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35.

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Circulaire en date du 27 novembre 1840, adressée

par le Divan ou Cabinet particulier de Méhémet-All à toutes les administrations de l'Egypte.

SOMMAIRE: C'est une loi de l'organisation du monde que la paix succède à la guerre comme la guerre à la paix. Ainsi depuis la bataille de Nézib, il n'était question que de la guerre. Voici revenue l'époque providentielle de la paix: communication de l'amiral Napier annonçant que les Grandes Puissances de l'Europe avaient reconnu à la famille du Vice-roi le gouvernement héréditaire de l'Égypte.

Le Vice-roi a tout de suite accueilli cette demande et donné des ordres pour l'évacuation de la Syrie par les troupes d'Ibrahim-Pacha.

Le monde se renouvelant et variant sans cesse, c'est une loi de son organisation que les phénomènes de la paix et de la guerre se succèdent tour à tour sur la terre; et une étude attentive de l'histoire démontre que chaque effet étant lié à une cause, et toutes choses en ce monde s'accomplissant par la volonté du Tout-Puissant, les actions de l'homme et même généralement les causes et les moyens n'exercent sur les évènemens qu'une influence indirecte et subordonnée aux desseins de la Providence.

Ainsi, depuis la bataille de Nézib jusqu'à ce jour, mille obstacles paraissaient s'opposer au rétablissement de la paix et de la bonne harmonie, et l'on ne voyait pas par quels moyens ces bienfaits seraient rendus au monde, lorsque l'époque providentielle de leur retour étant venue, l'amiral Napier, Commandant l'Escadre anglaise dans la Méditerranée, s'est présenté devant Alexandrie et a demandé que la paix fût conclue, en notifiant que les Grandes Puissances de l'Europe avaient décidé d'accorder à la famille du Vice-roi le Gouvernement héréditaire de l'Égypte. Son Altesse, ayant à cœur d'empêcher l'effusion du sang, de tranquilliser les habitans du pays et de les rendre à leurs paisibles travaux d'industrie, de commerce et d'agriculture, s'est empressé d'accueillir la demande de l'Amiral et elle a immédiatement envoyé au généralissime

Ibrahim Pacha l'ordre d'évacuer la Syrie et de revenir en Égypte avec toute l'armée et tout ce qui est au service egyptien.

Le Divan du Mouavénét (cabinet du Vice-roi), a l'honneur de faire part de ces nouvelles à tous les Chefs d'administration.

Correspondance politique. Egypt, XI, fo 242.

36.

M. Cochelet à Son Excellence Monsieur Guizot Ministre Secrétaire d'Etat des Affaires étrangères.

SOMMAIRE: Résolution prise par le Vice-roi d'accepter l'hérédité de l'Égypte seule, de rendre la flotte ottomane et d'évacuer la Syrie. Circonstances qui ont amené cet important dénouement. Sollicitations de tout son entourage et du commerce par crainte d'un bombardement. Agitation parmi les troupes: Mohamed-Aly

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a pu redouter une insurrection de soldats qui eût pu lui coûter la vie. — Il a seulement voulu obtenir du commodore Napier les garanties des avantages promis. -Mohamed-Aly a demandé à voir Cochelet. Cochelet s'y est refusé, n'ayant pas à prendre part aux arrangements convenus entre le Vice-roi et le commodore anglais, et devant attendre là-dessus les ordres de son Gouvernement; il a ajouté qu'en agissant ainsi après sa lettre au Roi, Mohamed-Aly se mettait dans une position fausse, peu digne et peu honorable. Cochelet n'a pas voulu s'associer à la défection peu digne du Vice-roi: à lui seul de juger de la gravité des circonstances; mais Cochelet regrette qu'il ait abusé la France sur sa force et sur son caractère. Le lendemain, à la réception du Bairam, Cochelet lui souhaite une position « digne et tranquille »: il y sent un reproche, lève les yeux au ciel, dit qu'il a 72 ans et qu'il croit à la fatalité. - Le Vice-roi reçoit le commodore Napier avec des égards inaccoutumés. Cochelet emploie à ce sujet le langage le plus sévère: il y a là quelque chose de honteux, après tant de jactance, après avoir accepté le défi de toute l'Europe. On s'étonne beaucoup, dans tous les milieux, de l'initiative prise par le commodore Napier, avant toute communication régulière de la Porte ou des autres puissances européennes. Cochelet demande le congé qu'il désire depuis longtemps, fatigué de cette longue mission «pendant laquelle s'est joué le plus grand drame politique des temps modernes ». Il pourrait être remplacé provisoirement par M. Desmeloizes, consul à Beyrout.

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Alexandrie, le 27 novembre 1840.

MONSIEUR LE MINISTRE,

Mes dépêches des 23 et 25 de ce mois, qui sont parties hier par le bateau à vapeur anglais l'Oriental qui se rend directe

ment à Malte, vous ont fait connaître le commencement des négociations entamées entre le commodore Napier et Méhémet-Ali. J'ai remis, à la hâte, à ce paquebot, au moment de son départ, une dépêche télégraphique ainsi conçue: «Après une longue correspondance entre le commodore Napier et le Ministre des affaires étrangères de Méhémet Ali, le Viceroi s'est décidé, aujourd'hui, à accepter l'hérédité de l'Egypte seule, à rendre la flotte ottomane et à évacuer la Syrie ».

Je vais vous rendre compte maintenant, Monsieur le Ministre, des diverses circonstances qui ont donné lieu à cet important dénouements.

J'ai eu l'honneur de vous transmettre une copie des notes qui ont été échangées, dans les journées des 22, 23 et 24 novembre, entre le Commodore Napier et Boghos Bey. Je soins à cette dépêche celles qui ont été écrites les 25 et 26 suivant.

