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Et des grands conquérans les fublimes pensées
Sont aux civilités avec peine abaiffées.

D. GARCIE.

Mais les grands conquérans, dont on vante les soins,
Loin d'aimer le fecret, affectent les témoins:
Leur ame, dès l'enfance à la gloire élevée,
Les fait dans leurs projets aller tête levée;
Et, s'appuyant toujours fur de hauts fentimens,
Ne s'abaiffe jamais à des déguisemens.

Ne commettez-vous point vos vertus héroïques,
En paffant dans ces lieux par de fourdes pratiques,
Et ne craignez-vous point qu'on puiffe, aux yeux de tous,
Trouver cette action trop indigne de vous?

D. ALPHONSE.

Je ne fais fi quelqu'un blâmera ma conduite,
Au fecret que j'ai fait d'une telle vifite;
Mais je fais qu'aux projets qui veulent la clarté,
Prince, je n'ai jamais cherché l'obscurité ;
Et, quand j'aurai fur vous à faire une entreprise,
Vous n'aurez pas fujet de blâmer la surprise;
Il ne tiendra qu'à vous de vous en garantir,
Et l'on prendra le foin de vous en avertir.
Cependant demeurons aux termes ordinaires,
Remettons nos débats après d'autres affaires ;
Et, d'un fang un peu chaud réprimant les bouillons,
N'oublions pas tous deux devant qui nous parlons.

D. ELVIRE à Don Garcie.

Prince, vous avez tort; & fa vifite eft telle

Que vous...

D. GARCI E.

Ah! c'en eft trop que prendre fa querelle,
Madame, & votre efprit devroit feindre un peu mieux,
Lorfqu'il veut ignorer fa venue en ces lieux.
Cette chaleur fi prompte à vouloir la défendre,
Perfuade affez mal qu'elle ait pu vous furprendre.
D. ELVIR E.

Quoi que vous foupçonniez, il m'importe fi peu,
Que j'aurois du regret d'en faire un défaveu.
D. GARCIE.

Et

Pouffez donc jufqu'au bout cet orgueil héroïque,
que
fans héfiter tout votre coeur s'explique:
C'est au déguisement donner trop de crédit.
Ne défavouez rien, puifque vous l'avez dit.
Tranchez, tranchez le mot, forcez toute contrainte;
Dites que de fes feux vous reffentez l'atteinte,
Que pour vous fa présence a des charmes fi doux...
D. ELVIR E.

Et, fi je veux l'aimer, m'en empêcherez-vous?
Avez-vous fur mon cœur quelque empire à prétendre,
Et, pour régler mes voeux, ai-je votre ordre à prendre?
Sachez que trop d'orgueil a pu vous décevoir,
Si votre cœur fur moi s'eft cru quelque pouvoir;

Et que mes fentimens fout d'une ame trop grande
Pour vouloir les cacher,lorfqu'on me les demande.
Je ne vous dirai point fi le Comte est aimé:
Mais apprenez de moi qu'il eft fort eftimé;
Que fes hautes vertus, pour qui je m'intéresse,
Méritent mieux que vous les voeux d'une Princeffe;
Queje garde aux ardeurs,aux foins qu'il me fait voir
Tout le reffentiment qu'une ame puiffe avoir;
fi des deftins la fatale puiffance

Et que,

M'ôte la liberté d'être fa récompense,

Au moins eft-il en moi de promettre à fes vœux,
Qu'on ne me verra point le butin de vos feux.
Et, fans vous amufer d'une attente frivole,
C'est à quoi je m'engage, & je tiendrai parole.
Voilà mon cœur ouvert, puisque vous le voulez,
Et mes vrais fentimens à vos yeux étalés.
Êtes-vous fatisfait ? Et mon ame attaquée
Seft-elle, à votre avis, affez bien expliquée ?
Voyez, pour vous ôter tout lieu de foupçonner,
S'il refte quelque jour encore à vous donner.
(à Don Sylve.)

Cependant, fi vos foins s'attachent à me plaire,
Songez que votre bras, Comte, m'eft néceffaire;
Et, d'un capricieux quels que foient les transports,
Qu'à punir nos tyrans il doit tous fes efforts.
Fermez l'oreille enfin à toute fa furie;

Et pour vous y porter, c'est moi qui vous en prie.

SCÈNE IV.

D. GARCIE, D. ALPHONSE, cru D. Sylve.

D. GARCIE.

TOUT vous rit, & votre ame en cette occafion
Jouit fuperbement de ma confufion.

Il vous eft doux de voir un aveu plein de gloire,
Sur les feux d'un rival marquer votre victoire:
Mais c'est à votre joie un furcroît fans égal,
D'en avoir pour témoins les yeux de ce rival;
Et mes prétentions hautement étouffées,
A vos vœux triomphans font d'illuftres trophées.
Goûtez à pleins transports ce bonheur éclatant;
Mais fachez qu'on n'eft pas encore où l'on prétend.
La fureur qui m'anime a de trop juftes causes,
Et l'on verra peut-être arriver bien des choses.
Un désespoir va loin quand il est échappé,
Et tout eft pardonnable à qui fe voit trompé.
Si l'ingrate à mes yeux, pour flatter votre flamme,
A jamais n'être à moi vient d'engager fon ame,
Je faurai bien trouver dans mon juste courroux,
Les moyens d'empêcher qu'elle ne foit à vous.

D. ALPHONSE.

Cet obftacle n'eft pas ce qui me met en peine. Nous verrons quelle attente en tout cas fera vaine;

Et chacun, de fes feux, pourra, par sa valeur,
fa
Ou défendre la gloire, ou venger le malheur.
Mais comme, entre rivaux, l'ame la plus pofée
A des termes d'aigreur trouve une pente aifée,
Et que je ne veux point qu'un pareil entretien
Puiffe trop
échauffer votre efprit & le mien,
Prince, affranchiffez-moi d'une gêne secrette,
Et me donnez moyen de faire ma retraite.

D. GARCIE.

1

Non, non, ne craignez point qu'on pouffe votre efprit
A violer ici l'ordre qu'on vous prescrit.

Quelque jufte fureur qui me preffe & vous flatte,
Je fais, Comte, je fais quand il faut qu'elle éclate.
Ces lieux vous font ouverts: oui, fortez-en, fortez
Glorieux des douceurs que vous en remportez;
Mais, encore une fois, apprenez que ma tête
Peut feule dans vos mains mettre votre conquête.
D. ALPHONSE.

Quand nous en ferons-là, le fort en notre bras
De tous nos intérêts vuidera les débats.

Fin du troisième Acte.

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