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tence est déjà manifeste; car, selon l'expression d'Auguiste Comte, elle se compose beaucoup plus de morts et de non-nés que de vivants. Si l'unité n'a pu encore être obtenue objectivement pour ceux-ci et ne doit jamais l'être que par approximations successives, elle existe subjectivement relativement à nos ancêtres et à nos descendants. Nous supprimons naturellement toute incompatibilité entre les premiers, par l'oubli des imperfections et des particularités de temps et de lieu qu'ils devaient nécessairement présenter; de sorte que leur influence sur nous devient convergente et que, par l'organisation corporelle et cérébrale et les aptitudes que nous tenons d'eux, par la langue, les institutions, les mœurs, les procédés et les résultats de toute nature qu'ils nous lèguent en nous les imposant, ils nous gouvernent réellement de plus en plus. Quant aux seconds, que nous ne connaissons pas et ne connaîtrons jamais, mais pour qui nous nous efforçons en réalité d'accroître le patrimoine que nous tenons de nos ancêtres, afin que la vie soit plus douce pour eux qu'elle ne l'a été pour nous, et de nous améliorer nous-mêmes afin qu'ils soient meilleurs que nous ne sommes, il est bien évident que nous ne saurions faire entre eux aucune différence, mais que nous les unissons dans notre commune sollicitude et dans le secret espoir qu'ils prononceront peut-être notre nom avec reconnaissance et respect.

Voilà l'Humanité que nous honorons; elle se compose de la masse énorme de ceux qui ont vécu pour nous et de ceux pour qui nous aurons vécu, comme aussi de la terre qui a reçu et s'est incorporé les premiers et à la surface de laquelle travailleront un moment, avant de s'y coucher à leur tour, tous ceux par qui, que nous soyons ou non oubliés d'eux, nous continuerons à vivre de la même façon que nos pères revivent en nous.

Au fond, la notion d'Humanité est, pour nous, essentiellement subjective. Sans doute, elle correspond à une réalité extérieure, puisque l'évolution sociale consiste en pas successifs vers la réalisation d'une complète unité objective de l'espèce humaine, prenant enfin systématiquement possession de la planète à laquelle son existence est indissolublement

unie et qu'elle façonne de mieux en mieux à son usage. Mais cette Humanité se compose pour chacun de nous, beaucoup plus d'absents que de présents. Aux ancêtres et aux successeurs s'ajoute, en effet, la foule immense des contemporains dons nous ignorons l'existence, qui n'ont avec nous aucun rapport direct, et dont cependant nous ne pouvons méconnaître la solidarité avec notre propre vie. Et de même, nous ne connaissons en réalité notre terre que par la pensée; puisque nous n'en voyons jamais qu'une partie extrêmement réduite, presque négligeable, pendant un temps souvent très court. Mais l'ensemble s'impose à notre intelligence et détermine en nous un sentiment profond de gratitude et de respect.

De gratitude, parce que c'est aux morts que nous devons certainement d'exister et d'être ce que nous sommes; aux contemporains, connus ou inconnus, que nous devons de pouvoir agir et continuer à vivre; aux successeurs que nous devons la destination et, par suite, l'efficacité de nos pensées, de nos sentiments et de nos actes; à la terre enfin que nous devons les matériaux indispensables à notre conservation, à nos travaux, à nos plaisirs.

De, respect, parce que, devant cette immensité qui le domine en le protégeant, l'homme se sent d'une petitesse infinie il voit que, quels que puissent être ses efforts, il ne pourra jamais rendre qu'une infime proportion de ce qu'il a reçu. Cette constatation serait même de nature à le décourager, s'il n'était poussé à l'action par les nécessités matérielles et aussi par le sentiment de l'utilité actuelle ou future de ses actes, sentiment qui l'oblige à faire pour les autres ce qui a été fait pour lui. S'il ne lui est pas toujours donné d'augmenter sensiblement le capital humain, il pourra du moins contribuer à le conserver pour les successeurs et mériter ainsi d'être incorporé à l'Humanité qu'il aura servie.

