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Le noble héroïsme, l'ardente piété, la généreuse constance avec lesquels Catherine supportait toutes les souffrances dont sa prison était accompagnée, et l'amour qu'elle montrait à son époux, dont elle s'efforçait de soutenir le courage au milieu de ces cruelles épreuves, l'émurent profondément. Jean ne trouva plus de consolation que dans la religion. Sa femme, modèle de toutes les vertus, véritable héroïne de piété chrétienne et digne imitatrice des grandes reines que nous admirons tant dans les premiers siècles du Christianisme, lui servait d'exemple. Tous les momens qu'il dérobait aux études auxquelles il se livrait avec ardeur dans sa captivité, il les passait à s'entretenir avec elle de sujets religieux. Il lisait assidûment les rituels de l'Église catholique, et se livrait à des recherches scientifiques avec les deux aumôniers de sa femme, Jean Herbst et Joseph Albert, dignes prêtres séculiers. Guidé par eux, il étudia ou plutôt il dévora les ouvrages des Pères de l'Église, surtout de ceux des premiers siècles, et il découvrit alors, ainsi qu'il se plaisait plus tard à le répéter avec une profonde reconnaissance, les fourberies des réformateurs, Les ouvrages de Luther et de Calvin lui devinrent en horreur; il ne pouvait entendre prononcer leurs noms, tant ils lui inspiraient de répugnance. Quand on lui en parlait, il s'écriait: Stercora sunt ! C'est du fumier! Il n'aurait pu en effet les désigner d'une manière plus laconique à la fois et plus juste.

Le mécontentement et la colère de Jean contre la honteuse audace des réformateurs, qui niaient et calomniaient sans conscience les saints sacremens et les respectables usages de l'Église, devenaient de jour en jour plus forts, à mesure qu'il retrouvait ces usages dans les écrits des Pères de l'Église, qui les y déployaient dans toute leur beauté et dans toute leur sublimité, éprouvés et épurés dans le creuset d'innombrables hérésies, et qui combattaient ces hérésies avec des armes si victorieuses que tout l'édifice trompeur des réfor

mateurs ne pouvait manquer de tomber en poussière sous leur effort. L'image de l'Église catholique se présenta alors avec clarté devant son esprit. Cet esprit impartial, pénétrant, et qui cherchait sincèrement la vérité, sut percer le faux éclat dont les ennemis de Dieu, dans le seizième siècle, avaient trouvé moyen de s'entourer. La divine lumière des vérités de l'Église catholique brilla devant lui dans toute sa pureté. La sainteté des sacremens, le sacrifice de la messe, les vénérables usages de l'Église dans les diverses cérémonies religieuses, l'invocation des saints, etc., que les réformateurs rejetaient parce qu'ils ne les trouvaient pas, ou pour mieux dire parce qu'ils ne voulaient pas les trouver dans l'Écriture-Sainte, lui parurent d'une certitude incontestable. Le bon sens, plus encore que la lecture des Pères de l'Église l'avait convaincu que les réformateurs soutenaient une chose impossible et absurde, en prétendant que l'Écriture-Sainte devait être l'unique fondement des doctrines de la foi, et il sentit que la tradition devait être aussi prise en considération; il comprit que l'Écriture-Sainte cessait d'être sainte, et ne pouvait par conséquent devenir le fondement de la foi, lorsqu'elle devait être interprétée par chaque individu selon sa fantaisie, ainsi que le voulaient les réformateurs. Le dédale d'opinions que devaient amener ces interprétations diverses lui fit sentir la nécessité d'une Église sainte, unique, indivisible et infaillible. Il comprit aussi, pour cette Église, la nécessité d'un chef visible qui, pour accomplir sa mission en elle, devait avoir lui-même la puissance et l'infaillibilité, et reconnut ce chef dans Pierre, que Jésus-Christ lui-même avait choisi pour chef infaillible de son Église. L'aspect de la confusion ecclésiastique qui régnait parmi les fondateurs des nouvelles Eglises le convainquit combien était absurde l'idée de cette Église chrétienne universelle par laquelle ces fondateurs remplaçaient l'Eglise catholique, et dont chaque membre maudis

sait et excluait tous les autres; Église que Jésus-Christ aurait faite en même temps dépositaire de toutes les vérités comme de toutes les hérésies et de tous les blasphèmes, puisque chacun en appelait à l'Écriture-Sainte, et défendait, cette Écriture à la main, à l'aide du glaive et des excommunications de toute espèce, la croyance insensée que lui et ses partisans avaient adoptée.

C'est dans cette noble direction religieuse que Jean sortit, au bout de quatre ans, de sa prison pour monter sur le trône de son père et de son infortuné frère. Le silence de la prison était devenu un grand maître pour lui comme il l'a été pour plus d'un esprit supérieur. Le Seigneur avait amplement récompensé les bonnes dispositions avec lesquelles il avait écouté la voix qui le rappelait à l'Église.

