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Bien que ce moyen ne fût pas absolument sûr, comme il m'était impossible de les faire parvenir moi-même, je les lui ai remis, et n'ai gardé que la lettre adressée à Ismaël, qui était devenue inutile, et que j'ai l'honneur de vous adresser. J'appareillai de Beyrout aussitôt que quelques réparations, indispensables à ma machine, me le permirent, c'est-à-dire le 6, à 8 heures du soir et j'arrivai devant Acre le 7, à 7 heures du matin.

Je trouvai sur rade 4 vaisseaux, 4 frégates, 1 brick, et 2 bateaux à vapeur. Je fus voir M. le Commandant anglais, afin de juger si les nouvelles, que j'avais apprises à Beyrout, se trouvaient être exactes, et je pense qu'en effet elles étaient la vérité, autant du moins qu'il est possible de l'obtenir, après une si grande catastrophe. Je vis également M. le Consul de Caïffa et de tous ces rapports il résulte:

1o Que la flotte, composée de 7 vaisseaux anglais, de 1 vaisseau turc, de 6 frégates ou corvettes anglaises, d'une frégate et une corvette autrichiennes, avait appareillé de Beyrout le samedi, commandée par l'amiral Stopfort.

2o Que dans la journée du dimanche deux bateaux à vapeur s'étaient rapprochés de la ville et lui avaient lancé des obus. Le lundi la flotte mouilla devant Acre, et le mardi elle commença le feu.

Le nombre total des bouches à feu montait à 800. La place répondit d'abord assez vigoureusement et maltraita un vaisseau, une corvette et un bateau à vapeur; mais une heure après le magasin à poudre sauta et fit d'énormes ravages parmi les hommes composant la réserve et qui se trouvaient tout près... On fait monter à 1600 le nombre des hommes tués par cet accident; toutefois le combat se continua jusqu'au coucher du soleil.

Mahmoud alors, profitant de la nuit se retira avec ce qui lui restait de troupes disponibles; mais les Montagnards s'étant présentés pour lui barrer le passage, une partie fut forcée de rentrer en ville. On porte à 2000 le nombre des soldats qui se sont sauvés et cherchent à gagner l'Égypte.

Le 4 au matin, les Anglais ne voyant pas recommencer le feu, débarquèrent des troupes turques; elles ne trouvèrent dans la ville que les 3000 hommes que les Montagnards avaient empêchés de fuir. Ces troupes s'étant rendues, furent expédiées immédiatement pour Constantinople, à bord du vaisseau turc, d'un bateau à vapeur et de quelques transports.

Je n'ai pu avoir aucune nouvelle de ce qu'est devenu Ismaël, l'ancien Gouverneur, qui est remplacé par Sélim Pacha.

Le colonel du Génie Schoutz a été grièvement blessé au bras, et remis entre les mains des Anglais. Ils avouent 23 hommes tués dont un Autrichien et 48 hommes blessés.

La prise d'Acre entraîne naturellement celle de Jaffa; ainsi toute la côte de la Syrie est, à présent, en leur pouvoir. On annonce l'arrivée prochaine de 10.000 Turcs qui joints aux 6000, déjà à terre, et à 2 ou 3000 Anglais doivent marcher sur Balbec, sous les ordres du général Jacmorette, officier prussien, maintenant Major-général de l'armée turque, pour y attaquer Ibrahim-Pacha.

Caïffa n'est point occupé, toutefois les troupes égyptiennes s'étant retirées, ce point appartient au Grand Seigneur. En attendant il n'y a point d'autorités.

M. Bernard m'a chargé de vous informer. M. le Consul général, que les Anglais s'étaient montrés très malveillans à Acre envers les Pères de la Terre Sainte et les avaient insultés; il m'a dit qu'il aurait l'honneur de vous écrire à ce sujet.

J'ai quitté Caïffa à 11 heures du matin, et j'ai fait route sur Alexandrie.

Il est certain maintenant que l'Escadre anglaise a l'intention de passer l'hiver sur les côtes de Syrie. Ainsi quelque parti qu'on veuille prendre, il ne faut pas compter sur l'espèce de trêve que le mauvais tems semblait devoir promettre. Il serait même peu surprenant que la flotte ne tentât un coup

de main sur Alexandrie; elle paraît pleine de confiance, et les chefs décidés à poursuivre vivement leurs faciles succès.

Je ne terminerai pas ce rapport, M. le Consul général, sans vous faire connaître les bruits qui circulent dans le pays et que les Anglais eux-mêmes y ont répandus:

1o Ils promettent le rétablissement d'un royaume d'Israël; 20 Que chaque canton de la Montagne sera gouverné par un Cheick de son choix, et soumis au Grand Seigneur qui n'y règnerait que de nom.

Malgré l'affection connue des Maronites pour nous, des chefs eux-mêmes ont offert d'embrasser la Religion anglicane s'il le fallait plutôt que de retomber sous la domination d'Ibrahim. S'il en était temps encore, et que la France rentrât dans le traité des Quatre Puissances, il faudrait assurer aux Maronites une indépendance, qui, sans elle, ne sera qu'illusoire, et notre prépondérance serait rétablie, et le nom anglais détesté, car ils ont déjà fait bien du mal.

