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ÉPITRE

SUR L'ÉGALITÉ.

TOUT est égal après les dieux.
Le même jour, la même argile
Nous donna les mêmes aïeux;
Et malgré ces tributs honteux
D'une dépendance servile,
Que l'opinion imbécille
Paye à des titres fastueux,
Exempte d'un culte hypocrite
La raison ne connoit de rangs
Que ceux que donne le mérite,
Et de titres que les talents.

Sur la liste qu'elle a des hommes,
Peu de noms se trouvent écrits.
Trop souvent les riches lambris
N'enferment que de vains fantômes,
Le vil objet de ses mépris;
Tandis que sous un toit vulgaire,
Loin de l'insolence et des grands,
Aux pieds d'un mortel solitaire
Elle va porter son encens.

mm

Toi, qu'elle suit et qu'elle éclaire,

Toi, qui ne t'es jamais prêté
Aux bassesses de l'imposture;
Toi, dont l'inflexible droiture
N'a jamais encore écouté

Que les regles de la nature

Et

que l'austere vérité;

Viens, ami, fuyons les idoles

Que fabriqua la vanité :

Convaincus de l'égalité,

Vengeons contre des dieux frivoles
L'injure de l'humanité;

Et, libres d'un hommage infâme,
Loin de la foule relégués,

Ne distinguons que ceux que l'ame

Et les talents ont distingués.

Quels sont donc aux yeux des vrais sages

Les talents, ce céleste don?

Tout en usurpe les hommages,
Et tout en profane le nom.
Appartient-il ce nom sublime
A tous ces arts lahorieux

Nés du luxe qui les anime,
Et du besoin industrieux ?
Ainsi donc confondus sans cessé,
Le hasard, l'instinct et l'adresse,

Sous ce nom viendroient se placer

Au même degré de noblesse

Que la dignité de penser.
Parmi l'aveugle multitude,

Et chez le vulgaire des grands,
L'industrie et la docte étude

N'ont point de grades différents :
Les plus nobles fruits de nos veilles
N'y trouvent pas d'autre destin
Que les mécaniques merveilles
Ou de la voix ou de la main,
Et dans cette estime stupide
On voit ensemble confondus
Horace avec Tigellius,

Et Praxitele et Thucydide,
Et Cicéron et Roscias.
Mais la fiere philosophie
Instruite sans prévention
Que souvent le même génie
Est un aigle chez l'industrie,

Un insecte chez la raison,

Ne souffre point qu'un même nom
Honore sans distinction

Ce qui végete et ce qui pense,
Ni qu'on associe à ses yeux

La matiere et l'intelligence,

Les automates et les dieux.
Fidele aux lois qu'elle m'inspire,
Je n'appelle ici lés talents

Que l'art de penser et d'écrire,
L'art de peindre les sentiments,
Et que les dons de ce génie
Qui fait dans des genres divers,
Les oracles de la patrie

Et les maîtres de l'univers.

Qu'on ne pense point qu'idolâtre
Des lyriques divinités,

Je n'aille offrir que leur théâtre,
que leurs antres écartés.

Ou

Tous les esprits ont mon hommage;

J'adore Homere et Cicéron,

Démosthene, Euclide, et Platon ;

Et,

pour

embellir la raison,

Si du poétique rivage
Aujourd'hui j'emprunte le ton,
Qu'au hasard et sans esclavage
La rime s'offre à mon pinceau,
Je m'arrête au vrai de l'image
Et non au cadre du tableau.
Loin du palais où l'opulence
Attire un peuple adulateur,

Loin de l'autel où l'on encense

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ÉPITRE SUR L'ÉGALITÉ.

Le fantôme de la grandeur,

Dans une heureuse solitude

La raison regne, et sous ses lois
Y rassemble ces esprits droits
Échappés à la servitude

Des préjugés et des emplois.

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