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comme il lui plaît, sans blesser sa liberté, il seroit évident qu'il ne voudroit pas sauver tous les hommes, puisque pouvant leur faire mériter à tous le royaume du ciel par sa seule volonté, il ne lui plairoit pas de

le faire.

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Mais n'avons-nous pas vu que l'auteur, en voulant lever cette difficulté, la laisse toute entière, et en ajoute beaucoup d'autres? Il ruine la prédestination des saints, comme nous l'avons prouvé ; et en même temps il suppose que l'ordre ne permet pas le salut de tous les hommes: il met Dieu dans une absolue impuissance de sauver les hommes par aucune autre voie que par celle d'un médiateur, qui n'en pourra sauver qu'un petit nombre : n'est-ce pas ramasser dans un seul systême toutes les erreurs les plus odieuses des opinions les plus opposées et les plus excessives?

il

Que l'auteur écoute saint Augustin sur l'opération de la grâce dans le fond des cœurs : voici comment il parle d'Assuérus quand Esther se présenta à lui (1) : « Dieu le changea et tourna son indignation en dou» ceur. Il est écrit dans les Proverbes de Salomon: » Le cœur du Roi est dans les mains de Dieu » comme un ruisseau qui tombe impétueusement ; » le tourne comme il lui plaít..... Il est évident que >> Dieu opère dans les cœurs des hommes pour incli» ner leurs volontés de toutes les manières qu'il lui » plaît. » Encore comment saint Augustin prétend-il que Dieu opère intérieurement pour tourner les volontés? Prenez garde à une chose très-remarquable: c'est

(1) De Grat. et lib. Arbit. cap. xxi, n. 42 : tom. x.

qu'en aucun de ses livres, il ne s'est jamais mis en peine de chercher d'autre raison que le domaine souverain de Dieu sur les volontés, lesquelles, en qualité de volontés libres, ne sont pas moins ses créatures dépendantes de lui, que tout le reste de ses ouvrages. La volonté humaine, selon lui, est tellement libre, qu'encore qu'il soit «< en la puissance de » celui qui veut ou ne veut pas, de vouloir ou de ne » vouloir pas, il ne peut néanmoins ni empêcher la » volonté de Dieu, ni surpasser sa puissance (1). » Si vous demandez à saint Augustin comment ce souverain domaine de Dieu peut s'exercer sur les volontés, sans blesser leur liberté, il vous répondra « qu'il ne fait » toutes ces choses que par les volontés des hommes » mêmes, ayant sans doute sur les cœurs humains, » pour les tourner comme il lui plaît, une puissance » toute puissante (2). » Par-là, saint Augustin surmonte la difficulté dont il est impossible que l'auteur sorte pour savoir comment est-ce que Dieu peut prévoir la détermination de la volonté libre. L'auteur avoue que Dieu ne peut connoître que ce qu'il fait, parce qu'aucun objet hors de lui ne peut l'éclairer; et cependant il est obligé de dire que Dieu prévoit le choix que la volonté humaine fera en elle-même par elle-même, après que la grâce l'aura mise dans l'équilibre ; c'est en quoi il se contredit manifestement. Pour saint Augustin, il tranche nettement la difficulté en disant (3) c'est dans » la prédestination faite avant la création du monde

que «<

(1) De Corrept. et Grat: cap. xiv, n. 45. — (2) Ibid. dest. Sanct. cap. xvi, n. 34.

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>> que Dieu prévoit ce qu'il opérera lui-même. Ils » sont ensuite choisis, dit-il, du milieu du monde, >> par cette vocation dans laquelle Dieu accomplit » ce qu'il a prédestiné. » Ainsi, vous le voyez, que, selon saint Augustin, Dieu voit les déterminations futures de la volonté humaine dans son décret, dans l'opération par laquelle il lui fera vouloir ce qu'il a résolu. Que si vous voulez aller encore plus loin, si vous dites que Dieu peut bien nous faire vouloir ce qu'il veut, mais que, s'il use d'une grâce trop puissante, alors la volonté humaine agit sans liberté et sans mérite, saint Augustin vous répondra que JésusChrist << en priant pour Pierre, afin que sa foi ne manquât point, n'a demandé autre chose pour lui, >> sinon qu'il eût dans la foi une très-libre, une très» forte, très-invincible et très - persévérante vo» lonté (1) : » D'où il s'ensuit que Dieu, non-seulement donne toutes les volontés qu'il lui plaît, mais que, bien loin d'en détruire la liberté, il les donne très-libres et très-méritoires. Enfin, si vous ne pouvez pas encore concevoir comment est-ce que le Tout-puissant peut mouvoir et incliner les volontés libres; comment est-ce que le Créateur, qui nous a donné de vouloir librement, nous donne encore de vouloir librement tout ce qu'il lui plaît; écoutez saint Augustin, qui, après avoir senti autant que vous votre difficulté, l'a surmontée. Voici comme il parle sur l'élection de David, à laquelle Dieu disposa les peuples (2): « Est-ce qu'il les tenoit par des liens (2) Ibid. cap. XIV,

