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<< Comme on pourra. J'ai du lard et des œufs. <«< Toute Française, à ce que j'imagine,

«Sait, bien ou mal, faire un peu de cuisine.

« Je n'ai qu'un lit, c'est assez pour nous deux. >> Disant ces mots, le rustre vigoureux,

D'un gros baiser sur sa bouche ébahie,
Ferme l'accès à toute répartie;

Et par avance il veut être payé
Du nouveau gîte à la belle octroyé.
Hélas! hélas! dit la dame affligée,
Il faudra donc qu'ici je sois mangée
D'un charbonnier ou de la dent des loups!
Le désespoir, la honte, le courroux
L'ont suffoquée; elle est évanouie.
Notre galant la rendait à la vie :

La fée arrive, et peut-être un peu tard.
Présente à tout, elle était à l'écart.

<< Vous voyez bien, dit-elle à sa filleule,
«Que vous étiez une franche bégueule.
«Ma chère enfant, rien n'est plus périlleux
«Que de quitter le bien pour être mieux. »

La leçon faite, on reconduit ma belle
Dans son logis. Tout y changea pour elle
En peu de temps, sitôt qu'elle changea.
Pour son profit elle se corrigea.
Sans avoir lu les beaux moyens de plaire
Du sieur Moncrif, et sans livre elle plut.
Que fallait-il à son cœur?.... Qu'il voulût.
Elle fut douce, attentive, polie,

Vive et prudente, et prit même en secret
Pour charbonnier un jeune amant discret,
Et fut alors une femme accomplie.

ENVOI A MADAME DE FLORIAN (1).

CHLOÉ, quand mon impertinente

A la fin connut la façon

De devenir femme charmante,
C'est de vous qu'elle prit leçon;
Mais elle est loin de son modèle.
Votre sort est plus singulier,
Vous aviez pis qu'un charbonnier,
Et vous avez mieux choisi qu'elle.

LES FINANCES.

1775.

QUAND Terrai nous mangeait, un honnête bourgeois,
Lassé des contre-temps d'une vie inquiète,
Transplanta sa famille au pays champenois :
Il avait près de Reims une obscure retraite ;
Son plus clair revenu consistait en bon vin.

Un jour qu'il arrangeait sa cave et son ménage,
Il fut, dans sa maison, visité d'un voisin,
Qui parut à ses yeux le seigneur du village :
Cet homme était suivi de brillants estafiers,
Sergents de la finance habillés en guerriers.

(1) Jolie Genevoise qui, après avoir fait divorce avec Rillet son mari, homme d'esprit, mais un peu bizarre, avait épousé M. de Florian, gentilhomme de Languedoc, alors veuf d'une nièce de M. de Voltaire.

Le bourgeois fit à tous une humble révérence,
Du meilleur de son cru prodigua l'abondance;
Puis il s'enquit tout bas quel était le seigneur
Qui faisait aux bourgeois un tel excès d'honneur.

Je suis, dit l'inconnu, dans les fermes nouvelles,
Le royal directeur des aides et gabelles....

Ah! pardon, Monseigneur! Quoi! vous aidez le roi?... Oui, l'ami.... Je révère un si sublime emploi:

Le mot d'aide s'entend : gabelles m'embarrasse.
D'où vient ce mot?.... D'un Juif appelé Gabelus.......... *.
Ah! d'un Juif! je le crois.... Selon les nobles us
De ce peuple divin, dont je chéris la race,

Je viens prendre chez vous les droits qui me sont dus.
J'ai fait quelques progrès par mon expérience
Dans l'art de travailler un royaume en finance.
Je fais loyalement deux parts de votre bien :
La première est au roi, qui n'en retire rien ;
La seconde est pour moi. Voici votre mémoire.
Tant pour les brocs de vin qu'ici nous avons bus;

Tant pour ceux qu'aux marchands vous n'avez point vendus,
Et pour ceux qu'avec vous nous comptons encor boire.
Tant pour le sel marin duquel nous présumons
Que vous deviez garnir vos savoureux jambons. 2
Vous ne l'avez point pris, et vous deviez le prendre.
Je ne suis point méchant, et j'ai l'âme assez tendre.
Composons, s'il vous plaît. Payez dans ce moment
Deux mille écus tournois par accommodement.

Mon badaud écoutait d'une mine attentive
Ce discours éloquent qu'il ne comprenait pas;
Lorsqu'un autre seigneur en son logis arrive,
Lui fait son compliment, le serre entre ses bras:
Que vous êtes heureux! votre bonne fortune,

En pénétrant mon cœur,

à nous deux est commune.

Du domaine royal je suis le contrôleur:

J'ai su que depuis peu vous goûtez le bonheur
D'être seul héritier de votre vieille tante.

Vous pensiez n'y gagner que mille écus de rente :
Sachez que la défunte en avait trois fois plus.
Jouissez de vos biens par mon savoir accrus.
Quand je vous enrichis, souffrez que je demande,
Pour vous être trompé, dix mille francs d'amende. 3
Aussitôt ces messieurs, discrètement unis,
Font des biens au soleil un petit inventaire,
Saisissent tout l'argent, démeublent le logis.
La femme du bourgeois crie et se désespère;
Le maître est interdit, la fille est toute en pleurs;
Un enfant de quatre ans joue avec les voleurs,
Heureux pour quelque temps d'ignorer sa disgrâce!
Son aîné, grand garçon, revenant de la chasse,
Veut secourir son père, et défend la maison :
On les prend, on les lie, on les mène en prison;
On les juge; on en fait de nobles Argonautes,
Qui du port de Toulon devenus nouveaux hôtes, 4
Vont ramer pour le roi vers la mer de Cadix.
La pauvre mère expire en embrassant son fils:
L'enfant abandonné gémit dans l'indigence:
La fille sans secours est servante à Paris.

C'est ainsi qu'on travaille un royaume en finance.

NOTES.

I IL y eut en effet le juif Gabelus qui eut des affaires d'argent avec le bon homme Tobie : et plusieurs doctes très sensés tirent de l'hébreu l'étymologie de gabelle; car on sait que c'est de l'hébreu que vient le français.

2 Un homme qui a tant de cochons doit prendre tant de sel pour les saler; et s'ils meurent, il doit prendre la même quantité de sel, sans quoi il est mis à l'amende, et on vend ses meubles.

3 Les contrôleurs du domaine évaluent toujours le bien dont tout collatéral hérite au triple de la valeur, le taxent suivant cette évaluation, imposent une amende excessive, vendent le bien à l'encan, et l'achètent à bon marché.

4 L'aventure est arrivée à la famille d'Antoine Fusigat.

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