Qu'on ne vienne donc plus nous accuser de rendre hommage à une simple conception de notre esprit! L'Humanité est une réalité vivante et tangible; car enfin la terre existe, nous existons, nos ancêtres ont existé et nous ont fait ce que nous sommes en nous traçant la voie, d'autres après nous existeront qui feront plus facilement et mieux ce que nous faisons

nous-mêmes. En quoi, si ce n'est par son immensité el sa durée, l'Humanité se distingue-t-elle d'un homme, d'un étre vivant quelconque? N'y retrouve-t-on pas aussi la persistance et le développement du type se combinant avec le renouvellement continu des éléments constituants? N'en est-il pas de même pour les familles et les patries dont l'Humanité se compose et qu'elle tend de plus en plus à unir? Où donc est l'illusion?

Poursuivons donc notre œuvre avec confiance, sans nous laisser émouvoir par les sarcasmes, les anathèmes et les calomnies que lancent contre nous des adversaires d'un jour ou les adeptes scandalisés de religions qui ne peuvent plus se faire croire et dont les masses se détournent de plus en plus. Certes, à ne considérer que notre petit nombre, que la faiblesse presque dérisoire de nos moyens d'action, notre tentative doit paraître à beaucoup absolument insensée. Mais n'a-t-on pas dit la même chose des premiers chrétiens? L'islamisme a-t-il mis à se constituer quelques années seulement? Avons-nous jamais prétendu que nous changerions du jour au lendemain la face du monde? Nous savons que notre œuvre sera très longue et hérissée de difficultés sans nombre; mais nous savons aussi que le temps combat pour nous, que nous allons dans le sens même de l'évolution de l'Humanité, et que nous sommes, pour ainsi dire, portés par le courant irrésistible créé par tout le passé. Pour réussir finalement, une seule condition est nécessaire, c'est que le petit noyau de fidèles qu'avait groupés Auguste Comte et qui, sous la direction de son successeur, M. Pierre Laffitte, s'est maintenu et agrandi malgré les vides déjà nombreux que la mort y a causés et malgré des défections regrettables, acquière assez de consistance pour résister victorieusement aux causes de destruction, tant intérieures qu'extérieures, que l'avenir tient en réserve. Il est nécessaire que notre association, dont le caractère international est aujourd'hui bien manifeste et qui comprend des personnes de toutes les conditions sociales, devienne de plus en plus homogène, afin de constituer un corps véritablement perpétuel, d'où puisse surgir le pouvoir spirituel de l'avenir.

La formation d'un nouveau pouvoir spirituel, a proclamé M. Laffitte après Auguste Comte, est la première condition d'une régénération non moins indispensable à l'ordre qu'au progrès. C'est à cette tâche difficile et délicate que doivent tendre tous nos efforts, c'est elle que nous devons avoir toujours devant les yeux, parce que c'est d'elle seule que dépendent les destinées futures de l'Humanité. Nous n'y faillirons pas.

LE TRAITEMENT DES RACES ARRIÉRÉES

PAR LES OCCIDENTAUX

(Traduction par André RICHER.)

Nous avons souvent blâmé, ici et autre part, les principales raisons parfaitement méprisables des agressions incessantes, pendant les quatre derniers siècles, des Européens, contre les populations arriérées des autres continents. Personne ne voudrait nier cependant que le désir de répandre les bienfaits de la civilisation ait été pour quelque chose dans ces procédés violents. Bien des hommes sont ainsi bâtis que, s'ils se laissent aller à faire mal, ils cherchent cependant à donner à leur action un mobile honorable et à se persuader eux-mêmes, plus ou moins complètement, que leur conduite peut être justifiée. Je ne cherche même pas à contester que ces races arriérées aient pu être quelquefois conquises par des gens animés d'une bienveillance toute pure, bien que je confesse ne pouvoir me souvenir, pour le moment, d'aucun exemple très caractérisé de ce cas. Mais, s'il s'en est présenté de semblables, ils sont trop rares et insignifiants pour infirmer l'opinion générale que le motif déterminant de ces conquêtes a toujours été l'avantage du conquérant, avantage qui se présentait le plus souvent sous forme d'acquisition de richesse matérielle, autrement dit, sous forme de pillage, terme tout aussi applicable à la terre qu'à la propriété mobilière, quand elle est injustement enlevée à son possesseur. Sans le stimulant de l'avidité personnelle, la conquête aurait été lente. Celle-ci entraîne toujours, en effet, de lourdes dépenses prélimi

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