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Et faut-il que jamais il ne tombe fur nous
L'ombre d'un feul bienfait, qu'il ne vienne de vous?
Ah! fouffrez, dans les maux où mon destin m'expose,
Qu'au foin d'un autre auffi je doive quelque chofe;
Et ne vous plaignez point de voir un autre bras
Acquérir de la gloire, où le vôtre n'est pas.

D. ALPHONSE.

Oui, Madame, mon cœur doit ceffer de s'en plaindre;
Avec trop de raison vous voulez m'y contraindre,
Et c'eft injuftement qu'on fe plaint d'un malheur,
Quand un autre plus grand s'offre à notre douleur.
Ce fecours d'un rival m'eft un cruel martyre:
Mais, hélas! de mes maux, ce n'eft pas là le pire;
le rude coup dont je fuis atterré,
C'eft de me voir par vous ce rival préféré.
Oui, je ne vois que trop que fes feux pleins de gloire
Sur les miens dans votre ame emportent la victoire;
Et cette occafion de fervir vos appas,

Le coup,

Cet avantage offert de fignaler fon bras,
Cet éclatant exploit qui vous fut falutaire,
N'eft que le pur effet du bonheur de vous plaire,
Que le fecret pouvoir d'un aftre merveilleux,
Qui fait tomber la gloire où s'attachent vos vœux.
Ainfi, tous mes efforts ne feront que fumée.
Contre vos fiers tyrans je conduis une armée ;
Mais je marche en tremblant à cet illuftre emploi,
Affuré que vos voeux ne feront pas pour moi;

Et

que, s'ils font fuivis, la fortune prépare L'heur des plus beaux fuccès aux foins de la Navarre. Ah! Madame, faut-il me voir précipité

De l'espoir glorieux dont je m'étois flatté;
Et ne puis-je favoir quels crimes on m'impute,
Pour avoir mérité cette effroyable chûte?

D. ELVIRE.

Ne me demandez rien avant que regarder
Ce qu'à mes fentimens vous devez demander;
Et, fur cette froideur qui femble vous confondre,
Répondez-vous, Seigneur, ce que je puis répondre;
Car enfin tous vos foins ne fauroient ignorer
Quels fecrets de votre ame on m'a fu déclarer;
Et je la crois, cette ame, & trop noble & trop haute,
Pour vouloir m'obliger à commettre une faute.
Vous-même, dites-vous, s'il eft de l'équité
De me voir couronner une infidélité;

Si vous pouvez m'offrir, fans beaucoup d'injustice,
Un cœur à d'autres yeux offert en facrifice;
Vous plaindre avec raison, & blâmer mes refus
Lorsqu'ils veulent d'un crime affranchir vos vertus.
Oui, Seigneur, c'eft un crime, & les premières flammes
Ont des droits fi facrés fur les illuftres ames,
Qu'il faut perdre grandeurs, & renoncer au jour,
Plutôt que de pencher vers un fecond amour.
J'ai pour vous cette ardeur que peut prendre l'eftime
Pour un courage haut, pour un coeur magnanime ;

Mais n'exigez de moi que ce que je vous dois,
Et foutenez l'honneur de votre premier choix.
Malgré vos feux nouveaux, voyez quelle tendreffe
Vous conferve le coeur de l'aimable Comteffe,
Ce que pour un ingrat, ( car vous l'êtes, Seigneur)
Elle a d'un choix conftant refufé de bonheur;
Quel mépris généreux, dans fon ardeur extrême,
Elle a fait de l'éclat que donne un diadême;
Voyez combien d'efforts pour vous elle a bravés,
Et rendez à fon coeur ce que vous lui devez.
D. ALPHONSE.

Ah! Madame, à mes yeux n'offrez point fon mérite:
Il n'eft que trop préfent à l'ingrat qui la quitte;
Et fi mon cœur vous dit ce que pour elle il fent,
J'ai peur qu'il ne foit pas envers vous innocent.
Oui, ce cœur l'ofe plaindre, & ne fuit pas fans peine
L'impérieux effort de l'amour qui l'entraîne;
Aucun espoir pour vous n'a flatté mes desirs,
Qui ne m'ait arraché pour elle des foupirs;
Qui n'ait dans fes douceurs fait jeter à mon ame
Quelques triftes regards vers fa première flamme;
Se reprocher l'effet de vos divins attraits,
Et mêler des remords à mes plus chers fouhaits.
J'ai fait plus que cela, puisqu'il vous faut tout dire:
Oui, j'ai voulu fur moi vous ôter votre empire,
Sortir de votre chaîne, & rejeter mon cœur
Sous le joug innocent de fon premier vainqueur.

Mais, après mes efforts, ma conftance abattue
Voit un cours néceffaire à ce mal qui me tue;
Et, dût être mon fort à jamais malheureux,
Je ne puis renoncer à l'espoir de mes vœux.
Je ne faurois fouffrir l'épouvantable idée
De vous voir par un autre à mes yeux poffèdée;
Et le flambeau du jour, qui m'offre vos appas,
Doit avant cet hymen éclairer mon trépas.
Je fais que je trahis une Princeffe aimable;
Mais,Madame,après tout, mon cœur eft-il coupable?
Et le fort afcendant que prend votre beauté,
Laiffe-t-il aux efprits aucune liberté ?

Hélas! je fuis ici bien plus à plaindre qu'elle :
Son cœur, en me perdant, ne perd qu'un infidèle.
D'un pareil déplaifir on se
peut confoler;
Mais moi, par un malheur qui ne peut s'égaler,
J'ai celui de quitter une aimable perfonne,
Et tous les maux encor que mon amour me donne.
D. ELVIRE.

Vous n'avez que les maux que vous voulez avoir,
Et toujours notre cœur eft en notre pouvoir :
Il peut bien quelquefois montrer quelquefoibleffe;
Mais enfin fur nos fens la raison est maitresse....

SCÈNE III.

DON GARCIE, DONE ELVIRE,
D. ALPHONSE, cru D. Sylve.

D. GARCIE.

MADAME, mon abord, comme je connois bien,
Affez mal-à-propos trouble votre entretien ;
Et mes pas en ce lieu, s'il faut que je le die,
Ne croyoient pas trouver fi bonne compagnie.
D. ELVIR E.

Cette vue, en effet, furprend au dernier point;
Et, de même que vous, je ne l'attendois point.
D. GARCI E.

Oui, Madame, je crois que de cette visite,
Comme vous l'affurez, vous n'étiez point inftruite.
( à Don Sylve.)

Mais, Seigneur, vous deviez nous faire au moins l'honneur
De nous donner avis de ce rare bonheur;

Et nous mettre en état, fans nous vouloir surprendre,
De vous rendre en ces lieux ce qu'on voudroit vous rendre.
D. ALPHONSE.

Les héroïques foins vous occupent fi fort,

Que de vous en tirer, Seigneur, j'aurois eu tort;

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