(1) De Corrept. et Grat. cap. VIII, a. 17. n. 45.

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> corporels ?

» corporels? Il agit intérieurement, il tient les cœurs; » il remua les cœurs, et il les attira par leurs propres >> volontés qu'il avoit lui-même opérées en eux. » Etesvous étonné que Dieu nous mène par une puissance souveraine, et qu'il nous mène néanmoins librement? Remarquez que c'est par nos propres volontés parfaitement libres qu'il nous mène, et qu'il les opère en nous, parce que notre liberté et son exercice ne viennent pas moins de lui, que tout le reste de ses ouvrages. Enfin, si vous n'avez pas encore compris ce droit du Créateur sur sa créature, qui, pour être libre, n'en est pas moins sa créature, écoutez saint Augustin qui nous dit (1): « Dieu tient bien plus en » sa puissance les volontés des hommes, que les vo» lontés des hommes ne sont en leur propre puissance. » Voilà, dit ce Père (2), comment il faut défendre la » liberté de la volonté selon la grâce et non contre » la grâce; car la volonté humaine n'acquiert point » par la liberté la grâce, mais par la grâce la liberté, » la délectation perpétuelle, et la force invincible » pour persévérer. »

Après que nous avons ainsi confessé, par la bouche de saint Augustin même, la vérité du dogme catholique pour la louange et pour la gloire de la gráce, que l'auteur ne vienne donc plus nous demander pourquoi tant d'hommes périssent, puisque Dieu, qui veut les sauver tous, leur pourroit faire vouloir, sans blesser leur liberté, tout ce qu'il lui plaît. Nous répondrons comme saint Augustin ré(1) De Corrept. et Grat. cap. XIV, n. 45. (2) Ibid. cap. VIII,

n. 17.

FÉNÉLON. IIk.

18

pondoit aux Semi-Pélagiens (1) qui lui demandoient « pourquoi Dieu ne donne pas la persévérance à >> certains hommes à qui il a donné son amour pour » vivre chrétiennement pendant quelques années. » Je vous réponds que je l'ignore; car ce n'est point » avec arrogance, mais en connoissant la courte me» sure de mon esprit, que j'entends l'apôtre qui dit : » O homme, qui êtes-vous pour répondre à Dieu? » et qui s'écrie: O profondeur des richesses de la » sagesse et de la science de Dieu; que ses jugemens » sont incompréhensibles, et ses voies impénétra»bles!» Entreprenez donc, dirai-je à l'auteur, si vous le voulez, de sonder le fond de cet abîme des jugemens divins; cherchez, si vous l'osez, à découvrir ces voies impénétrables; j'aime mieux dire avec saint Augustin: J'ignore; et m'écrier avec saint Paul: O profondeur, que de dire avec vous (2) : « Le >> Verbe communique avec joie tout ce qu'il pos» sède en qualité de sagesse éternelle, » quand on l'interroge par une attention sérieuse. Dites que sans votre systême, la conduite de Dieu n'auroit rien de sage et de constant (3). Pour nous, permettez-nous de dire avec saint Augustin (4): «Autant que Dieu » daigne nous manifester ses jugemens, nous lui en >> rendons grâces : quand il nous les cache, nous ne » murmurons point contre ses conseils, et nous » croyons que cela même nous est salutaire..... Si >> donc vous confessez les dons de Dieu, continue» rai-je de dire à l'auteur, pourquoi celui-ci les re

(1) De Corrept. et Grat. cap. VIII, n. 17. — (2) Médit. xI. n. 2. (3) Ibid. n. 3. (4) De Corrept. et Grat. cap. vii, n. 17, 18.

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