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SÉSOSTRIS.

Vous le savez, chaque homme a son génie
Pour l'éclairer et pour guider ses pas
Dans les sentiers de cette courte vie.

A nos regards il ne se montre pas,
Mais en secret il nous tient compagnie.
On sait aussi qu'ils étaient autrefois

Plus familiers que dans l'âge où nous sommes;
Ils conversaient, vivaient avec les hommes
En bons amis, surtout avec les rois.

Près de Memphis, sur la rive féconde
Qu'en tous les temps, sous des palmiers fleuris,
Le dieu du Nil embellit de son onde,

Un soir au frais le jeune Sésostris

Se promenait loin de ses favoris,

Avec son ange, et lui disait : Mon maître,
Me voilà roi ; j'ai dans le fond du cœur
Un vrai désir de mériter de l'être :
Comment m'y prendre? Alors son directeur
Dit: Avançons vers ce grand labyrinthe
Dout Osiris fonda la belle enceinte;
Vous l'apprendrez. Docile à ses avis,
Le prince y vole. Il voit dans le parvis
Deux déités d'espèce différente;
L'une paraît une beauté touchante,
Au doux sourire, aux regards enchanteurs,
Languissamment couchée entre des fleurs,
D'Amours badins, de Grâces entourée,
Et de plaisir encor toute enivrée.

Contes, Satires, etc.

6

Loin derrière elle étaient trois assistants,
Secs, décharnés, pâles et chancelants.
Le roi demande à son guide fidèle

Et

Quelle est la nymphe et si tendre et si belle,
que font là ces trois vilaines gens.
Son compagnon lui répondit: Mon Prince,
Ignorez-vous quelle est cette beauté?

A votre cour, à la ville, en province,
Chacun l'adore, et c'est la Volupté.
Ces trois vilains qui vous font tant de peine
Marchent souvent après leur souveraine;
C'est le Dégoût, l'Ennui, le Repentir,
Spectres hideux, vieux enfants du Plaisir.
L'Égyptien fut affligé d'entendre

De ce propos la triste vérité.

Ami, dit-il, daignez aussi m'apprendre
Quelle est plus loin cette autre déité,

Qui me paraît moins facile et moins tendre,
Mais dont l'air noble et la sérénité

Me plaît assez. Je vois à son côté

Un sceptre d'or, une sphère, une épée,
Une balance. Elle tient dans sa main
Des manuscrits dont elle est occupée.
Tout l'ornement qui pare son beau sein
Est une égide. Un temple magnifique
S'ouvre à sa voix, tout brillant de clarté; ·
Sur le fronton de l'auguste portique

Je lis ces mots : A l'Immortalité.

Y puis-je entrer? L'entreprise est pénible,
Repartit l'ange; on a souvent tenté
D'y parvenir, mais on s'est rebuté.

Cette beauté, qui vous semble inflexible,

Peut quelquefois se laisser enflammer.
La Volupté, plus douce et plus sensible,
A plus d'attraits; l'autre sait mieux aimer.
Il faut, pour plaire à la fière immortelle,
Un esprit juste, un cœur pur et fidèle:
C'est la Sagesse. Et ce brillant séjour
Qu'on vient d'ouvrir, est celui de la Gloire.
Le bien qu'on fait y vit dans la mémoire ;
Votre beau nom doit y paraître un jour.
Décidez-vous entre ces deux déesses;
Vous ne pouvez les servir à la fois.

Le jeune roi lui dit : J'ai fait mon choix.
Ce que j'ai vu doit régler mes tendresses.
D'autres voudront les aimer toutes deux.
L'une un moment pourrait me rendre heureux;
L'autre par moi peut rendre heureux le monde.
A la première, avec un air galant,
Il appliqua deux baisers en passant;
Mais il donna son cœur à la seconde.

LE DIMANCHE,

OU

LES FILLES DE MINÉE. (1)

A MADAME ARNANCHF

1776.

Vous demandez, madame ARNANCHE,
Pourquoi nos dévots paysans,
Les cordeliers à la grand❜manche,
Et nos curés catéchisants

Aiment à boire le dimanche.
J'ai consulté bien des savants.
Huet, cet évêque d'Avranche,
Qui pour la Bible toujours penche,
Prétend qu'un usage si beau
Vient de Noé le patriarche,
Qui, justement dégoûté d'eau,
S'enivrait au sortir de l'arche.
Huet se trompe; c'est Bacchus,
C'est le législateur du Gange,
Ce dieu de cent peuples vaincus,
Cet inventeur de la vendange.
C'est lui qui voulut consacrer
Le dernier jour hebdomadaire
A boire, à rire, à ne rien faire :

(1) La première édition de ce conte parut sous le nom de M. de la Visclède, secrétaire perpétuel de l'académie de Marseille; îl était suivi d'une lettre en prose sous le même nom; on la trouvera dans cette édition parmi les mélanges littéraires.

On ne pouvait mieux honorer
La divinité de son père.
Il fut ordonné par les lois
D'employer ce jour salutaire
A ne faire œuvre de ses doigts
Qu'avec sa maîtresse et son verre.
Un jour ce digne fils de Dieu
Et de la pieuse Sémèle,
Descendit du ciel au saint lieu
Où sa mère, très peu cruelle,
Dans son beau sein l'avait conçu,
Où son père, l'ayant reçu,
L'avait enfermé dans sa cuisse;
Grands mystères bien expliqués,
Dont autrefois se sont moqués
Des gens d'esprit pleins de malice.
Bacchus à peine se montrait

Avec Silène et så monture,
Tout le peuple les adorait,
La campagne était sans culture.
Dévotement on folâtrait,
Et toute la cléricature
Courait en foule au cabaret.
Parmi ce brillant fanatisme,
Il fut un pauvre citoyen,
Nommé Minée, homme de bien,
Et soupçonné de jansénisme.
Ses trois filles filaient du lin,
Aimaient Dieu, servaient le prochain,
Evitaient la fainéantise,

Fuyaient les plaisirs, les amants;

Et, pour ne point perdre de temps,

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