y avoit de possible que ce que l'ordre immuable et nécessaire permettoit; il n'y avoit de possible que ce que Dieu étoit capable de vouloir, et il n'étoit capable de vouloir que ce qui étoit conforme à l'ordre, parce qu'il aime l'ordre d'un amour substantiel et nécessaire. Dieu ne pouvoit donc rien voir de possible au-dessous du plus parfait.

Si l'auteur dit, avec quelques Scolastiques, que les créatures ont une possibilité objective hors de Dieu, du moins il avouera que cette possibilité est dépendante de la puissance divine; en sorte que ce que Dieu n'a aucune puissance de produire, n'a au. cune possibilité objective: or il est manifeste, selon lui, que Dieu n'a aucune puissance de produire le moins parfait : donc le moins parfait n'a aucune possibilité objective.

Si l'auteur prétend que Dieu a quelque puissance de produire le moins parfait, je n'ai qu'à lui demander en quel sens Dieu a la puissance de violer l'ordre, qui est sa sagesse, sa perfection, son essence même. Peut-on dire que Dieu a la puissance de n'engendrer plus son Verbe, ou de pécher? Non, sans doute; car il produit son Verbe par une action substantielle et nécessaire; et s'il pouvoit pécher, il cesseroit d'être infiniment sage et parfait. N'est-il pas, selon l'auteur, dans une impuissance aussi absolue de produire l'ouvrage le moins parfait ? N'est-il pas yrai qu'il le rejette, y étant déterminé par l'ordre,

qu'il aime d'un amour substantiel et nécessaire? N'est-il pas vrai qu'il ne pourroit violer cet ordre sans cesser d'être infiniment sage et parfait, sans cesser d'être Dieu? Enfin n'est-il pas manifeste qu'il n'a aucune puissance de produire les choses qu'il est incapable de vouloir, puisque, selon l'auteur, il n'a point d'autre puissance que sa volonté?

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Nous ne pouvons douter que Dieu n'ait fait un ouvrage s'il n'a pu faire que le plus parfait, le monde, pris dans son tout, est non-seulement l'ouvrage le plus parfait, mais l'unique que Dieu puisse produire; car s'il pouvoit encore y ajouter quelque perfection, l'ouvrage qu'il a produit ne seroit pas plus parfait. Reste donc qu'il n'y a rien de possible au-delà de ce que Dieu a fait. C'est donc une pure illusion de dire, comme fait l'auteur, que « la sa» gesse du Verbe, remplie d'amour pour celui dont » elle reçoit l'être par une génération éternelle et » ineffable,.... lui représente une infinité de desseins » pour le temple qu'il veut élever à sa gloire, et en » même temps toutes les manières possibles de l'exé

» cuter. »

Cette infinité de desseins se réduit à un seul; car on ne peut choisir parmi des desseins impossibles. Quand il ne m'est possible de faire qu'une seule chose, et par une seule voie, je n'ai point à choisir; et je me tromperois, si je me représentais en cet état plusieurs desseins, et plusieurs manières de former mon ouvrage. Dieu, selon l'auteur, étoit déterminé par sa propre sagesse, par sa propre essence infiniment parfaite, à ne pouvoir produire que l'ouvrage le plus parfait et par la voie la plus simple. Tout

étoit donc unique, et le dessein de l'ouvrage, et la voie de l'accomplir. Que l'auteur n'espère donc plus de nous éblouir, en disant que Dieu a choisi le plus. parfait dessein parmi tous ceux qui étoient possibles. Qu'il dise au contraire, de bonne foi, que Dieu n'avoit qu'une seule chose à faire, qu'il l'a faite, et qu'il s'est épuisé.

CHAPITRE IV.

Réponse à une objection que l'auteur pourroit faire.

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L'AUTEUR Voudra peut-être m'arrêter ici, en disant que l'ordre rejette seulement le moins parfait, parce qu'il est indigne de la sagesse divine de préférer le moins parfait au plus parfait. Mais parmi plusieurs desseins d'une égale perfection, dira-t-il, Dieu est libre de choisir comme il lui plaît: il a vu beaucoup d'autres mondes possibles aussi parfaits que celui qu'il a créé, il en a choisi un, et l'ordre n'a pu le gêner dans ce choix, parce que l'ordre n'avoit rien de meilleur à lui proposer.

