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officiers du Consulat général, les États-majors des deux corvettes françaises et quelques principaux négocians. MéhémetAli paraissait affecté. Il était taciturne. Je ne parlai pas de l'événement du jour en présence de tout le monde. Je lui dis seulement que je lui souhaitais une position digne et tranquille, après tant d'agitations et de vicissitudes. Le mot de dignité lui fit supposer sans doute que je lui adressais un reproche indirect sur la situation du moment; car il leva les yeux au ciel, me disant qu'il avait 72 ans, qu'il ne voulait verser le sang de personne, et qu'il croyait, comme Turc, à la fatalité. Je vis dès lors que tout était fini avec le commodore Napier. Cet officier supérieur, qui n'avait pas voulu aller voir Méhémet-Ali avant d'être d'accord avec lui sur tous les points de sa transaction, s'y rendit hier, aussitôt que tout fut terminé. On m'a dit que le Vice-roi l'avait reçu avec des égards inaccoutumés envers un Capitaine de vaisseau. Il alla à sa rencontre lorsqu'il entra dans le Divan, lui fit offrir la pipe, honneur qu'il n'accorde même plus aux Consuls généraux, et le reconduisit à sa sortie. Au lieu de voir dans le commodore Napier l'homme qui avait bombardé Beyrout, avant même le traité du 15 juillet lui eût été notifié, qui avait incendié toutes les villes des côtes de la Syrie, insurgé les populations et fait déserter les troupes égyptiennes, Méhémet-Ali ne vit en lui que l'officier anglais qui aurait pu détruire son Palais, et cela au milieu de fortifications hérissées de plus de 600 bouches à feu, avec 50 bâtimens de guerre, 25 mille marins dans le port, 20 mille hommes de vieilles troupes, campés autour d'Alexandrie, sans compter une garde nationale nombreuse et des nuées de Bédouins. Il y a, il faut le dire, dans la conduite de Méhémet-Ali, quelque chose de honteux, après tant de jactance, après avoir accepté le défi de toute l'Europe, après avoir été enfin sur le point de nous engager, à cause de ses prétentions exagérées et de son attitude menaçante, dans une guerre désastreuse. Il faudrait presque se féliciter que tout fût terminé comme la force des choses et des circonstances

que

l'a décidé, si la France avait été appelée à jouer, dans cette dernière transaction, le rôle qui lui était destiné. On a peine à concevoir comment le commodore Napier a pris sur lui d'en finir, lorsque M. de Pontois, dans une lettre du 17 novembre, que j'ai reçue avant-hier, me dit qu'il ne paraît pas que les représentans des trois autres cours aient encore reçu les instructions relatives à la déchéance, dont il est fait mention dans la lettre de Lord Palmerston du 15 octobre. Il est certain aussi, d'après ce que m'écrit encore M. de Pontois, qu'on ne voulait pas laisser à Méhémet-Ali l'avantage d'attendre, sans livrer la flotte et évacuer la Syrie, les chances que pourrait lui réserver l'avenir; ce qui aurait obligé les Alliés et surtout la Porte à maintenir un état de guerre ruineux. Au reste, Reschid Pacha et surtout Lord Ponsonby étaient toujours très mal disposés pour Méhémet-Ali, et l'on suppose même qu'ils apprendront avec peine l'arrangement qui vient d'avoir lieu, probablement sans leur consentement.

La précipitation mise par le commodore Napier dans cet arrangement a fait supposer qu'Ibrahim Pacha avait pu réunir une armée considérable et qu'il était peut-être devenu menaçant en Syrie. On a pensé aussi que la flotte anglaise avait un grand besoin d'aller prendre ses quartiers d'hiver.

Au moment de la conclusion, les deux généraux en chef de l'Hedjaz et de l'Yémen, Ahmed et Khourchid-Pachas, dont on parle comme de deux foudres de guerre, et qui semblaient devoir rétablir la face des affaires sont arrivés à Alexandrie. Ils sont suivis par dix mille hommes de vieilles troupes qui n'étaient pas plus disposées, dit-on, à se battre que les nouvelles.

La population entière européenne d'Alexandrie a appris avec joie la transaction entre le commodore Napier et Méhémet-Ali. L'amour-propre national français a été seulement humilié de ce qu'elle avait eu lieu par les menaces de l'Angleterre. On n'ôtera cependant pas à la France le mérite d'avoir assuré l'existence politique de Méhémet-Ali, et peut

être devons-nous regretter d'avoir élevé si haut un homme qui s'est toujours fait illusion sur sa force et qui n'a pas montré la franchise qu'on aurait dû attendre d'un noble caractère.

Quant à moi, Monsieur le Ministre, arrivé à l'épisode inattendu et le plus important d'une mission à laquelle j'ai dévoué sans relâche toute mon existence depuis trois ans, je n'éprouve aucun regret de la ligne politique que j'ai suivie. J'ai toujours pensé qu'il convenait à l'intégrité et à l'indépendance de l'Empire ottoman, à l'honneur et à l'intérêt de la France que Méhémet-Ali fût grand et puissant. Au moment où le poste d'Alexandrie va cesser d'avoir la même importance, j'ose espérer, Monsieur le Ministre, que vous voudrez bien m'accorder le congé que j'ai désiré depuis longtems et auquel j'ai toujours renoncé à cause des circonstances graves où l'on s'est constamment trouvé. J'ai le plus grand besoin de me reposer des fatigues de cette mission qui a été si longue, si laborieuse, si active et pendant laquelle s'est joué le plus grand drame politique des temps modernes. Si vous voulez bien m'accorder cette faveur, dont je serai très reconnaissant, je vous prie de me remplacer provisoirement par M. Desmeloizes, consul à Beyrout, qui a été deux ans avec moi à Alexandrie et qui a les connaissances, les qualités et les traditions nécessaires pour remplir convenablement la place pendant mon absence.

Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, etc.

COCHELET.

P. S.

Cette dépêche vous est expédiée par le bateau à vapeur le Caméléon qui se rend directement à Toulon.

Correspondance politique. Égypte, XI, fos 243-248.

-

37. Copie d'une correspondance de Constantinople en date du 27 novembre 1840.

SOMMAIRE: Nouvelles contradictoires. Izzet Mehemet Pacha, qui avait été nommé Pacha d'Acre et d'Égypte, a été destitué pour sa mauvaise conduite. Son successeur, Scherié Pacha, a été nommé aussi au pachalik d'Égypte: ce qui ne s'accorde pas avec ce qu'on dit au sujet des dernières décisions des Puissances. Mais Reschid Pacha impose ses volontés. Reschid-Pacha a beaucoup d'ennemis. La Russie semble se rapprocher de la France: mais l'influence anglaise est prépondérante. On signale du mécontentement et une vive agitation parmi les troupes de Syrie. Quand même il semble qu'on soit à la veille d'une solution.

Depuis plusieurs jours nous sommes privés des nouvelles de la Syrie, et celles que nous avons reçues d'Alexandrie, par le dernier bateau, sont contradictoires. Les unes prétendent le Vice-roi a ordonné à son fils d'évacuer la Syrie et d'autres qu'il veut continuer la guerre.

que

Izzet Méhémet Pacha, qui avait été nommé Pacha d'Acre et d'Égypte, a été destitué à cause de la mauvaise conduite qu'il a tenue, après la prise de cette forteresse. Les plaintes des Alliés contre lui, auprès de son Gouvernement, ont motivé sa destitution. Naturellement on a dû lui nommer un successeur et on a choisi Schérié Pacha, mais ce qui a étonné beaucoup le public, c'est qu'on l'a nommé aussi au Pachalik d'Égypte; cette dernière nouvelle a fait beaucoup de sensation sur notre place et a mis le trouble dans les esprits. Tout le monde croyait que la Porte ne songerait plus à nommer un Pacha en Egypte, puisqu'on espérait que les négociations étaient entamées entre les Alliés, la Porte et le Vice-roi; cette nomination prouve tout le contraire. Depuis l'arrivée du beteau à vapeur français, trois grands Conseils ont été tenus à la Porte; la nomination de Schérié Pacha en Égypte a été prononcée en plein Conseil par Reschid Pacha; mais il y eu de remarquable, dans cette assemblée où étaient réunis les plus hauts fonctionnaires de l'Empire, que très peu de membres se sont prononcés en faveur de cette nomination;

mais personne n'oserait aujourd'hui se prononcer contre les propositions de Reschid Pacha qui joue le rôle d'un Dictateur

Malgré son influence, peu s'en est fallu qu'il n'ait été culbuté; les intrigues de la Russie avaient presque réussi, mais il a connu le piège assez à temps. M. de Pontois n'était pas étranger au renversement de Reschid, car tant que ce Ministre aura le pouvoir absolu, la France et la Russie seront sans influence en Turquie. Reschid Pacha a beaucoup d'ennemis et particulièrement parmi ses collègues. La Russie est très vexée de ne jouer qu'un rôle secondaire; elle ne peut, à elle seule, faire changer l'état des choses. et elle cherche l'appui de la France. Les relations entre les deux Ministres russe et français sont très intimes; ils ont des entretiens très fréquens.

Pour le moment, c'est l'Angleterre qui gouverne l'Empire ottoman. Aucune décision n'est prise par le Gouvernement sans consulter Lord Ponsonby. Si Reschid Pacha tombe, l'influence anglaise tombera aussi.

Des discussions très-vives ont eu lieu dernièrement entre Reschid Pacha et Mustapha Pacha relativement à l'expédition des troupes en Syrie; ce dernier mettait de la lenteur à les expédier; des transports nolisés attendaient pour embarquer 3 mille hommes qui étaient prêts; ce n'est que depuis peu qu'ils sont partis et malgré eux. Pendant la traversée deux de ces navires avec 800 hommes de troupes, ont été dirigés par cellesci sur la côte d'Asie; elles ont assassiné le capitaine et l'équipage, et sont descendues à terre. Dès que le Gouvernement en a été informé, il a expédié des Albanais à leur poursuite; mais il sera bien difficile qu'on puisse les atteindre. Le mécontentement des troupes que l'on expédie en Syrie est grand. On prépare encore en toute hâte une nouvelle expédition de transports qui ont été nolisés depuis 3 jours pour 3 mille hommes.

Je vous préviens qu'il a été décidé dans une conférence des quatre Ministres alliés et à laquelle assistait Reschid, que si le

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