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DE

LA LÉGISLATION CRIMINELLE

EN FRANCE.

CHAPITRE PREMIER.

DES TRIBUNAUX EN GÉNÉRAL.

225. Lorsque la police judiciaire a constaté | tie sous le rapport des lumières, puisqu'il s'y les délits, qu'elle a réuni les preuves de leur existence, qu'elle a recueilli les présomptions, les indices qui mettent sur la trace de ceux qui s'en sont rendus coupables, son action est terminée, et celle de la justice commence. Des tribunaux de différentes espèces, de différents degrés, sont institués pour apprécier les préventions et prononcer sur le sort de ceux qui en

sont atteints.

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trouve plusieurs juges, dont la juridiction est plus étendue que celle du tribunal de simple police, et qui a reçu de la loi le pouvoir de prononcer sur tous les délits correctionnels; mais dont toutes les décisions, en cette partie, sont susceptibles d'être déférées à un tribunal composé ordinairement de juges d'un ordre supérieur, ou au moins, dans tous les cas, d'un plus grand nombre de juges.

Dans les affaires de simple police ou de police correctionnelle, l'instruction préparatoire est peu compliquée souvent mème elle est inutile, puisque le tribunal de police ou le tribunal correctionnel peut être saisi directement (1), que la véritable instruction se fait à l'audience, et qu'un tribunal d'appel peut réformer les erreurs des premiers juges: mais, lorsque les faits ont le caractère de crimes, lorsqu'à raison de leur importance ils sont de nature à compromettre l'honneur et la vie des citoyens, de nombreuses formalités précèdent la traduction des prévenus devant le tribunal qui doit les juger. Nous avons vu, dans le précédent volume, de quelle manière la mise en accusation est préparée et prononcée. Quand l'instruction d'une procedure criminelle se trouve parvenue à ce degré, des cours d'assises, qui ne sont elles-mêmes qu'une émanation de la cour royale, sont alors chargées de statuer sur la culpabilité de l'accusé, et de lui

S'agit-il de juger une contravention de police, un tribunal extrêmement rapproché du lieu du délit et du justiciable doit en être investi. Nous verrons, en parlant de cette juridiction, qui est placée au degré inférieur de l'échelle des tribunaux de répression, de quels éléments elle se forme; comment ces éléments peuvent se multiplier dans un même canton, et varier suivant les circonstances et la nature ou la gravité de la contravention; quel est le cercle de la compétence de ces tribunaux; en quels cas ils jugent à la charge de l'appel; en quels cas leurs jugements sont en dernier ressort. Si l'infraction à la loi est plus grave, si le résultat du jugement peut priver un citoyen de la liberté pendant un certain temps, ou entrainer contre lui, à titre d'amende, des condamnations pécuniaires de quelque importance, la connaissance de l'affaire est dévolue à un tri(1) V. art. 145 et 182, C. crim.; la circul. du minist. bunal dont la composition offre plus de garan- | de la just. du 23 sept. 1812, et, infrà, nos 282 et 297.

LEGRAVEREND. - TOME 11.

1

appliquer les peines, s'il y a lieu. Les cours | aides, les tables de marbre, les trésoriers des d'assises ne jugent qu'avec des jurés, et leurs finances, etc., etc. arrêts définitifs sont susceptibles d'être attaqués par la voie de cassation.

Les cours spéciales, lorsqu'il en existait, prononçaient sans jurés; leurs arrêts n'étaient soumis à aucun recours, lorsque leur compétence, réglée par la cour royale, avait été reconnue par la Cour de cassation.

Les cours prévôtales ont cessé d'exister; il est de leur essence de prononcer de même sans jurés, et suivant la loi du 20 décembre 1815, qui les avait établies, leurs arrêts étaient définitifs, après que leur compétence avait été réglée par la cour royale du ressort, et sans qu'il put y avoir recours en cassation, soit sur la compétence, soit sur fond.

Les cours royales, que nous avons déjà eu occasion de considérer comme juges de l'accusation, sont aussi juges de l'appel en matière correctionnelle, lorsque leur éloignement du tribunal dont est appel n'a pas obligé le législateur à confier cette portion de leur autorité à un tribunal de chef-lieu le plus rapproché des justiciables.

Les Cours royales sont encore tribunal d'exception, et connaissent directement des délits correctionnels imputés à des fonctionnaires que la loi désigne, ainsi que des délits de la presse, lorsqu'ils résultent ou sont censés résulter d'articles insérés dans des journaux ou dans tous autres écrits périodiques.

