Images de page
PDF
ePub

De ma pudeur les timides accents
Sont subjugués par la voix de mes sens.
Régnez sur eux ainsi que sur mon ame;
Je meurs, je meurs! Ciel! à quoi réduis-tu
Mon naturel qui combat ma vertu?
Je me dissous, je brûle, je me pâme :
Ah! le plaisir m'enivre malgré moi;

Je n'en puis plus, faut-il mourir sans toi?
Va, je le mets dessus ta conscience.

ROBERT avait un fonds de complaisance, Et de candeur et de religion;

De son épouse il eut compassion.
Hélas, dit-il, j'aurais voulu, Madame,
Par mon ardeur égaler votre flamme;

Mais que pourrai-je? Allez, vous pourrez tout,
Reprit la vieille; il n'est rien à votre âge
Dont un grand cœur enfin ne vienne à bout,
Avec des soins, de l'art et du courage :

Songez combien les dames de la cour
Célébreront ce prodige d'amour.
Je vous parais peut-être dégoûtante,
Un
peu ridée et même un peu puante;
Cela n'est rien pour des héros bien nés;
Fermez les yeux et bouchez-vous le nez.

Le chevalier, amoureux de la gloire,
Voulut enfin tenter cette victoire;
Il obéit et se piquant d'honneur,
N'écoutant plus que sa rare valeur,
Aidé du ciel, trouvant dans sa jeunesse
Ce qui tient lieu de beauté, de tendresse,
se mit à son devoir.

Fermant les yeux,

C'en est assez,

lui dit sa tendre épouse,

J'ai vu de vous ce que j'ai voulu voir;
Sur votre cœur j'ai connu mon pouvoir;
De ce pouvoir ma gloire était jalouse;
J'avais raison; convenez-en, mon fils,
Femme toujours est maîtresse au logis.
Ce qu'à jamais, ROBERT, je vous demande,
C'est qu'à mes soins vous vous laissiez guider :
Obéissez, mon amour vous commande
D'ouvrir les yeux et de me regarder.

ROBERT regarde; il voit à la lumière

De cent flambeaux, sur vingt lustres placés,
Dans un palais, qui fut cette chaumière,
Sous des rideaux de perles rehaussés,
Une beauté, dont le pinceau d'Apelle.
Ou de Vanlo, ni le ciseau fidèle
Du bon Pigal, le Moine, ou Phidias,
N'auraient jamais imité les appas..
C'était Vénus, mais Vénus amoureuse,
Telle qu'elle est, quand les cheveux épars,
Les yeux noyés dans sa langueur. heureuse,.
Entre ses bras elle attend le dieu Mars..

Tout est à vous, ce palais et moi-même; Jouissez-en, dit-elle à son vainqueur : Vous n'avez point dédaigné la laideur, Vous méritez que la beauté vous aime.

Or, maintenant j'entends mes auditeurs Me demander quelle était cette belle, De qui ROBERT eut les tendres faveurs. Mes chers amis, c'était la fée URGELLE, Qui dans son temps protégea nos guerriers, Et fit du bien aux pauvres chevaliers.

O l'heureux temps que celui de ces fables,

[ocr errors]

Des bons démons, des esprits familiers,
Des farfadets, aux mortels secourables!

On écoutait tous ces faits admirables

Dans son château, près d'un large foyer:
Le père et l'oncle, et la mère et la fille,
Et les voisins, et toute la famille,
Ouvraient l'oreille à monsieur l'aumônier,
Qui leur faisait des contes de sorcier.
On a banni les démons et les fées;
Sous la raison les grâces étouffées,
Livrent nos cœurs à l'insipidité;
Le raisonner tristement s'accrédite;
On court, hélas! après la vérité ;
Ah! croyez moi, l'erreur a sou mérite.

L'ÉDUCATION D'UN PRINCE.

