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que je suis encore aujourd'hui animé des mêmes vues; et je le dirai avec franchise, si j'ai toujours été naturellement porté pour la France, c'est que de tous les gouvernemens de l'Europe, c'est celui qui veut le plus sincèrement l'intégrité, l'indépendance et la prospérité de l'Empire ottoman.

Je prie Votre Majesté de croire que c'est l'amour de mon pays qui a toujours dirigé ma conduite.

Ainsi, après beaucoup de soins et de peines je commençais à faire régner l'ordre en Syrie, à faire succéder la paix et la tranquillité à l'anarchie et au désordre, à imprimer une nouvelle impulsion au commerce, à donner un libre essor aux arts et à l'industrie. Ces résultats ottenus en peu d'année me fesaient espérer de parvenir à la complète civilisation de cette province; et si j'ai insisté si vivement pour qu'elle restât sous mon autorité,c'est parce que j'avais la conviction que si elle m'était enlevée, tous les maux que j'en avais extirpés retomberaient de nouveau sur ce malheureux pays, tandis que la Syrie entre mes mains était un élément de force qui me mettait à même de porter des secours efficaces à mon souverain.

Mais aujourd'hui ce que je voulais éviter s'est en partie réalisé. L'influence étrangère est venue en aide aux élémens de désordre et d'insurrection. Une première tentative avait été impuissante, elle avait été éteinte à sa naissance. Cette fois-ci, ceux qui ont cru travailler pour l'intégrité de l'Empire ottoman en excitant à la révolte une de ses provinces, ont réussi, à force d'intrigues et d'instigations, à en armer les habitans les uns contre les autres, et à provoquer la guerre civile.

Les motifs d'intérêt général qui me portaient à désirer conserver la Syrie, n'existent donc plus: il reste mes intérêts personnels et ceux de ma famille; ceux là je suis prêt à les sacrifier à mon pays et à la paix du monde.

Aussi c'est à la haute sagesse de Votre Majesté que je m'adresse: je mets mon sort entre ses mains; Elle règlera à sa volonté les arrangemens qui doivent terminer ce différend.

Si Votre Majesté le juge convenable, je suis prêt à me contenter en Syrie du Pachalik d'Acre: cette province a résisté jusqu'à ce jour à tous les efforts qu'on a faits pour la soulever contre moi. Votre Majesté trouvera peut-être juste de faire aussi laisser sons mon autorité l'Ile de Candie.

Mais si ses hautes lumières lui fesaient juger que la Syrie entière doit être maintenue sous mon gouvernement, je suis prêt à combattre jusqu'au dernier soupir. Mon fils Ibrahim a sous ses ordres une armée considérable. Damas, Alep, les principales villes de Syrie, sont encore en mon pouvoir. L'armée du Hedjaz est en partie au Caire: le reste y sera sous peu de jours: mon neveu Ahmet Pacha la commandera. Des cheïkhs influents au Liban qui étaient établis au Caire, partent pour la montagne où sont également renvoyés sur la demande de votre Gouvernement, les Emirs et les Cheikhs que le Prince Béchir

avait récemment fait exiler au Sennâr.

J'ai en outre 40 bâtimens prêts à prendre la mer au premier signal de Votre Majesté.

Mon unique but en fesant aujourd'hui cette démarche auprès d'Elle, est de prévenir les malheurs d'une guerre générale: Elle n'eu doutera pas après l'assurance que je viens de lui donner de ma détermination de me sacrifier avec mes enfans, si Elle le jugeait necéssaire.

Faite il y a 20 jours, ou aurait pu voir dans cette démarche de la faiblesse. Mais aujourd'hui que mon existence est assurée, que la France s'est prononcée à cet égard, je ne cours que peu de risques à prolonger la guerre. Ce ne sont pas les forces que l'on pourrait deployer contre moi qui m'effraient. Ce qui m'effraie, ce serait d'être la cause d'une guerre générale qui n'aurait d'autre objet que la défense de mes intérêts personnels.

Aussi dans cette circonstance, je devais m'adresser à Votre Majesté dont la sagesse fait l'admiration du monde entier, et c'est entre ses mains que je viens remettre mon sort. Je lui demande seulement de daigner intervenir dans le traité qui

réglera définitivement les relations qui devront exister à l'avenir entre mon Souverain et moi. En retour de ce bienfait, je ne cesserai de témoigner toute ma vie au Roi et à la France la reconnaissance la plus vive, que je léguerai à mes enfans et à mes petits-enfans comme un devoir sacré à remplir.

Je m'arrête en suppliant Votre Majesté de daigner me continuer sa haute bienveillance, et en me recommandant humblement à ses bontés Royales.

7 novembre 1840 (le 12 ramadhan 1256).

Correspondance politique. Égypte, XII, fos 85-86.