Chaque éour royale a de plus, en certains cas, le caractère de tribunal régulateur à l'égard des juges de son ressort.

Ainsi, comme on le voit, un tribunal de simple police, qui se trouve non-seulement dans tous les cantons, mais, pour ainsi dire, dans tous les villages, réprime de suite les contraventions; un tribunal correctionnel juge les délits ; une cour royale, qui se subdivise en plusieurs chambres, et même en plusieurs cours, prononce sur tous les crimes; et une cour de cassation régularise, dans tout le royaume, les opérations des cours et tribunaux. Cet ordre est d'une simplicité vraiment admirable; et il était impossible, d'une part, d'employer moins de rouages, et de l'autre, de donner plus de garantie aux citoyens, plus de force aux tribunaux, et de rendre l'action de la justice plus rapide et plus sûre.

La chambre des pairs, comme cour de justice, doit aussi être comptée parmi les juridictions ordinaires, puisqu'elle est créée par la Charte constitutionnelle, et qu'elle forme une juridiction privilégiée; mais comme sa compétence est restreinte, sous le rapport des personnes, aux membre de la chambres des pairs et aux ministres qui seraient accusés de trahison et de concussion, et sous celui de la matière, aux crimes de haute trahison et aux attentats à la sûreté de l'État, elle forme une espèce d'exception qui doit la faire considérer comme un tribunal extraordinaire, quoique compris dans la ligne des juridictions ordinaires. Au reste, comme elle est investie par la loi, dans les cas qui lui sont attribués, de tous les pouvoirs qui sont ordinairement exercés par les tribunaux de première instance, par la Cour de cassation elle-même, cette institution ne com

La cour de cassation, que l'on peut aussi considérer sous le double rapport de tribunal poursuivant et de tribunal régulateur, est pla-plique en aucune manière le système judiciaire. cée à la tête de l'ordre judiciaire, pour empêcher que l'ordre des juridictions ne soit interverti, pour prévenir les violations de la loi.

Une première réflexion doit frapper tous les hommes qui ont connu l'effrayante multiplicité des tribunauxqui existaienten France avant1789; on ne peut méconnaître l'inestimable bienfait de la législation nouvelle, qui a fait cesser pour jamais cette scandaleuse rivalité de pouvoirs entre les juridictions ecclésiastiques et laïques, entre les juges des seigneurs et les juges royaux, entre les juges ordinaires et cette nuée de juges d'attribution, tels que les prévôts des maréchaux, les lieutenants criminels de robe courte, les baillis d'épée, les élections, les juges des monnaies, des gabelles, des greniers à sel, les juges des eaux et forêts, les cours des

Ainsi, en laissant à part l'organisation particulière de la chambre des pairs et les règles qui lui sont propres, et en isolant aussi des tribunaux de répression la Cour de cassation, qui peut bien, en quelques circonstances, prononcer elle-mème la mise en accusation, mais qui ne peut pas juger les individus qu'elle a accusés (1), et dont les fonctions en matière criminelle ont spécialement pour objet la conservation des formes, l'examen de la compétence, la répression des nullités, et l'annulation des actes qui violent les lois, on voit que trois espèces de tribunaux seulement sont chargés, dans les temps ordinaires, de réprimer tous les crimes, tous les délits, toutes les contraventions, et que les tribunaux de simple police (2), les tribunaux correctionnels (3), et les cours royales (4), dont les fractions prennent

(1) La Cour de cassation de Belgique juge les ministres, chambres réunies. (Constit., art. 90.)

(2) Le juge de paix forme le tribunal de police du canton.

(3) Le tribunal correctionnel n'est formé que des juges du tribunal de première instance.

(4) La chambre d'accusation, la chambre des appels correctionnels, sont formées des membres de la cour

diverses dénominations suivant les périodes | successives de la procédure, ont remplacé, en matière criminelle, comme en matière civile, non-seulement les anciens tribunaux ordinaires, tels que les basses et hautes justices seigneuriales, les bailliages, les sénéchaussées, les présidiaux, les parlements dont la compétence était souvent si incertaine, mais encore cette multitude innombrable de tribunaux d'attribution, chargés de juger des délits particuliers.

Aujourd'hui l'ordre des juridictions en matière criminelle suit la gradation indiquée par la nature même entre les divers actes défendus par la loi, qui veille à la sûreté publique.

Nous avons vu, dans la première partie, que ces actes sont ou des crimes, ou des délits, ou de simples contraventions.

par une cour régulatrice étrangère à toutes les affections comme à toutes les influences, qui ne connaît de guides que son devoir et la loi, et dont les lumières répondent au prince et aux justiciables de l'exactitude avec laquelle les prévenus et les accusés sont traduits devant leurs juges naturels, devant les tribunaux compétents pour connaître de la prévention ou de l'accusation.