PUISQUE le Dieu du jour, en ses douze voyages,
Habite tristement sa maison du Verseau,.
Que les monts sont encore assiégés des orages,
Et que nos prés riants sont engloutis sous l'eau,
Je veux au coin du feu vous faire un nouveau conte :
Nos loisirs sont plus doux par nos amusements.
Je suis vieux ; je l'avoue, et je n'ai point de honte
De goûter avec vous le plaisir des enfants.

Dans Bénévent jadis régnait un jeune prince,
Plongé dans la mollesse, ivre de son pouvoir,
Elevé comme un sot, et sans en rien savoir,
Méprisé des voisins, hai dans sa province.
Deux fripons gouvernaient cet État assez mince;

[ocr errors]

Ils avaient abruti l'esprit de monseigneur,
Aidés dans ce projet par son vieux confesseur;
Tous trois se relayaient. On lui faisait accroire
Qu'il avait des talents, des vertus, de la gloire;
Qu'un duc de Bénévent, dès qu'il était majeur,
Était du monde entier l'amour et la terreur;
Qu'il pouvait conquérir l'Italie et la France,
Que son trésor ducal regorgeait de finance;
Qu'il avait plus d'argent que n'en eut Salomon
Sur son terrain pierreux du torrent de Cédron.
Alamon (c'est le nom de ce prince imbécille)
Avalait cet encens,
et lourdement tranquille,
Entouré de bouffons et d'insipides jeux,

Quand il avait dîné, croyait son peuple heureux.
Il restait à la cour un brave militaire,
Émon, vieux serviteur du feu prince son père,
Qui n'étant point payé lui parlait librement,
Et prédisait malheur à son gouvernement.
Les ministres jaloux, qui bientôt le craignirent,
De ce pauvre honnête homme aisément se défirent;
Emon fut exilé; le maître n'en sut rien.
Le vieillard, confiné dans une métairie,
Cultivait sagement ses amis et son bien,
Et pleurait à la fois son maître et sa patrie.
Alamon loin de lui laissait couler sa vie
Dans l'insipidité de ses molles langueurs.
Des sots Bénéventins quelquefois les clameurs
Frappaient pour un moment son âme appesantie.
Ce bruit sourd et lointain, qu'avec peine il entend,
S'affaiblit dans sa course, et meurt en arrivant.
Le poids de la misère accablait la province;
Elle était dans les pleurs, Alamon dans l'ennui;

Les tyrans triomphaient. Dieu prit pitié de lui,
Il voulut qu'il aimât pour en faire un bon prince.
Il vit la jeune Amide, il la vit, l'entendit;
Il commença de vivre, et son cœur se sentit.
Il était beau, bien fait, et dans l'âge de plaire.
Son confesseur madré découvrit le mystère;
Il en fit un scrupule à son sot pénitent,
D'autant plus timoré qu'il était ignorant :

Et les deux scélérats, qui tremblaient que leur maître
Ne se connût un jour, et vînt à les connaître,
Envoyèrent Amide avec le pauvre Émon.
Elle fit son paquet, et le trempa de larmes.
On n'osait résister. Le timide Alamon,
Vainement attendri, s'arrachait à ses charmes;
Car son esprit flottant, d'un vain remords touché,
Commençant à s'ouvrir, n'était point débouché.

Comme elle allait partir, on entend : Bas les armes,
A la fuite, à la mort, combattons, tout périt,
Alla, San Germano, Mahomet, Jésus-Christ!
On voit un peuple entier fuyant de place en place.
Un guerrier en turban, plein de force et d'audace,
Suivi de musulmans, le cimeterre en main,
Sur des morts entassés se frayant un chemin,
Portant dans le palais le fer avec les flammes,
Egorgeait les maris, mettait à part les femmes.
Cet homme avait marché de Cume à Bénévent,
Sans que le ministère en eût le moindre vent;
La mort le devançait, et dans Rome la sainte
Saint Pierre avec saint Paul était transi de crainte.
C'était, mes chers amis, le superbe Abdala,

Pour corriger l'Eglise envoyé par Alla.

Dès qu'il fut au palais, tout fut mis dans les chaînes.

« PrécédentContinuer »