7. Lettre particulière de M. Walewski à Monsieur Thiers.

SOMMAIRE: On attend des nouvelles d'Acre, qui a été attaquée le 1er novembre. - On compte beaucoup sur la lettre que Mohamed-Aly vient d'adresser au roi. Walewski en résume toute l'argumentation. C'est lui, Walewski, qui a eu l'idée de cette lettre: c'est un secret avec le Vice-roi et son premier drogman. - M. Cochelet lui-même n'est pas au courant. Et Walewski est effrayé de la responsabilité qu'il a prise; aussi procède-t-il avec «toute la circonspection imaginable Il a fourni tous les détails qui ont servi à la rédaction de la lettre du Vice-roi; il y a mis quatre jours et quatre nuits, surtout à y décider Mohamed Aly. Mais il voudrait savoir où M. Thiers en est avec les Chambres et avec l'Angleterre.

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Alexandrie, le 7 novembre 1840.

M. Cochelet vous transmet une lettre d'Ibrahim Pacha et un extrait du rapport de Mahmoud Bey, commandant d'Acre; cette forteresse a été attaquée le 1a novembre, il faut espérer qu'elle se défendra. Dans deux jours nous aurons des nouvelles positives par l'Euphrate qui vous sera immédiatement expédié. Il paraît positif que les troupes égyptiennes ont reçu l'ordre d'Ibrahim d'évacuer les défilés d'Adana et de se porter sur Alep. Mehémet-Ali n'en était pas informé, mais comme

il avait donné carte blanche à son fils, celui-ci aura agi sans ordre.

L'Euphrate vous portera peut-être quelque chose de plus important que les nouvelles; c'est la conclusion de la question d'Orient, et cela, sous la forme d'une lettre de Méhémet-Ali au Roi. Voici à peu près, quel serait le contenu de cette lettre. Méhémet-Ali proteste à la face du monde de sa reconnaissance pour le Roi et la France.

La déclaration que le Gouvernement français vient de faire de ne pas souffrir l'anéantissement de l'existence politique du Vice-roi, impose à ce dernier des devoirs qu'il saura remplir et d'abord celui d'exposer franchement les motifs de sa conduite:

Il a toujours eu en vue la puissance de l'Empire ottoman, son bonheur, etc.

Il tenait particulièrement à conserver le gouvernement de la Syrie parce qu'il était convaincu que si ce gouvernement lui était enlevé la Syrie retomberait dans l'état d'anarchie, de désordre, dont lui Méhémet-Ali l'avait tiré, parce que entre ses mains la Syrie était unélément de force qui le mettait à même de prêter un appui réel au Sultan et à la Turquie contre leurs ennemis; entre les mains de la Porte, la Syrie était voué› au désordre et à la guerre civile et devait être la proie de la première puissance qui voudrait s'en emparer.

Aujourd'hui, ce que redoutait Méhémet-Ali est arrivé, l'influence étrangère, après une première tentative impuissante, est parvenue non pas à soulever la Syrie entière, mais à armer les populations les unes contre les autres et à jeter pour longtenus dans ce pays le trouble et la désolation.

Les motifs d'intérêt général qu'avait Méhémet-Ali pour conserver le gouvernement de la Syrie n'existent donc plus; restent ses intérêts personnels et ceux de sa famille, mais pour ceux-là, il est prêt à les sacrifier au repos du monde, il ne voudrait pas surtout être la cause d'une guerre générale et entraîner la France à laquelle il doit tout dans une guerre

générale. Aussi, dans cette position, tout lui faisait un devoir de recourir à la sagesse du Roi des Français. Il vient donc mettre son sort entre les mains du Roi.

Il se contentera, s'il le faut, du Pachalik d'Acre dans lequel il n'y a eu aucun symptôme d'insurrection, et auprès des populations duquel tous les efforts des étrangers ont été infructueux.

Peut-être le Roi croira-t-il devoir lui faire accorder en plus l'Ile de Candie.

Si, au contraire, le Roi ne pensait pas qu'il fallût dans ce moment faire des concessions, il est prêt à combattre jusqu'à son dernier soupir, lui et ses enfans. Ses chances sont encore fort belles. Ibrahim Pacha a concentré son armée sur Damas et compte déjà plus de 25000 bayonnettes autour de lui. Saint Jean d'Acre se défendra à outrance.

Ahmet-Pacha, à la tête de 12.000 h. de troupes régulières, arrive de l'Hedjaz à marches forcées pour se porter sur la Syrie, il est déjà au Caire.

Les Bédouins du Delta partiraient dans cinq jours au nombre de 3000 pour recombattre les tribus arabes des environs de Damas qui se sont soulevées et pour assurer les communications. Enfin 40 bâtiments sont prêts à prendre la mer au premier signal du Roi des Français.

Méhémet-Ali espère donc que personne n'attribuera à la peur la démarche qu'il fait, sa vie entière protesterait contre une pareille inculpation.

D'ailleurs, il y a quinze jours, quand son existence était menacée, ou aurait pu voir de la faiblesse s'il avait cédé; mais aujourd'hui que la France a déclaré son existence politique nécessaire à l'équilibre européen, qu'a-t-il à craindre? La prolongation de la guerre n'a que fort peu de risques pour lui, mais, il le répète, ce qu'il craint c'est d'être la cause d'une guerre générale, c'est surtout d'entraîner la France dans une guerre qui n'aurait pour but que ses intérêts personnels, aussi il prend pour suprême arbitre de sa conduite le Roi des Français

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