DES EXCEPTIONS,

224. Cependant à diverses époques, certains crimes et certains délits ont été attribués à des tribunaux d'exception; mais les cours spéciales, dont la compétence était déterminée par la nature des crimes ou la qualité des personnes, et dont l'existence avait été maintenue malgré l'article de la Charte qui prohibe les tribunaux extraordinaires, ayant été supprimées au moment de la création des cours prévôtales en 1816 (3); les cours prévotales ayant elles

Ce qui est qualifié crime par la loi, ce qu'elle punit de peines afflictives ou infamantes, est Soumis à une instruction solennelle, soit devant la chambre des pairs, s'il s'agit de crime d'une certaine nature ou commis par certaines personnes élevées en dignité, soit devant les cours d'assises, où des jurés concourent avec les ju-mêmes cessé d'exister, et les cours spéciales ges à l'administration de la justice criminelle (1).

Les délits n'étant punis que de peines correctionnelles, la connaissance en est attribuée à des tribunaux appelés correctionnels, ou de police correctionnelle, dont les pouvoirs sont limités par le caractère mème des délits et la nature des peines que la loi y a attachées.

Enfin les contraventions à la police simple ont pour vengeurs naturels les tribunaux de police, dont les pouvoirs sont exercés, soit par les maires, soit par les juges de paix, dans l'ordre des attributions que leur a respectivement accordées la loi qui a établi leur concur

rence.

A la place de ces priviléges si abusifs des committimus et des évocations, la législation actuelle nous offre un ordre de juridiction constant, uniforme et général, que chacun connaît, que le caprice ou la protection, la faveur ou la haine, ne peuvent intervertir; et, dans chaque affaire, la compétence, d'abord déterminée par les tribunaux et par les cours, suivant la nature de la contravention, du délit ou du crime, peut toujours (2) et doit même souvent être définitivement examinée et fixée

n'ayant pu être rétablies, puisque la Charte ne consacre en principe comme juridiction d'exception, que la juridiction prévôtale, on ne peut ranger aujourd'hui dans la classe des exceptions des tribunaux extraordinaires qui ne font plus partie de notre système judiciaire (4),

Dans la nomenclature des exceptions, on doit placer les tribunaux institués pour l'armée de terre et pour l'armée navale. Nous avons examiné avec détail, dans un autre ouvrage (3), tout ce qui concerne l'organisation de ces tribunaux, leur compétence, la forme de procéder devant eux; nous avons indiqué les lois, les décrets dans lesquels ces tribunaux doivent puiser les règles de leur conduite et de leurs décisions : nous avons écrit alors pour les magistrats armés. L'utilité de cet ouvrage a été appréciée, et nous y renvoyons le lecteur qui voudrait connaitre exactement la législation criminelle militaire. Néanmoins, comme le traité que nous publions aujourd'hui, pour la troisième fois, doit donner une idée complète de ce qui concerne la législation et l'instruction criminelle en France; que l'armée est une partie assez importante de la nation, pour que le

royale, comme les chambres civiles. Les cours d'assises sont ou peuvent être formées des membres de ces cours, mais sont toujours du moins présidées par eux.

(1) Les cours spéciales et les cours prévôtales n'existent plus.-Les premières ont également cessé d'exister en Belgique, en vertu de l'art. 94 de la constitution. (Br., Cass., 22 déc. 1831; J. du 19e siècle, 1832, 45.)

(2) Nous disons toujours: car, lorsque les cours royales statuaient définitivement sur la compétence des cours prévôtales, la Cour de cassation n'en conservait pas moins, aux termes de l'art. 441 du Code, sa juri

diction générale sur ces arrêts de compétence, et même sur les arrêts définitifs des cours prévôtales; mais seulement elle ne pouvait l'exercer que suivant les formes déterminées par cet article. (V. infrà, nos 401 et 426.) (3) V. infrà, nos 421 et 426.

(4) Il ne peut être créé de commission, ni de tribunal extraordinaire, sous quelque dénomination que ce soit. (Constit. belge, art. 94.)

