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fe faire honneur de mettre à contribution tous les auteurs & tous les faits?

Le reproche qu'on faifoit à Molière, & qui paroiffoit le mieux fondé, c'eft que toute fon intrigue ne comportant que des récits d'Horace à Arnolphe, & d'Agnès à M. de la Souche, elle étoit vuide d'action. Mais fi çes récits, toujours intéreffans de part & d'autre, occupoient toujours le fpectateur & le conduifoient au dénouement avec le plaifir le plus vif, que pourroit faire de plus ce qu'on appelle action? Le développement fucceffif du caractère original & naïf de l'innocente Agnès (1). La confiance légère mais aimable d'Horace, les étonnemens d'Arnolphe, toujours averti, & fes efforts toujours vains pour fe conferver fa proie qui lui échappe enfin dans une cataftrophe, dont les incidens font fuffifamment ménagés & prévus, & où il ne faut que le retranchement aifé de quelques vers pour la rendre parfaite tout cela, dis-je, n'équivaut-il pas au mouvement théâtral le plus vif? L'étonnante rapidité des quatre premiers actes des Horaces, a-t-elle un autre fondement que des récits?

Un particulier, encore inconnu dans les lettres,

(1) La Demoiselle Debrie ayant cédé fon rôle d'Agnès à une jeune Actrice, fut obligée de le reprendre, quoiqu'elle cût 60 ans.

ofa prefque lui feul opposer une digue au torrent des mauvaises critiques qu'on faifoit de l'École des Femmes. Son ouvrage, qui a pour titre la Guerre Comique, répond assez fagement à toutes les objections que répandoient l'ignorance & l'envie. Voici ce qu'il dit, pages 28 & 29, fur le défaut d'action tant reproché.

Quand un auteur ne peut pas rendre un incident plus agréable aux yeux du spectateur qu'à fon imagination, il faut en faire le récit. Les incidens de cette comédie feroient ridicules fur le théâtre ; mais on eft charmé de les apprendre de la bouche d'Horace. & de voir l'inquiétude où il met le fieur de la Souche. Pourriez-vous fouffrir qu'on fit paroître l'armoire? Cette nouveauté produiroit un plaifant effet! Arnolphe fe promeneroit à grands pas, il frapperoit fur la table, on entendroit crier le petit chien, & on admireroit fans doute le débris des vafes d'Agnès. L'efcalade nocturne feroit encore une bonne chofe: on riroit affurément lorfqu'Alain & Georgette alfommeroient une échelle à coups de bâton, &c.

On a copié ce morceau du fieur la Croix, parce qu'il frappe auffi fur notre goût moderne pour la représentation extérieure & puérile de certains détails qui n'auroient point amufé nos pères dans les fpectacles qu'ils honoroient de leur eftime, & qui (pour nous fervir des expreffions de M. de Chain

ford,) renouvellera parmi nous ce qu'on a vu chez les Romains, la comédie changée en fimple pantomime, dont il ne reftera rien à la postérité que le nom des acteurs qui, par leurs talens, auront caché la mifere & la nullité des Poëtes.

Molière n'ignoroit pas toutes les criailleries des comédiens de l'hôtel de Bourgogne, parmi lesquels il y avoit de petits auteurs; il favoit que des gens plus confidérables n'avoient pas rougi de fe montrer à la tête de tous les ennemis de fon ouvrage.

On fait que le Comte du Brouffin, pour plaire au Commandeur de Souvré, un des principaux chefs de la cabale, fortit un jour avec éclat au 2 acte de la pièce, en disant tout haut qu'il ne concevoir pas comment on pouvoit avoir la patience d'aller jufqu'au bout. C'eft d'après ce fait que Defpreaux, quoique ami du Comte & du Commandeur, fit ces deux vers dans fon épître 7 à Racine:

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Le Commandeur vouloit la fcène plus exacte,
Le Vicomte indigné fortoit au second acte.

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Un homme plus fingulier alla plus loin encore & fe donna plufieurs fois en fpectacle aux repréfentations de l'École des Femmes; cet original, qui fe nommoit Plapiffon, & que la tradition de ce temslà traite de grand Philofophe, quoiqu'il n'en ait laiffé aucune preuve, hauffoit hardiment les épaules à chaque éclat de rire du Parterre, & le regar

dant quelquefois en pitié & quelquefois même avec dépit, lui difoit tout haut: ris donc, Parterre, ris donc. Molière, dans l'excellente défense qu'il fit de fa pièce, ne fe vengea du Philofophe qu'en éternifant fa fottife ( 1 ).

Que ce génie fublime de la scène françoise se foit vu dans fa marche entouré de clabaudeurs fubalternes, qui cherchoient à le détourner du chemin de la gloire où il alloit à fi grands pas, c'est l'effort ordinaire de l'envie contre les grands hommes qui vivent encore; mais que près d'un fiècle après fa mort, Molière ait encore trouvé des Philofophes déclarés contre lui, c'est ce qu'on ne concevroit pas aifément, fi l'on ne réfléchiffoit qu'avec de grandes lumières on peut quelquefois manquer de cette espèce de goût néceffaire pour bien juger de l'art dramatique.

M. Diderot, à qui l'on ne peut refuser infiniment d'efprit & de connoiffances, s'eft permis de dire en parlant de l'École des Femmes:

Un vieillard fortement vain, changera fon nom bourgeois d'Arnolphe en celui de M. de la Souche, & cet expédient ingénieux fondera toute l'intrigue &

(1) Voyez la fcène fixième de la Critique de l'École des Femmes, où les propres mots du prétendu philofophe Plapiffon font rapportés.

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en aménera le dénouement d'une manière fimple & inattendue: alors nos François s'écrieront, à merveille! & ils auront raifon. Mais fi, fans aucune vraisemblance & cinq ou fix fois de fuite, on leur montre cet Arnolphe devenu le confident de fon rival & la dupe de fa pupille, allant de Valère (1) à Agnès, ils. diront: ce n'eft pas un drame que cela, c'eft un CONTE, & fi vous n'avez pas tout l'esprit, toute la gaîté tout le génie de Molière, ils vous accuferont d'avoir manqué d'invention,& ils répéteront: c'est un CONTE à dormir.

Un conte à dormir eft, je penfe, un conte trifte, & il en eft trop de cette espèce dans nos drames nouveaux, dont les événemens bizarres & romanefques tiennent peu à la nature, ordinaire des chofes; mais cous les vrais connoiffeurs n'appercevront point de conte à dormir dans l'École des Femmes, ils n'y verront qu'un tableau fidèle & charmant de la nature.

Arnolphe, dont les plus grands plaisirs, (comme le lui dit Chryfalde) étoient de faire cent éclats des intrigues d'autrui, cherche lui-même à s'attirer la confiance du jeune homme qui d'abord ne pense à faire aucune indifcrétion; mais le vieillard meurt. d'envie d'apprendre quelque nouveau conte gail

(1) C'est Horace & non pas Valère, qu'il falloit dire.

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