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SCÈNE V I.

D. GARCIE, D. ELVIRE, ÉLISE.
É LISE.

MADAME.

D. ELVIRE à Don Garcie.

Observez bien au moins

Si j'ofe à vous tromper employer quelques foins;
Si par un feul coup-d'œil, ou gefte qui l'instruise,
Je cherche de ce coup à parer la furprise.
( à Élife.)

Le billet que tantôt ma main avoit tracé,
Répondez promptement, où l'avez-vous laissé ?
É LISE.

Madame, j'ai fujet de m'avouer coupable.
Je ne fais comme il eft demeuré fur ma table;
Mais on vient de m'apprendre en ce même moment
Que Don Lope, venant dans mon appartement,
Par une liberté qu'on lui voit fe permettre,
A fureté par-tout, & trouvé cette lettre,
Comme il la déplioit, Léonor a voulu
S'en faifir promptement, avant qu'il eût rien lu;
Et, fe jetant fur lui, la lettre contestée

En deux juftes moitiés dans leurs mains est restée;

ACTE II. SCÈNE VI.

Et Don Lope, auffi-tôt prenant un prompt
A dérobé la fienne aux foins de Léonor.

D. EL VIR E.

Avez-vous ici l'autre ?

É LISE.

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effor,

Qui, la voilà, Madame.

D. ELVIR E

(à Don Garcie.)

Donnez. Nous allons voir qui mérite le blâme.
Avec votre moitié raffemblez celle-ci,
Lifez, & hautement; je veux l'entendre auffi.

D. GARCI E

Au Prince Don Garcie. Ah!

D. EL VIR E..

Achevez de lire;

Votre ame pour ce mot ne doit pas s'interdire.
D. GARCIE lit.

Quoique votre rival, Prince, alarme votre ame,
Vous devez toutefois vous craindre plus que lui,
Et vous avez en vous à détruire aujourd'hui
L'obftacle le plus grand que trouve votre flamme.
Je chéris tendrement ce qu'a fait Don Garcie.
Pour me tirer des mains de mes fiers raviffeurs,
Son amour, fes devoirs, ont pour moi des douceurs;
Mais il m'eft odieux avec fa jalousie.

Civ

Otez donc à vos feux ce qu'ils en font paroître,
Méritez les regards que l'on jette fur eux;
Et lorfqu'on vous oblige à vous tenir heureux
Ne vous obftinez point à ne pas vouloir l'être.
D. ELVIR E.

Hé bien, que

dites-vous ?

D. GARCIE.

Ah, Madame, je dis

Qu'à cet objet mes fens demeurent interdits ;
Que je vois dans ma plainte une horrible injustice,
Er qu'il n'eft point pour moi d'affez cruel fupplice.
D. ELVIRE.

Il fuffit. Apprenez que fi j'ai fouhaité

Qu'à vos yeux cet écrit pût être présenté,
C'est pour le démentir, & cent fois me dédire
De tout ce que pour vous vous y venez de lire.
Adieu, Prince.

D. GARCIE.

Madame, hélas! où fuyez-vous ?

D. ELVIRE.

Où vous ne ferez point, trop odieux jaloux.

D. GARCIE.

Ah! Madame, excufez un amant miférable, Qu'un fort prodigieux a fait vers vous coupable, Et qui, bien qu'il vous caufe un courroux fi puiffant, Eût été plus blâmable à rester innocent.

Car enfin, peut-il être une ame bien atteinte Dont l'espoir le plus doux ne foit mêlé de crainte? Et pourriez-vous penser que mon cœur eût aimé, Si ce billet fatal ne l'eût point alarmé ?

S'il n'avoit point frémi des coups de cette foudre, Dont je me figurois tout mon bonheur en poudre ? Vous-même, dites-moi, fi cet événement

N'eût pas dans mon erreur jeté tout autre amant ; Si d'une preuve, hélas! qui me fembloit fi claire, Je pouvois démentir...

D. ELVIR E.

Oui, vous le pouviez faire; Et, dans mes fentimens affez bien déclarés,

Vos doutes rencontroient des garans affurés:
Vous n'aviez rien à craindre, & d'autres fur ce gage
Auroient du monde entier bravé le témoignage.
D. GAR CIE.

Moins on mérite un bien qu'on nous fait efpérer,
Plus notre ame a de peiue à pouvoir s'affurer.
Un fort trop plein de gloire à nos yeux eft fragile,
Et nous laiffe aux foupçons une pente facile.
Pour moi, qui crois fi peu mériter vos bontés,
J'ai douté du bonheur de mes témérités;
J'ai cru que dans ces lieux rangés fous ma puiffance,
Votre ame fe forçoit à quelque complaifance;
Que déguifant pour moi votre févérité...

D. ELVIRE.

Et je pourrois defcendre à cette lâcheté ?

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Moi, prendre le parti d'une honteuse feinte,
Agir par les motifs d'une fervile crainte,
Trahir mes fentimens, &, pour être en vos mains,
D'un mafque de faveur vous couvrir mes dédains?
La gloire fur mon cœur auroit fi peu d'empire;
Vous pouvez le penfer, & vous me l'ofez dire?
Apprenez que ce cœur ne fait point s'abaiffer,
Qu'il n'eft rien fous les cieux qui puiffe l'y forcer;
Et, s'il vous a fait voir par une erreur infigne
Des marques de bonté dont vous n'étiez pasdigne,
Qu'il faura bien montrer, malgré votre pouvoir,
La haine que pour vous il fe réfout d'avoir;
Braver votre furie, & vous faire connoître
Qu'il n'a point été lâche, & ne veut jamais l'être.

D. GARCIE.

Hé bien, je fuis coupable, & ne m'en défens pas,
Mais je demande grace à vos divins appas;

Je la demande au nom de la plus vive flamme
Dont jamais deux beaux yeux aient fait brûler une ame.
Que fi votre courroux ne peut être appaisé,
Si mon crime eft trop grand pour se voir excusé,
Si vous ne regardez ni l'amour qui le caufe,
Ni le vif repentir que mon cœur vous expose,
Il faut qu'un coup heureux, en me faifant mourir,
M'arrache à des tourmens que je ne puis fouffrir.
Non, ne préfumez pas qu'ayant fu vous déplaire,
Je puiffe vivre une heure avec votre colère.

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