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Don Sylve, comme lui, fit briller à mes yeux
Toutes les qualités d'un héros glorieux;
Même éclat de vertus, joint à même naiffance,
Me parloit en tous deux pour cette préférence;
Et je ferois encore à nommer le vainqueur,
Si le mérite feul prenoit droit fur un cœur :
Mais ces chaînes du ciel qui tombent fur nos ames,
Décidèrent en moi du destin de leurs flammes;
Et toute mon eftime égale entre les deux
Laiffa vers Don Garcie entraîner tous mes vœux.
ÉLISE.

Cet amour que pour lui votre aftre vous infpire,
N'a fur vos actions pris que bien
peu d'empire,
Puifque nos yeux, Madame,ont pu long-tems douter
Qui de ces deux amans vous vouliez mieux traiter,

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De ces nobles rivaux l'amoureufe pourfuite,
A de fâcheux combats, Élife, m'a réduite.
Quand je regardois l'un, rien ne me reprochoit
Le tendre mouvement où mon ame penchoit ;
Mais je me l'imputois à beaucoup d'injustice,
Quand de l'autre à mes yeux s'offroit le facrifice:
Et Don Sylve, après tout, dans fes foins amoureux,
Me fembloit mériter un destin plus heureux.
Je m'oppofois encor ce qu'au fang de Caftille
Du feu roi de Léon femble devoir la fille;

Et la longue amitié, qui, d'un étroit lien,
Joignit les intérêts de fon père & du mien.
Ainfi, plus dans mon ame un autre prenoit place,
Plus de tous fes refpects je plaignois la difgrace:
Ma pitié, complaifante à fes brûlans foupirs,
D'un dehors favorable amufoit fes defirs;
Et vouloit réparer, par ce foible avantage,
Ce qu'au fond de mon coeur je lui faifois d'outrage,
É LISE.

Mais fon premier amour que vous avez appris,
Doit de cette contrainte affranchir vos efprits;
Et, puifqu'avant ces foins, où pour vous il s'engage,
Done Ignès de fon coeur avoit reçu l'hommage,
Et que, par des liens auffi fermes que doux,

L'amitié vous unit cette comteffe & vous,
Son fecret révélé vous eft une matière

A donner à vos vœux liberté toute entière;
Et vous pouvez, fans crainte, à cet amant confus
D'un devoir d'amitié couvrir tous vos refus.

D. ELVIRE.

Il est vrai que j'ai lieu de chérir la nouvelle
Qui m'apprit que Don Sylve étoit un infidele,
Puifque par fes ardeurs mon coeur tyrannifé
Contre elles à présent se voit autorisé;

Qu'il en peut justement combattre les hommages,
Et, fans fcrupule, ailleurs donner tous fes fuffrages.

Mais enfin quelle joie en peut prendre ce cœur,
Si d'une autre contrainte il fouffre la rigueur?
Si d'un prince jaloux l'éternelle foibleffe
Reçoit indignement les foins de ma tendresse,
Et femble préparer, dans mon juste courroux
Un éclat à brifer tout commerce entre nous.

ÉLISE.

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Mais fi de votre bouche il n'a point fu fa gloire, Eft-ce un crime pour lui que de n'ofer la croirę? Et ce qui d'un rival a pu flatter les feux, L'autorise-t-il pas à douter de vos vœux ?

D. ELVIR E.

Non, non, de cette fombre & lâche jaloufie
Rien ne peut excuser l'étrange frénésie,
Et par mes actions je l'ai trop informé

Qu'il peut bien fe flatter du bonheur d'être aimé,
Sans employer la langue, il cft des interpretes
Qui parlent clairement des atteintes fecrettes.
Un foupir, un regard, une fimple rougeur,
Un filence, eft affez pour expliquer un cœur,
Tout parle dans l'amour; & fur cette matière
Le moindre jour doit être une grande lumière,
Puifque chez notre fexe où l'honneur eft puiffant,
On ne montre jamais tout ce que l'on reffent.
J'ai voulu, je l'avoue, ajuster ma conduite,
Et voir d'un œil égal l'un & l'autre mérite :

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Mais

Et

que contre fes vœux on combat vainement,
que la différence eft connue aifément
De toutes ces faveurs qu'on fait avec étude,
A celles où du cœur fait pencher l'habitude!
Dans les unes toujours on paroît fe forcer;
Mais les autres, hélas! fe font fans y penfer:
Semblables à ces eaux fi pures & fi belles,
Qui coulent fans effort des fources naturelles.
Ma pitié pour Don Sylve avoit beau l'émouvoir,
J'en trahiffois les foins fans m'en appercevoir;
Et mes regards au Prince, en un pareil martyre,
En difoient toujours plus que je n'en voulois dire.
É LISE.

Enfin fi les foupçons de cet illuftre amant,
Puifque vous le voulez, n'ont point de fondement,
Pour le moins font-ils foi d'une ame bien atteinte,
Et d'autres chériroient ce qui fait votre plainte.
De jaloux mouvemens doivent être odieux,
S'ils partent d'un amour qui déplaît à nos yeux:
Mais tout ce qu'un amant nous peut montrer d'alarmes
Doit, lorfque nous l'aimons, avoir pour nous des charmes;
C'eft par-là que fon feu fe peut mieux exprimer ;
Et, plus il est jaloux, plus nous devons l'aimer.
Ainfi, puifqu'en votre ame un prince magnanime...

D. EL VIR E.

Ah, ne m'avancez point cette étrange maxime!

Par-tout la jalousie est un monftre odieux:
Rien n'en peut adoucir les traits injurieux ;
Et plus l'amour est cher qui lui donne naissance,
Plus on doit reffentir les coups de cette offense.
Voir un prince emporté, qui perd à tous momens
Le refpect que l'amour inspire aux vrais amans;
Qui, dans les foins jaloux où fon ame se noie,
Querelle également mon chagrin & ma joie,
Et dans tous mes regards ne peut rien remarquer,
Qu'en faveur d'un rival il ne veuille expliquer ;
Non, non, par fes foupçons je fuis trop offenfée,
Et fans déguisement je te dis ma pensée.
Le prince Don Garcie est cher à mes desirs,
peut d'un cœur illuftre échauffer les foupirs;
Au milieu de Léon on a vu fon courage

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Me donner de fa flamme un noble témoignage,
Braver en ma faveur les périls les plus grands,
M'enlever aux deffeins de nos lâches tyrans,
Et, dans ces murs forcés, mettre ma destinée
A couvert des horreurs d'un indigne hymenée
Et je ne cèle point que j'aurois de l'ennui
Que la gloire en fût dûe à quelque autre que lui;
Car un cœur amoureux prend un plaisir extrême
A fe voir redevable, Élife, à ce qu'il aime;
Et fa flamme timide ofe mieux éclater,
Lorsqu'en favorifant elle croit s'acquitter.
Oui, j'aime qu'un fecours, qui hafarde sa tête,
Semble à fa paffion donner droit de conquête ;,

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