Moi? J'en fuis courroucée. Quoi, ma fœur, ai-je dit, êtes-vous infensée? Ne rougiffez-vous point d'avoir pris tant d'amour Pour ces fortes de gens qui changent chaque jour? D'oublier votre fexe, & tromper l'efpérance D'un homme dont le ciel vous donnoit l'alliance?
SGANARELLE.
Il le mérite bien, & j'en fuis fort ravi.
Enfin, de cent raisons mon dépit s'est servi Pour lui bien reprocher des baffeffes fi grandes, Et pouvoir cette nuit rejeter fes demandes: Mais elle m'a fait voir de fi preffans defirs, A tant verfé de pleurs, tant pouffé de foupirs, Tant dit qu'au défefpoir je porterois fon ame Si je lui refufois ce qu'exige fa flamme, Qu'à céder malgré moi, mon cœur s'eft vu réduit; Et, pour juftifier cette intrigue de nuit, Où me faifoit du fang relâcher la tendreffe, J'allois faire avec moi venir coucher Lucrece, Dont vous me vantez tant les vertus chaque jour; Mais vous m'avez furprise avec ce prompt retour.
Non, non, je ne veux point chez moi tout ce mystère. J'y pourrois confentir à l'égard de mon frère;
Mais on peut être vu de quelqu'un de dehors, Et celle que je dois honorer de mon corps, Non-feulement doit être & pudique & bien née, Il ne faut pas que même elle foit foupçonnée. Allons chaffer l'infâme, & de fa paffion....
Ah, vous lui donneriez trop de confusion, Et c'eft avec raifon qu'elle pourroit fe plaindre Du peu de retenue où j'ai fu me contraindre; Puifque de fon deffein je dois me départir,
que du moins je la faffe fortir.
Mais fur tout cachez-vous, je vous prie;
Et, fans lui dire rien, daignez voir fa fortie.
Oui, pour l'amour de toi, je retiens mes tranfports; Mais, dès le même instant qu'elle fera dehors, Je veux, fans différer, aller trouver mon frère: J'aurai joie à courir lui dire cette affaire.
Je vous conjure donc de ne me point nommer. Bon foir; car tout d'un tems je vais me renfermer.
SGANARELLE, feul
Jufqu'à demain, ma mie. En quelle impatience Suis-je de voir mon frère, & lui conter fa chance! Il en tient le bon-homme avec tout fon phébus, Et je n'en voudrois pas tenir cent bons écus. ISABELLE dans la maison.
Oui, de vos déplaisirs l'atteinte m'eft fenfible; Mais ce que vous voulez,ma fœur, m'eft impoffible; Mon honneur qui m'eft cher, y court trop de hafard; Adieu, retirez-vous avant qu'il foit plus tard.
La voilà qui, je crois, pefte de belle forte: De peur qu'elle revînt, fermons à clef la porte.
ISABELLE en entrant.
O ciel, dans mes deffeins ne m'abandonnez pas!
Où pourra-t-elle aller? Suivons un peu fes pas. ISABELLE à part.
Dans mon trouble du moins la nuit me favorife.
SGANARELLE à part.
Au logis du galant! Quelle eft fon entreprise?
VALÈRE, ISABELLE, SGANARELLE. VALERE fortant brusquement.
QUI, oui, je veux tenter quelque effort cette nuit Pour parler... Qui va là?
ISABELLE à Valère.
Ne faites point de bruit.
Valère, on vous prévient, & je fuis Isabelle.
SGANARELLE.
Vous en avez menti, chienne, ce n'eft pas elle. De l'honneur que tu fuis, elle fuit trop les loix. Et tu prends fauffement & fon nom & fa voix.
ISABELLE à Valère.
Mais à moins de vous voir par un faint hymenée...
Oui, c'est l'unique but où tend ma destinée; Et je vous donne ici ma foi, que dès demain Je vais où vous voudrez recevoir votre main.
SGANARELLE à part.
Pauvre fot qui s'abuse!
De votre argus dupé je brave la puiffance;
Et devant qu'il vous pût ôter à mon ardeur Mon bras de mille coups lui perceroit le cœur.
SCENE I V.
SGANARELLE feul.
AH, je te promets bien que je n'ai pas envie De te l'ôter, l'infame à tes feux affervie; Que du don de ta foi je ne fuis point jaloux, Et que, fi j'en fuis cru, tu feras fon époux. Oui, faifons-le furprendre avec cette effrontée: La mémoire du père à bon droit refpectée, Jointe au grand intérêt que je prends à la fœur, Veut que du moins l'on tâche à lui rendre l'honneur. Hola.
(Il frappe à la porte d'un Commissaire.)
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