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Une fotte en fait plus que le plus habile homme.

(à Agnès.) Puifqu'en raifonnemens votre efprit fe confomme b; La belle raifonneufe, eft-ce qu'un fi long-tems Je vous aurai pour lui nourrie à mes dépens?

AGNÈS.

Non. Il vous rendra tout jusqu'au dernier double. ARNOLPHE bas à

part. Elle a de certains mots où mon dépit redouble,

(haut.)

Me rendra-t-il, coquine, avec tout fon pouvoir, Les obligations que vous pouvez m'avoir ?

AGNÈS.

Je ne vous en ai pas de fi grandes qu'on pense.
ARNOLPH E.

N'est-ce rien que les foins d'élever votre enfance
AGNÈS.

Vous avez là dedans bien opéré vraiment,
Et m'avez fait en tout inftruire joliment.
Croir on que je me flatte,& qu'enfin, dans matêté,
Je ne juge pas bien que je fuis une bête?
Moi-même j'en ai honte, &, dans l'âge où je fuis,
Je ne veux point paffer pour fotte, fi je puis.

ARNOLPH E.

Vous fuyez l'ignorance,& voulez, quoiqu'il coûte, Apprendre du blondin quelque chofe.

AGNES,

Sans doute

C'eft de lui que je fais ce que je peux favoir, Et, beaucoup plus qu'à vous, je penfe lui devoir.

ARNOLPH E.

Je ne fais qui me tient qu'avec une gourmade,
Ma main de ce difcours ne venge la bravade.
J'enrage quand je vois fa piquante froideur :
Et quelques coups de poing fatisferoient mon cœur.
AGNÈS.

Hélas, vous le pouvez, fi cela vous peut plaire.
ARNOLPHE à part.

Ce mot, & ce regard défarme ma colère,
Et produit un retour de tendresse de cœur
Qui de fon action efface la noirceur.

Chofe étrange d'aimer, & que, pour ces traîtreffes,
Les hommes foient fujets à de telles foibleffes!
Tout le monde connoît leur imperfection,
Ce n'eft qu'extravagance, & qu'indifcrétion,
Leur efprit eft méchant, & leur ame eft fragile,
Il n'eft rien de plus foible, & de plus imbécile,
Rien de plus infidèle; & malgré tout cela,
Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là.
(à Agnès.)

Hé bien, faifons la paix. Vas, petite traîtreffe,
Je te pardonne tout, & te rends ma tendreffe;
Confidère par-là l'amour que j'ai pour toi,
Et, me voyant fi bon, en revanche, aime-moi.

AGNÈS.

Du meilleur de mon cœur, je voudrois vous complaire :
Que me coûteroit-il, fi je le pouvois faire?
ARNOLPH E.

Mon pauvre petit cœur, tu le peux, fi tu veux.
Écoute feulement ce foupir amoureux;

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Vois ce regard mourant, contemple ma perfonne,
Et quitte ce morveux & l'amour qu'il te donne.
C'est quelque fort qu'il faut qu'il ait jeté fur toi,
Et tu feras cent fois plus heureuse avec moi.
Ta forte paffion est d'être brave & leste
Tule feras toujours, vas, je te le proteste,
Sans ceffe, nuit & jour, je te carefferai,
Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai 19;
Tout comme tu voudras, tu te pourras conduire:
Je ne m'explique point, & cela, c'est tout dire,
(bas à part.)

Jufqu'où la paffion peut-elle faire aller?

(haut.)

Enfin, à mon amour rien ne peut s'égaler,
Quelle preuve veux tu que je t'en donne, ingrate!
Me veux-tu voir pleurer? Veux-tu que je me batte?
Veux-tu que je m'arrache un côté de cheveux ?
Veux-tu que je me tue? Oui, dis fi tu le veux,
Je fuis tout prêt, cruelle, à teprouver ma flamme.
AGNÈS.

Tenez, tous vos difcours ne me touchent point l'ame,

Horace avec deux mots en feroit plus que vous.

ARNOLPH E.

Ah, c'est trop me braver, trop pouffer mon courroux. Je fuivrai mon deffein, bête trop indocile,

Et vous dénicherez à l'instant de la ville.

Vous rebutez mes voeux, & me mettez à bout;

Mais un cul de couvent 20 me vengera

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de tout.

ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN.

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ALAIN.

E ne fais ce que c'eft, Monfieur, mais il me femble Qu'Agnès & le corps mort s'en font allés ensemble.

ARNOLPH E.

La voici. Dans ma chambre allez me la nicher.

( à part.)

Ce ne fera pas là qu'il la viendra chercher ;
Et puis, c'est seulement pour une demi-heure.
Je vais, pour lui donner une sûre demeure,
( à Alain.)

Trouver une voiture. Enfermez-vous des mieux,
Et, fur-tout, gardez vous de la quitter des

(Seul.)

Peut-être que fon ame, étant dépaïfée,

Pourra de cet amour être défabufée.

yeux.

SCÈNE V I.

HORACE, ARNOLPHE.

HORAC E.

AH, je viens vous trouver accablé de douleur!
Léciel, Seigneur Arnolphe, a conclu mon malheur;
Et, par un trait fatal d'une injuftice extrême,
On me veut arracher de la beauté que j'aime.
Pour arriver ici, mon père a pris le frais ;
J'ai trouvé qu'il mettoit pied à terre ici près
Et la caufe, en un mot, d'une telle venue
Qui, comme je difois, ne m'étoit pas connue,
C'est qu'il m'a marié, fans m'en écrire rien,
Et qu'il vient en ces lieux célébrer ce lien.
Jugez, en prenant part à mon inquiétude,
S'il pouvoit m'arriver un contre-tems plus rude.
Cet Enrique, dont hier 21 je m'informois à vous,
Cause tout le malheur dont je reffens les coups;
Il vient avec mon père achever ma ruine,
Et c'eft fa fille unique à qui l'on me destine.
J'ai, dès leurs premiers mots, penfè à m'évanouir;
Et d'abord, fans vouloir plus long-tems les ouir,
Mon père ayant parlé de vous rendre vifite,
L'efprit plein de frayeur, je l'ai devancé vîte.
De grace, gardez-vous de lui rien découvrir
De mon engagement, qui le pourroit aigrir,

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