(5) V. notre Traité de la Procédure criminelle devant les tribunaux militaires et maritimes de toute espèce.

magistrat et le jurisconsulte ne doivent pas ignorer le droit qui la régit; que l'on ne peut avoir une connaissance exacte des lois positives et de leur influence, sans connaître aussi toutes les exceptions dont ces lois sont susceptibles, nous avons placé, dans ce traité, une analyse raisonnée sur les tribunaux militaires et maritimes actuellement existants (1); chacun y pourra trouver des notions précises sur la compétence à l'égard des militaires; c'est sur ce point majeur qu'il importe le plus d'être fixé; et notre extrait, quoique restreint, sera assez étendu pour ne rien laisser à désirer, du moins nous l'espérons, sur les questions de compétence que la juridiction militaire et maritime peut faire naître.

Là se borne le cercle des exceptions en ma. tière de juridiction répressive; car je ne crois pas que l'on puisse compter parmi les tribunaux de répression les conseils de prud'hommes, puisque les prud'hommes ne sont point des juges et ne sont point assimilés aux juges (2), et il en est de même de l'espèce de juridiction attribuée par divers décrets à l'université, juridiction qui n'est, à proprement parler, qu'un établissement de discipline domestique.

Nous nous occuperons successivement des tribunaux ordinaires et des tribunaux d'exception; et quoique l'ordre suivi par le Code d'instruction semblat nous faire un devoir de traiter d'abord des tribunaux de simple police et des tribunaux correctionnels; quoique cet ordre puisse, au premier aperçu, paraître plus méthodique, nous croyons devoir adopter, dans ce traité, une marche différente, qui nous semble plus conforme au plan que nous nous sommes formé.

Nous parlerons d'abord des cours d'assises, qui sont saisies de la connaissance des crimes après que la mise en accusation est prononcée, et dont les arrêts souverains ne peuvent être attaqués que par la voie du recours en cassation.

Nous examinerons ensuite les tribunaux de police;

Les tribunaux correctionnels;
La Cour de cassation;

Les cours royales, sous le rapport de leur participation à l'administration de la justice criminelle;

(1) Il sera également donné une analyse de la législation belge sur cette matière.

(2) V. infrà, no 465.

(5) Elle n'existe plus en Belgiqne.

(4) En Belgique le pouvoir judiciaire est indépendant des autres pouvoirs ; il est exercé par les cours et tribunaux; l'action du pouvoir exécutif ne commence que quand il s'agit d'exécuter leurs décisions. (V. art. 30 de la Constitution.)

(5) V. sur la délégation de l'autorité judiciaire, Henrion de Pansey, de l'Autorité judiciaire, chap. 2. (6) V. les art. 57 et 58 de la Charte. L'art. 61 contient

Les cours spéciales et les cours prévôtales, dont la juridiction est supprimée, mais dont il est utile de connaître les anciennes attributions et la forme de procéder;

La chambre des pairs, considérée comme cour de justice;

Les tribunaux militaires et maritimes; qui forment une exception au droit commun; La juridiction des prud'hommes et celle de l'université (3) ;

La procédure par contumace;

Les motifs de révision en matière criminelle;

Les effets de la grâce; de l'amnistie, de la réhabilitation;

Enfin, la prescription des peines.

Mais, avant d'entamer cette division, nous donnerons un aperçu de la discipline judiciaire, en le faisant précéder de quelques dispositions fondamentales; nous établirons ensuite des principes généraux, et nous indiquerons les modifications dont ils sont susceptibles.

SECTION I.

DISPOSITIONS FONDAMENTALES.

225. 1. Toute justice émane du roi et se rend en son nom (4).

2. Le roi n'administre la justice que par délégation (5).

3. Le pouvoir judiciaire est essentiellement distinct des autres pouvoirs. Les juges, nommés par le roi, sont inamovibles (6). L'inamovibilité des juges a pour objet de garantir leur indépendance.

4. La justice en France est rendue gratuitement (7).

5. Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d'ailleurs leurs titres et leur rang (8).

6. Personne ne peut être arrêté ni poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit (9).

7. Nul ne peut être jugé, en quelque tribunal que ce soit, sans avoir été entendu ou légalement appelé (10).

8. Nul ne peut être distrait de ses juges naturels. Il ne peut, en conséquence, être créé

une exception à l'égard des juges de paix. V. aussi l'ouvrage cité dans la note précédente.

(7) V. l'art. 7, des décrets des 4 et autres jours d'août 1789; l'organisation actuelle des tribunaux est conforme à ce principe. V. const. belge, art. 6. (8). art. 1er de la Charte et Const. belge, art. 7. (9) . art. 4 de la Charte.

(10) Ce principe est de tous les temps et de tous les lieux; en l'énonçant on le justifie. V. au surplus l'article 14, tit. II de la loi du 24 août 1790. V. aussi Cass., 7 août 1822. (D., 8, 155; S., 23, 65.)

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