J'ai l'honneur d'être, etc.

DE VALMONT.

A bord de l'Euphrate, en rade d'Alexandrie le 9 novembre 1840.

Correspondance politique. Égypte, XII, for 119-120.

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12. M. Cochelet à Son Excellence Monsieur Thiers Président du Conseil, Ministre des Affaires étrangères.

SOMMAIRE: La triste nouvelle de la prise d'Acre.

- La malveillance et la trahison n'y Consternation à Alexandrie.

ont pas été étrangères. Cochelet, accompagné du commandant Gallice, a porté ses consolations au Vice-roi. Il donne pleins pouvoirs au commandant Gallice pour la défense d'Alexandrie. A Cochelet comme « véritable ami » il demande conseil pour le cas où l'amiral Stopford lui demanderait de s'adresser directement à l'Angleterre pour garder l'Égypte à titre héréditaire. Cochelet répond qu'après la note du 8 octobre et la position que la France a prise, c'est sur elle surtout qu'il peut et doit compter: il ne peut pas courber la tête « lorsqu'un ami généreux et désintéressé lui a noblement tendu la main en présence de cinq Puissance coalisées. » — Mohamed-Aly se redresse fièrement sur son divan et déclare qu'il restera soumis et dévoué à la France. Il a donné ordre à Ibrahim-Pacha de ramener son armée en Égypte; mais le pourrat-il? D'autre part les populations catholiques de la Syrie appellent la protection de la France et les Anglais y sont déjà détestés. L'anarchie y règne partout. Et le Vice-roi se montre « supérieur à la mauvaise fortune ». — Il se prépare à la défense d'Alexandrie. Cochelet n'y a pas confiance, si la France n'y intervient Le Vice-roi voulait faire sortir sa flotte: Cochelet a réussi à l'en dissuader: elle ne doit être mise en mer que par notre ordre et sous notre patronage.

pas.

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Alexandrie, le 10 novembre 1840.

MONSIEUR LE MINISTRE,

Le bateau à vapeur l'Euphrate qui est entré hier matin dans ce port de retour de son voyage sur les côtes de la Syrie, nous a apporté la triste nouvelle de la prise de SaintJéan d'Acre. M. de Valmont, commandant de ce bâtiment, m'a remis aussitôt son arrivée le rapport ci-joint et les deux dépêches. nos 22 et 23, également annexées, de M. le Consul du Roi à Beyrout, qui vous sont adressées.

Lorsque j'annonçais à Votre Excellence, le 7 de ce mois, que le bombardement de Saint-Jean d'Acre avait commencé le 1er novembre, j'étais loin de supposer que deux jours après je lui apprendrais un dénouement aussi prompt que celui de la reddition de cette forteresse, surtout avec les assurances positives qui avaient été données par le colonel Schultz, of

ficier du génie Polonais, qu'elle tiendrait longtemps. Ce brave officier a fait au reste son devoir jusqu'au moment où il a eu le bras fracassé par un éclat d'obus. Il paraît que la malveillance et la trahison n'ont pas été étrangères à la prompte soumission de la garnison qui avait perdu, ce que j'ai peine à croire, 1600 hommes par l'explosion du magasin à poudre.

La consternation a été grande à Alexandrie en apprenant cette nouvelle. J'ai envoyé aussitôt M. de Valmont chez Méhémet-Ali, qui le connaissait déjà, pour lui donner les détails que contenait son rapport. Le vénérable vieillard paraissait fort affecté, mais sa douleur était concentrée. Le soir j'ai été le visiter. Vous devez bien penser, Monsieur le Ministre, que je lui ai adressé des consolations plutôt que des reproches. Ma présence seule était déjà un reproche tacite de ce qui s'est passé en Syrie, car après tout ce qu'il m'a dit sans cesse de la force de son armée et de l'esprit qui l'animait, il doit éprouver, en me voyant, une certaine gêne qui est bien naturelle mais que je cherche à rendre moins pénible, par un redoublement d'égards.

J'avais amené avec moi le Chef de bataillon français du génie, Gallice, qui est chargé avec le général d'artillerie Sélim Pacha, de la défense d'Alexandrie. Méhémet-Ali leur a donné immédiatement, en ma présence, des pleins pouvoirs pour prendre toutes les mesures que les évènemens peuvent nécessiter. Aussitôt qu'ils furent partis, Méhémet-Ali me dit qu'il avait appris que l'amiral Stopford devait venir bientôt devant Alexandrie et qu'il supposait que son intention était encore de lui proposer de s'en remettre à lui du soin de lui faire obtenir par l'Angleterre, l'hérédité de l'Égypte. Il me priait donc de lui donner, en véritable ami, un conseil sur ce qu'il devrait répondre. Après avoir un peu réfléchi, je lui dis qu'il me semblait que sa ligne de conduite était maintenant toute tracée, par la communication de la note du 8 octobre que j'avais eu l'honneur de lui faire, qu'il ne devait avoir aucun doute sur l'intention bien arrêtée de la France de lui conser

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