A cela je réponds qu'il s'ensuivroit que Dieu auroit choisi parmi tous les mondes possibles, sans consulter l'ordre, et sans être déterminé par lui. L'ordre n'auroit pu lui fournir aucune raison de préférence pour aucun de ces mondes que nous sup posons tous entièrement égaux, et qui ne sont possibles que par leur parfaite égalité : ainsi, pour parler le langage de l'auteur, il faudroit dire que Dieu, dans le plus grand, ou pour mieux dire dans

l'unique choix qu'il ait jamais fait, s'est déterminé sans raison. Les plus magnifiques expressions de l'auteur n'auroient qu'un sens absurde, son grand principe seroit renversé; il ne faudroit plus dire, comme il le fait si souvent: Dieu choisit toujours le plus parfait il est indigne de la sagesse de faire autrement. Pour parler sérieusement, il faudroit dire au contraire Dieu ne choisit jamais le plus parfait; car il ne choisit qu'entre les desseins possibles, et tous les desseins possibles sont également parfaits, puisque tout dessein qu'on pourroit se représenter au-dessous de la plus haute perfection est absolument impossible, étant contraire à l'ordre.

Il faut aller plus loin. Quand l'auteur supposera divers desseins d'une égale perfection entre lesquels Dieu a choisi librement, il faudra qu'il dise que chacun d'eux aura certaines perfections qui manqueront aux autres, et qu'ainsi, par une espèce de compensation, ils sont tous également parfaits, quoiqu'en divers genres, ou bien qu'ils sont tous dans la plénitude de la perfection. S'ils sont tous dans la plénitude de la perfection, ce ne sont plus divers desseins; ils sont semblables les uns aux autres en tout, et ils sont tous la divinité même; car il n'y a qu'elle à qui la plénitude de la perfection puisse convenir. Si au contraire chacun d'eux, demeurant dans les bornes de l'être créé, n'a qu'une perfection limitée, et manque de quelque perfection, voici ce qui me reste à demander.

Chacun de ces desseins possibles manquant de certaines perfections qui sont dans les autres, qui

est-ce qui osera dire que la toute-puissance de Dieu ne puisse ajouter à un de ces desseins en particulier quelqu'une des perfections qui sont renfermées dans les autres desseins? D'un côté, voilà des perfections réelles qui manquent à ce dessein particulier; de l'autre, voilà une puissance qui n'est point appelée infinie en vain pourquoi ces perfections, qui sont possibles ailleurs, ne sont-elles pas possibles dans ce dessein particulier?

Si l'auteur dit que chacun de ces desseins égaux est d'une perfection infinie; outre que je lui démontrerai le contraire dans la suite, de plus ce n'est rien dire selon lui; car il a annoncé qu'il y a des infinis inégaux ; ainsi un dessein infiniment parfait pourroit augmenter en perfection.

:

Qu'est-ce donc qui arrêtera la toute-puissance de Dieu à un degré précis de perfection, soit finie, soit infinie, au-delà duquel elle ne puisse plus rien, quelque dessein qu'elle choisisse? Qui a donné l'autorité à un philosophe de la borner ainsi?

Il dira peut-être que c'est la simplicité des voies de Dieu qui l'empêche d'ajouter à un de ses desseins les perfections qui sont dans les autres. Qu'entend-il par la simplicité des voies de Dieu? Est-ce une action si mesurée qu'elle ne fasse rien d'inutile? Mais oseroit-on dire que ce seroit une chose inutile à Dieu, dans la production de son ouvrage, que d'en augmenter la perfection? Ainsi soutenir que Dieu n'a pas donné toutes les perfections possibles à son ouvrage, pour ne blesser pas la simplicité de ses voies, qui est le retranchement de toute volonté et de toute action inutile, ce seroit dire qu'il n'a pas mis dans

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