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On vous l'enterre avec solennité;

Six jours entiers l'enfer est sa demeure;
Il est damné tant en corps qu'en esprit ;
Dans ces six jours chacun gémit et pleure,

Mais le septième il ressuscite; on rit.
Telle est, dit-on, la belle allégorie,
Le vrai portrait de l'homme et de la vie,
Six jours de peine, un seul jour de bonheur.
Du mal au bien toujours le destin change,
Mais il est peu de plaisirs sans douleur,
Et nos chagrins sont souvent sans mélange.

De la sage Climène enfin c'était le tour.
Son talent n'était pas de conter des sornettes,
De faire des romans ou l'histoire du jour,
De ramasser des faits perdus dans les gazettes.
Elle était un peu sèche, aimait la vérité,
La cherchait, la disait avec simplicité,
Se souciant fort peu qu'elle fût embellie;
Elle eût fait un bon tome à l'Encyclopédie.

Climène à ses deux sœurs adressa ce discours : Vous m'avez de nos Dieux raconté les amours, Les aventures, les mystères;

Si nous n'en croyons rien, que nous sert d'en parler?
Un mot devrait suffire: on a trompé nos pères,
Il ne faut pas leur ressembler.

Les Béotiens nos confrères

Chantent au cabaret l'histoire de nos Dieux;"
Le vulgaire se fait un grand plaisir de croire
Tous ces contes fastidieux

Dont on a dans l'enfance enrichi sa mémoire.

Pour moi, dût le curé me gronder après boire,

Je m'en tiens à vous dire, avec mon peu d'esprit,
Que je n'ai jamais cru rien de ce qu'on m'a dit.
D'un bout du monde à l'autre on ment et l'on mentit;
Nos neveux mentiront comme ont fait nos ancêtres.
Chroniqueurs, médecins et prêtres

Se sont moqués de nous dans leur fatras obscur;
Moquons-nous d'eux, c'est le plus sûr.
Je ne crois point à ces prophètes
Pourvus d'un esprit de Python,
Qui renoncent à leur raison

Pour prédire des choses faites.

Je ne crois pas qu'un Dieu nous fasse nos enfants;
Je ne crois point la guerre des géants:
Je ne crois point du tout à la prison profonde
D'un rival de Dieu même en son temps foudroyé;
Je ne crois point qu'un fat ait embrasé ce monde
Que son grand-père avait noyé.

Je ne crois aucun des miracles

Dont tout le monde parle, et qu'on n'a jamais vus. Je ne crois aucun des oracles

Que des charlatans out vendus.

Je ne crois point.... La belle au milieu de sa phrase
S'arrêta de frayeur; un bruit affreux s'entend,
La maison tremble, un coup de vent
Fait tomber le trio qui jase.

Avec tout son clergé Bacchus entre en buvant :
Et moi je crois, dit-il, mesdames les savantes,
Qu'en faisant trop les beaux esprits

Vous êtes des impertinentes.

Je crois que de mauvais écrits
Vous ont un peu tourné la tête.
Vous travaillez un jour de fête,

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Vous en aurez bientôt le prix,
Et ma vengeance est toute prête;
Je vous change en chauve-souris.
Aussitôt de nos trois reclues
Chaque membre se raccourcit;
Sous leur aisselle il s'étendit
Deux petites ailes velues.
Leur voix pour jamais se perdit;
Elles volèrent dans les rues,
Et devinrent oiseaux de nuit.
Ce châtiment fut tout le fruit
De leurs sciences prétendues.
Ce fut une grande leçon

Pour tout bon raisonneur qui fronde;
On connut qu'il est dans ce monde
Trop dangereux d'avoir raison.
Ovide a conté cette affaire;

La Fontaine en parle après lui;

Moi je la répète aujourd'hui,

Et j'aurais mieux fait de me taire.

LE SONGE CREUX.

Je veux conter comment la nuit dernière,

E

D'un vin d'Arbois largement abreuvé,

Par passe-temps dans mon lit j'ai rêvé
Que j'étais mort, et ne me trompais guère.
Je vis d'abord notre portier Cerbère,
De trois gosiers aboyant à la fois;
Il me fallut traverser trois rivières;
On me montra les trois sœurs filandières,
Qui font le sort des peuples et des rois.
Je fus conduit vers trois juges sournois
Qu'accompagnaient trois gaupes effroyables,
Filles d'enfer et geolières des diables;
Car, Dieu merci, tout se faisait par trois.
Ces lieux d'horreur effarouchaient ma vue;
Je frémissais à la sombre étendue
Du vaste abîme où des esprits pervers
Semblaient avoir englouti l'univers.

Je réclamais la clémence infinie

Des puissants Dieux, auteurs de tous les biens;
Je l'accusais, lorsqu'un heureux génie
Me conduisit aux champs élysiens,
Au doux séjour de la paix éternelle,

Et des plaisirs qui, dit-on, sont nés d'elle.
On me montra, sous des ombrages frais,
Mille héros connus par les bienfaits
Qu'ils ont versés sur la race mortelle,
Et qui pourtant n'existèrent jamais :

Le grand Bacchus, digne en tout de son père;
Bellerophon, vainqueur de la Chimère;
Cent demi-dieux des Grecs et des Romains.
En tous les temps tout pays eut ses saints.
Or, mes amis, il faut que je déclare
Que si j'étais rebuté du Tartare,
Cet Elysée et sa froide beauté
M'avaient aussi promptement dégoûté.
Impatient de fuir cette cohue,

Pour m'esquiver je cherchais une issue,
Quand j'aperçus un fantôme effrayant,
Plein de fumée, et tout enflé de vent,
Et qui semblait me fermer le
passage.
Que me veux-tu, dis-je à ce personnage?
Rien, me dit-il, car je suis le Néant.
Tout ce pays est de mon apanage.
De ce discours je fus un peu troublé :
Toi, le Néant! jamais il n'a parlé....
Si fait, je parle; on m'invoque et j'inspire
Tous les savants qui sur mon vastę empire
Ont publié tant d'énormes fatras.....
Eh bien! mon roi, je me jette en tes bras.
Puisqu'en ton sein tout l'univers se plonge,
Tiens, prends mes vers, ma personne et mon songe.
Je porte envie au mortel fortuné

Qui t'appartient au moment qu'il est né.

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