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rien fait avec tant de facilité, nifi promptement que cet endroit où VOTRE MAJESTÉ me commanda de travailler, J'avois une joie à lui obéir, qui me valoit bien mieux qu'Apollon & toutes les Mufes; & je conçois par-là ce que je ferois capable d'exécuter pour une Comédie entière, fi j'étois infpiré par de pareils commandemens, Ceux qui font nés en un rang élevé, peuvent fe propofer l'honneur de fervir VOTRE MAJESTÉ dans les grands emplois ; mais pour moi toute la gloire où je puis afpirer c'eft de la réjouir. Je borne-là l'ambition de mes fouhaits; & je crois qu'en quelque façon ce n'eft.pas être inutile à la France, que de contribuer en quelque chofe au divertiffement de fon Roi. Quand je n'y réuffirai pas, ce ne fera jamais par un défaut de zèle i d'étude, mais feulement par un mauvais deftin qui fuit assez fouvent les meilleures intentions, & qui fans doute affligeroit fenfiblement »

SIRE,

DE VOTRE MAJESTE,

Le très-humble, très-obéiffant & très-fidèle ferviteur

MOLIÈRE.

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AVERTISSEMENT.

JAMAIS entreprise au théâtre ne fut fi précipitée que celle-ci ; & c'est une chose, je crois, toute nouvelle, qu'une Comédie ait été conçue, faite, apprife & représentée en quinze jours. Je ne dis pas cela pour me piquer de l'in-promptu, & en prétendre de la gloire, mais feulement pour prévenir certaines gens, qui pourroient trouver à redire que je n'aie pas mis ici toutes les espèces de Fâcheux qui fe trouvent. Je fais que le nombre en est grand, & à la cour & dans la ville; & que fans épisodes, j'euffe bien pu en compofer une comédie de cinq actes bien fournis, & avoir encore de la matière de reste. Mais dans le peu de tems qui me fut don né, il m'étoit impoffible de faire un grand deffein, & de rêver beaucoup fur le choix de mes perfonnages, & fur la difpofition de mon fujet. Je me réduifis donc à ne toucher qu'un petit nombre d'importuns; & je pris ceux qui s'offrirent d'abord à mon efprit, & que je crus les plus propres à réjouir les auguftes perfonnes devant qui j'avois à paroître : pour lier promptement toutes ces chofes enfemble, je me fervis du premier nœud que je pus trou ver. Ce n'eft pas mon deffein d'examiner main

&

tenant fi tout cela pouvoit être mieux, & fi tous ceux qui s'y font divertis ont ri felon les règles. Le tems viendra de faire imprimer mes remarques fur les pièces que j'aurai faites, & je ne désespère pas de faire voir un jour, en grand auteur, que je puis citer Ariftote & Horace. En attendant cet examen, qui peut-être ne viendra point, je m'en remets affez aux décifions de la multitude, & je tiens auffi difficile de combattre un ouvrage que le public approuve, que d'en défendre un qu'il condamne,

Il n'y a perfonne qui ne fache pour quelle réjouiffance la pièce fut compofée; & cette fête a fait un tel éclat, qu'il n'eft pas nécelfaire d'en parler; mais il ne fera pas hors de propos de dire deux paroles des ornemens qu'on a mêlés avec la Comédie.

Le deffein étoit de donner un ballet auffi; & comme il n'y avait qu'un petit nombre choisi de danfeurs excellens, on fut contraint de féparer les entrées de ce Ballet, & l'avis fut de les jeter dans les entr'actes de la Comédie, afin que ces intervalles donnaffent tems aux mêmes baladins de venir fous d'autres habits. De forte que, pour ne point rompre auffi le fil de la pièce par ces manières d'Intermèdes, on s'avifa de les coudreau fujet du mieux que l'on put, & de ne faire qu'une

feule chofe du Ballet & de la Comédie; mais comme le tems étoit fort précipité, & que tour cela ne fut pas réglé entièrement par une même tête, on trouvera peut-être quelques endroits du Ballet qui n'entrent pas dans la Comédie auffi naturellement que d'autres, Quoi qu'il en foit, c'est un mêlange qui eft nouveau pour nos théâtres, & dout on pourroit chercher quelques autorités dans l'antiquité; & comme tout le monde l'a trouvé agréable, il peut fervir d'idée à d'autres chofes qui pourroient être méditées avec plus de loifir.

D'abord que la toile fut levée, un des acteurs, comme vous pourriez dire, moi, parut fur le théâtre en habit de ville, & s'adreffant au Roi avec le vifage d'un homme furpris, fit des excufes en défordre de ce qu'il fe trouvoit-là feul, & manquoit de tems & d'acteurs pour donner à Sa Majefté le divertiffement qu'elle fembloit attendre. En même-tems, au milieu de vingt jets-d'eau naturels, s'ouvrit cette coquille que tout le monde a vue; & l'agréable Nayade qui parut dedans s'avança au bord du théâtre, & d'un air héroïque prononça les vers que M. Pelliffon avoit faits, & qui fervent de Prologue.

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PROLOGUE.

Le théâtre représente un jardin orné de thermes
& de plufieurs jets-d'eau.

UNE NAYADE fortant des eaux dans une coquille.
Pour voir en ces beaux lieux le plus grand Roi du monde,
Mortels, je viens à vous de ma grotte profonde.
Faut-il en sa faveur, que la terre ou que l'eau
Produisent à vos yeux un fpectacle nouveau?
Qu'il parle ou qu'il fouhaite, il n'est rien d'impoffible.
Lui-même n'eft-il pas un miracle visible?
Son règne fi fertile en miracles divers,
N'en demande-t-il pas à tout cet univers?
Jeune, victorieux, fage, vaillant, augufte,
Auffi doux que févère, auffi puiffant que jufte ;
Régler, & fes états & fes propres defirs;
Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaifirs;
En ses justes projets jamais ne fe méprendre;
Agir inceffamment, tout voir & tout entendre;
Qui peut cela, peut tout : il n'a qu'à tout ofer,
Et le ciel à fes vœux ne peut rien refuser.
Cesthermes marcheront, &, fi Louis l'ordonne,
Ces arbres parleront mieux que ceux de Dodone.
Hôteffes de leurs troncs, moindres divinités,
C'eft Louis qui le veut, fortez, Nymphes, fortez,

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