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Ces lentes victimes du temps,

Ces fantômes, ces pénitents,
Dans un éternel esclavage

Me semblent libres et contents

Sous le poids des fers et de l'âge.
Contents! Hélas! ils n'ont point vu...
O Dieu! si de mon immortelle
Un regard leur étoit connu,
Verroient-ils un bonheur loin d'elle?

Mais vous, que nos déserts épais, Nos tombeaux, notre nuit profonde, N'entourent point de leurs cyprès,. Vous, heureux habitants du monde, Qui vivez, qui voyez ses traits,

Pouvez-vous la quitter jamais ?
Pour elle votre ame ravie
N'a-t-elle pas trop peu de temps
De tout l'espace de vos ans?
Je voudrois de toute ma vie
Acheter un de vos instants!

Contraint de dévorer mes peines

Parmi le silence et l'effroi

De ces retraites souterraines,

Toujours seul, toujours avec moi, Exclus de l'asile ordinaire

Que la nature ouvre au malheur,
Je suis privé, dans ma misere,
De la consolante douceur

De pouvoir répandre mon cœur
Dans l'ame sensible et sincere
D'un fidele dépositaire

De mon éternelle douleur.

Rien n'offre en ce monde sauvage

Ni soulagement ni pitié;

Et, pour en achever l'image,
On n'y connoît point l'amitié.
Si quelquefois moins égarée
La raison me luit un instant,
Et me dit qu'un travail constant
Trompera l'immense durée
Du temps qui fuit si lentement
Pour une ame désespérée ;
Plus forte que tous mes projets,
Bientôt une image adorée

Se fait voir dans tous les objets.

De mes crayons, de mon ciseau

Elle est le guide et le modele;
Sur le tour un essai nouveau

Chaque jour lui promet mon zele.

Si je cultive, dès l'aurore,

Ces jasmins, ces myrtes, ces fleurs,

C'est

pour offrir l'encens de Flore

Et les plus brillantes couleurs

A l'immortelle que j'adore.

Quand cette vigne dont mes mains

Guident la seve vagabonde

Répond au soin qui la féconde
Et se couronne de raisins :
Croissez, leur dis-je avec tendresse,
Fruits heureux, embellissez-vous;
Que sur vous l'automne s'empresse
Et vous livre au sort le plus doux!
Défendus par ma vigilance
De mille insectes renaissants,
Garantis de la violence

Et du sagittaire et des vents,
Dans votre fraîcheur la plus pure,
Au sein des hivers dévorants,
Vous irez porter mon encens
Et l'hommage de la nature

A la déesse du printemps.

Ces dons de l'amour et des arts,
Présentés sous le nom du zele,
Seront offerts à ses regards.

Dieux! ils seront touchés par elle !
Avant que de m'en détacher,

Que des pleurs, des baisers de flamme,

Fassent passer toute mon ame

Dans ces dons qu'elle doit toucher !

VERS

A LA VILLE D'ARRAS,

Où l'auteur avoit accompagné M. DE CHAUVELIN, intendant de Picardie.

RESPECTAB BLE séjour de ces vertus antiques,
Et de ce goût du vrai, l'honneur des premiers temps,
Terre où vont refleurir les arts les plus brillants,
Et qui verras ton nom aux fastes poétiques

Parmi les temples des talents;

Si quelques succès dus à la seule indulgence
M'ont pu mériter les regards

De ceux de tes enfants qu'unit l'amour des arts,
Jouis de ma reconnoissance,

Et contemple avec moi, dans ces mêmes succès,
Les monuments de tes bienfaits.

L'un de tes citoyens * aux lieux de ma naissance
Daigna former, instruire et guider mon enfance.
Il m'apprit à penser: il m'apprit encor plus;
En ouvrant à mes yeux les routes du génie,

* Le P. Lagneau.

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