C'est hier matin que Méhémet Ali s'est décidé à accepter toutes les conditions qui lui ont été proposées. Je dois dire, Monsieur le Ministre, qu'il a cédé aux sollicitations qui lui ont été faites par tous ceux qui l'entourent et le voyent habituellement, consuls généraux, négocians étrangers, Turcs, Arabes, sans en excepter aucun, mais surtout que chacun a été dominé par la crainte d'un bombardement immédiat et une espèce de terreur panique qui s'était répandue dans la population. Les troupes, fortement travaillées depuis deux jours, disaient déjà hautement qu'elles ne se battraient pas. Les artilleurs d'une des principales batteries avaient encloué leurs canons. Méhémet Ali était inquiet, agité, et craignait de perdre l'Égypte au milieu d'une insurrection de soldats qui aurait trahi sa faiblesse, ou d'une émente populaire dont il aurait peut-être été sa victime. Son parti fut irrévocablement pris le 25 au soir, d'accepter l'hérédité de l'Égypte. Il n'eut plus d'hésitation que sur les conditions qui lui étaient imposées relativement à la flotte ottomane et à l'évacuation de la Syrie. En ce qui concerne la flotte, il fut décidé, le 25 au soir, par

la lettre ci-jointe du commodore Napier, qu'elle se tiendrait prête seulement à mettre à la voile, et qu'on n'insisterait pas sur son départ jusqu'à ce que le gouvernement héréditaire de l'Égypte eût été garanti au Pacha. Quant à l'évacuation de la Syrie, ce fut seulement le 26 qu'il fut convenu qu'elle aurait lieu immédiatement et qu'un officier égyptien partirait aussitôt avec un officier anglais pour en donner l'ordre à Ibrahim Pacha.

La veille au soir, Méhémet-Ali m'avait envoyé son second interprète pour me prier de passer au sérail afin de me consulter sur la manière dont l'évacuation de la Syrie devait avoir lieu, dans l'espérance sans doute que je ne lui refuserais pas mes conseils et que je légitimerais en quelque sorte, par ma présence, sa transaction avec le commodore Napier. Je refusai nettement d'aller au Palais, et je m'étonnai même que Méhémet-Ali ait eu l'idée de me consulter, lorsque tous ses arrangemens étaient déjà conclus avec l'Amiral anglais. Je lui fis dire que, d'après sa lettre du 7 novembre adressée au Roi, qui avait été écrite sans ma participation, son rôle et le mien étaient tracés, qu'il était de sa dignité et de mon devoir d'attendre les ordres de Sa Majesté, que le nouveau gouvernement du Roi, ainsi que je le lui avais dit quelques jours auparavant, s'était placé sur le terrain du mémorandum du 3 et de la note du 8 octobre; qu'il négociait activement en sa faveur, très certainement et dans tous les cas, pour qu'il ait l'Égypte héréditaire, mais peut-être aussi pour quelque chose de plus que le traité du 15 juillet, ou enfin pour un statu quo militaire qui permettrait de négocier pendant l'hiver sur la base d'une compensation quelconque. J'ajoutai qu'il me paraissait au moins extraordinaire que le commodore Napier vînt, sans une autorisation préalable de toutes les Puissances ou sans un ordre régulier de la Porte, proposer à MéhémetAli de se contenter de l'hérédité de l'Egypte, lorsque c'était la France, par sa note du 8 octobre, adressée à toutes les cours, qui avait nettement déclaré qu'elle ne consentirait pas à la

mise à exécution de l'acte de déchéance prononcé à Constantinople; qu'ainsi donc, Méhémet Ali, par la précipitation qu'il mettait à accepter, de la main de ceux qui venaient de le déposséder de la Syrie et qui avaient même sollicité sa déchéance, les avantages que la France, seule et la première entre toutes les Puissances, s'était engagée hautement à lui assurer, que Méhémet-Ali, ai-je dit, se plaçait vis-à-vis de nous, surtout après la lettre écrite par lui au Roi, dans une position fausse, peu digne et peu honorable; qu'il était à craindre que le Gouvernement du Roi, tout en lui sachant gré de sa modération pour empêcher un conflit entre lui et les grandes Puissances, ne le blâmât d'avoir si tôt désespéré de son appui, lorsqu'il travaillait à lui faire obtenir, par les négociations, plus que ce qu'il venait d'accepter.

Le langage que j'ai tenu à l'interprète de Méhémet-Ali, pour qu'il le lui transmît, m'était dicté par la position particulière que j'ai toujours gardée en Égypte, et la conduite que la situation nouvelle m'imposait. En évitant de m'associer, par mes conseils, à la défection peu digne, à mon avis, de Méhémet-Ali, je n'ai pas voulu, cependant, le précipiter par des exhortations inutiles et fanfaronnes, dans l'abîme de malheurs où aurait pu le faire tomber un bombardement immédiat, à cause des dispositions bien connues de la troupe et du peuple. Je me suis borné à lui faire dire qu'il connaissait sa position, les engagemens qu'il avait pris et les devoirs qu'il avait à remplir; que c'était à lui à juger de la gravité des circonstances; que je le plaignais sincèrement d'avoir si mal connu son armée et son peuple, qui étaient disposés partout à l'abandonner, lorsqu'il les avait constamment présentés à toute l'Europe comme une espèce d'épouvantail et que je regrettais surtout qu'il ait abusé la France sur sa force et son caractère.

Le lendemain était le second pour du Bairam ou fête musulmane dans laquelle Méhémet Ali reçoit tous les consuls généraux et les Européens. Je m'y rendis en uniforme avec les

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