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Et d'aucun foin jaloux n'a l'efprit combattu
Parce qu'elle lui dit que c'eft pour fa vertu.
L'un fait beaucoup de bruit qui ne lui fert de guères;
L'autre, en toute douceur laiffe aller les affaires,
Et, voyant arriver chez lui le damoiseau,
Prend fort honnêtement fes gants & fon manteau.
L'une, de fon galant, en adroite femelle
Fait fauffe confidence à fon époux fidèle,
Qui dort en fûreté fur un pareil appât,
Et le plaint, ce galant, des foins qu'il ne perd pas;
L'autre, pour fe purger de fa magnificence,
Dit qu'elle gagne au jeu l'argent qu'elle dépense;
Et le mari benêt, fans fonger à quel jeu,
Sur les gains qu'elle fait rend des graces à Dieu.
Enfin ce font par- tout des fujets de fatire:
Et comme fpectateur, ne puis-je pas en rire?
Puis-je pas de nos fots...

CHRISALDE.

Oui mais qui rit d'autrui Doit craindre qu'en revanche on riea auffi de lui. J'entends parler le monde, & des gens fe délaffent A venir débiter les chofes qui fe paffent;

Mais, quoique l'on divulgue aux endroits où je fuis,
Jamais on ne m'a vu triompher de ces bruits.
J'y fuis affez modefte : & bien qu'aux occurrences
Je puiffe condamner certaines tolérances,
Que mon deffein ne foit de fouffrir nullement
Ce que quelques maris fouffrent paifiblement ;

Pourtant je n'ai jamais affecté de le dire:

Car enfin il faut craindre un revers de fatire,
Et l'on ne doit jamais jurer fur de tels cas
De ce qu'on pourra faire, ou bien ne faire pas.
Ainfi, quand à mon front par un fort qui tout mène,
Il feroit arrivé quelque difgrace humaine,
Après mon procédé, je fuis prefque certain
Qu'on fe contentera de s'en rire fous main:
Et peut-être qu'encor j'aurai cet avantage,
Que quelques bonnes gens diront que c'est dommage,
Mais de vous, cher compère, il en eft autrement;
Je vous le dis encor, vous rifquez diablement,
Comme fur les maris accufés de fouffrance b
De tout tems votre langue a daubé d'importance;
Qu'on vous a vu contre eux un diable déchaîné
Vous devez marcher droit pour n'être point berné;
Et, s'il faut que fur vous on ait la moindre prife,
Gare qu'aux carrefours on ne vous tympanife;

Et...

ARNOLPH E.

Mon Dieu,notre ami, ne vous tourmentez point, Bien rufe qui pourra m'attraper fur ce point. Je fais les tours rufés, & les fubtiles trames, Dont, pour nous en planter, favent ufer les femmes, Et, comme on eft dupé par leurs dextérités, Contre çet accident j'ai pris mes fûretés; Et celle que j'époufe a toute l'innocence Qui peut fauver mon front de maligne influence.

CHRIS ALDE

Hé, que prétendez-vous? Qu'une fotte en un mot... ARNOLPH E.

d

Epoufer une fotte, eft pour n'être point fot.
Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort fage:
Mais une femme habile eft un mauvais préfage;
Et je fais ce qu'il coûte à de certaines gens,
Pour avoir pris les leurs avec trop de talens.
Moi, j'irois me charger d'une fpirituelle
Qui ne parleroit rien que cercle & que ruelle ?
Qui de prose & de vers a feroit de doux écrits,
Et que vifiteroient marquis & beaux-efprits,
Tandis que, fous le nom du mari de Madame,
Je ferois comme un faint que pas un ne réclame?
Non, non,je ne veux point d'un efprit qui foit haute,
Et femme qui compofe en fait plus qu'il ne faut.
Je prétends que la mienne en clartés peu fublime
Même ne fache pas ce que c'est qu'une rime;
Et s'il faut qu'avec elle on joue au corbillon,
Et qu'on vienne à lui dire,à fontour, qu'y met-on ?
Je veux qu'elle réponde, une tarte à la crême;
En un mot qu'elle foit d'une ignorance extrême;
Et c'eft affez pour elle, à vous en bien parler,
De favoir prier Dieu, m'aimer, coudre & filer.
CHRISAL DE.

Une femme ftupide eft donc votre marotte?
ARNOLPH E.

Tant, que j'aimerois mieux une laide bien fotte,

Qu'une femme fort belle, avec beaucoup d'efprit.

CHRISALDE.

L'efprit & la beauté . . .

ARNOLPHE.

L'honnêteté fuffit.

CHRISAL DE.

Mais comment voulez-vous,après tout,qu'une bête
Puiffe jamais favoir ce que c'est qu'être honnête ?
Outre qu'il eft affez ennuyeux, que je croi,
D'avoir toute fa vie une bête avec foi,
Penfez-vous le bien prendre, & que,fur votre idée,
La fûreté d'un front puiffe être bien fondée ?
Une femme d'efprit peut trahir fon devoir,
Mais il faut pour le moins qu'elle ofe le vouloir;
Et la ftupide au fien peut manquer d'ordinaire,
Sans en avoir l'envie, & fans penser le faire.
ARNOLPH E.

Ce

A ce bel argument, à ce difcours profond,
que Pantagruel à Panurge répond;
Preffez moi de me joindre à femme autre que fotte;
Prêchez, patrocinez jufqu'à la Pentecôte,

Vous ferez ébahi, quand vous ferez au bout,
Que vous ne m'aurez rien perfuadé du tout.

CHRISAL DE.

Je ne vous dis plus mot.

ARNOLPH F.

Chacun a fa méthode.

En femme comme en tout,je veux fuivre ma mode;

Je me vois riche affez pour pouvoir, que je croi,
Choifir une moitié qui tienne tout de moi,
Et de qui la foumife & pleine dépendance
N'ait à me reprocher aucun bien, ni naissance.
Un air doux & pofé, parmi d'autres enfans,
M'inspira de l'amour pour elle dès quatre ans ;
Sa mère se trouvant de pauvreté preffée,
De la lui demander il me vint en pensée,
Et la bonne payfanne g apprenant mon defir,
A s'ôter cette charge eut beaucoup de plaifir.
Dans un petit couvent, loin de toute pratique,
Je la fis élever felon ma politique,

C'est-à-dire, ordonnant quels foins on emploieroit
Pour la rendre idiotte autant qu'il fe pourroit.
Dieu merci le fuccès a fuivi mon attente;
Et grande, je l'ai vue à tel point innocente,
Que j'ai béni le ciel d'avoir trouvé mon fait
Pour me faire une femme au gré de mon fouhait.
Je l'ai donc retirée ; & comme ma demeure
A cent fortes de gens eft ouverte à toute heure,
Je l'ai mise à l'écart, comme il faut tout prévoir,
Dans cette autre maifon, où nul ne me vient voir;
Et, pour ne point gâter fa bonté naturelle
Je n'y tiens

que des

gens tout auffi fimples qu'elle. Vous me direz, pourquoi cette narration? C'est pour vous rendre inftruit de ma précaution. Le résultat de tout, eft qu'en ami fidèle,

Ce foir je vous invite à fouper avec elle ;

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