Mais ce qui fait surtout le plus grand honneur à notre auguste captif, c'est qu'il commença dès lors à soumettre sa vie aux saintes prescriptions de l'Évangile et de l'Église. II commença par où l'on doit commencer pour obtenir la grâce de Dieu : il réforma complètement sa manière de vivre; de même que son épouse chérie, il devint le modèle de toutes les vertus et de toutes les perfections chrétiennes. De longues prières, surtout le matin et le soir, accompagnées et entremêlées de réflexions pieuses sur les mystères de la foi et sur d'autres sujets religieux, des jeûnes fréquens et rigoureux, notamment tous les vendredis et les veilles des grandes fêtes, ce furent là les armes à l'aide desquelles il combattait, en héros chrétien, un tempérament ardent et parfois irascible. Toutes ses actions, toutes ses entreprises furent marquées au coin d'un caractère plein de douceur et de bonté. Si de temps à autre il lui survenait quelques légers emportemens, lorsqu'il traitait d'affaires avec ses conseillers ou avec d'autres personnes, il s'empressait de leur demander pardon, et les priait de continuer sans crainte à

lui dire la vérité, puisqu'il ne désirait et ne voulait que ce qui était juste et équitable.

Cependant l'âme de Jean était encore enveloppée du voile semi-transparent des doctrines de la réformation, et l'on comprendra facilement qu'il dut avoir bien de la peine à déchirer ce voile, quand on songera qu'il est bien plus aisé de se dégager des saints et doux liens de la vérité que de briser les orgueilleuses et pesantes chaînes de l'erreur. L'erreur possède plus de moyens que la vérité d'étendre et de maintenir son empire la première est accessible à tout le monde, et répand de toutes parts son poison séducteur ; la seconde n'est la propriété que du petit nombre; elle veut des esprits éprouvés, généreux, dépourvus d'orgueil, accoutumés à lutter contre eux-mêmes, et toujours prêts à toute espèce de sacrifices: celle-là va au devant de tout le monde et séduit tout le monde; celle-ci doit être acquise péniblement et conservée plus péniblement encore.

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Faut-il s'étonner d'après cela si nous trouvons Jean rempli de plusieurs des préjugés de son ancienne erreur, et s'y rattachant avec une certaine opiniâtreté? Dans ce nombre il faut surtout compter sa répugnance à recevoir la communion sous une seule espèce. Quoique bien convaincu que la véritable communion ne se trouve que dans l'Église catholique, il avait de la peine à se soumettre aux sages désirs de l'Eglise à cet égard. Il regardait comme indispensable l'usage du calice des laïcs. Il poussa cette affaire avec une sorte de passion, et fit pour elle les plus grands sacrifices.

On ne trouverait pas un monarque qui ait cherché l'union avec l'Église et le rétablissement de l'ancienne foi dans ses États avec une conviction aussi noble, aussi pure, aussi magnanime que Jean. Il n'était mu par aucune vue mesquine de politique, semblable à celles qui avaient poussé son père à renverser la religion du pays; il regardait le

problème qu'il avait à résoudre comme une affaire de laquelle dépendait le salut éternel de ses sujets; car avec la conviction qu'il entretenait de la sainteté et de la divinité de l'Église catholique, et à laquelle il était parvenu en suivant la route pénible de l'étude et de la réflexion, le rétablissement de cette Église en Suède devenait pour lui un devoir sacré en comparaison duquel tous les engagemens qu'il pouvait avoir contractés en épousant Catherine ne tenaient plus que la seconde place. Malheureusement il voulut, dans cette œuvre sainte, agir avec une trop grande prudence humaine, et il se brisa contre cet écueil séducteur.

A peine Jean fut-il monté sur le trône, le 10 juillet 1569, qu'il donna les preuves les moins équivoques de sa prédilection pour l'Église catholique. Il rendit au couvent de SainteBrigitte, à Revel, en Livonie, les propriétés qu'il avait perdues pendant les règnes de Gustave et d'Éric XIV. Il accorda également sa généreuse protection aux couvens de femmes du même ordre à Nodendal en Finlande, à Schogo, à Wreta et à Wadstena, qui avaient aussi beaucoup souffert de la persécution de Gustave, mais qui n'étaient pas entièrement détruits. Il défendit de défricher les terrains où avaient été autrefois placés des couvens et des églises, dans l'intention de rebâtir plus tard ces édifices (1).

Jean changea tout-à-coup complètement de conduite à l'égard de la reine et de son confesseur, Jean Herbst. Il cessa de leur témoigner la même confiance que du temps qu'il était en prison, ne s'entretint plus, ou du moins fort rarement, avec eux de sujets religieux, et toujours d'une manière fort générale et fort indifférente, sans leur rien communiquer des plans qu'il avait formés au sujet du rétablissement de

(1) Messenius, Scond. illust., t. VII, p. 5 sq.

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