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mis la main à cette détestable insurrection du Kasrawan, et notre consul, en 1858, n'y était peut-être pas complétement étranger. Tanouss n'aurait-il pas voulu faire allusion à ce dernier fait, en prononçant les paroles que je viens de citer textuellement 1? »

Nous reproduisons les accusations que sept cheikhs de la famille Kassem formulaient contre lui. On verra quel triste personnage était le héros révolutionnaire de Kasrawan. « Les crimes, dit lord Dufferin (Papiers anglais, n° 276, page 561), commis par les chrétiens compagnons de Tanouss-Chaïn sur quelques malheureuses femmes de la famille Kassem, dépassent tout ce qui a été dit contre la nation druze. C'est aussi un fait trop notoire pour qu'il soit besoin de le contrôler, que ces attentats étaient encouragés par l'évêque Tobie et quelques-uns de ses frères ecclésiastiques. » Voici le texte de ces

accusations:

Accusations contre Tanouss-Chain, de Reïloun, dans la province de Kas

rawan :

1. Pour avoir, dans le mois de novembre 1858, adopté le titre de cheikh-el-Chebab (chef des jeunes gens) et ensuite le titre de bey.

2. Pour s'être mis à la tête d'un mouvement révolutionnaire qui n'avait pour but que d'amener un désordre dans cette province et de produire une désorganisation gouvernementale.

3. Pour avoir excité par ses divers discours un grand nombre des habitants des villages du Kasrawan, et pour avoir nommé parmi eux ses représentants, afin de les associer dans ses méfaits et disperser les ordres.

Suivent les noms de vingt-six délégués avec leurs villages.

Ces personnes furent reconnues par ledit Tanouss-Chaïn se qualifiant chef de l'association des jeunes gens; » plusieurs parmi eux adoptèrent le titre de bey.

4. Pour avoir invité les suivants de son parti à acheter des armes offensives à Beyrouth et autre part.

5. Pour avoir commandé à ses délégués de prendre des sommes d'argent aux bourgeois paisibles afin d'acheter des armes et des munitions de guerre.

6. Pour avoir donné l'ordre à ses délégués de distribuer à ses suivants des armes et des munitions de guerre, afin d'organiser leur armement complet.

7. Pour avoir en 1857, levé l'étendard d'une insurrection, et pour s'être niis à la tête de ses suivants auxquels il ordonna de s'assembler chez lui, à Reïfoun. 8. Pour avoir outragé et excité à chasser les chefs féodaux de la province du Kasrawan.

9. Pour avoir dans le courant de la même année, au mois de janvier, opéré un grand rassemblement de ses suivants, et s'être rendu avec eux à Ghousta afin de

La Vérité sur la Syrie, p. 72.

massacrer la famille Kassem, qui se mettant en fuite, au grand péril de la vie, échappa au sort qui lui était destiné. Néanmoins les insurgés tirèrent sur eux des coups de fusil, dont un perça le cheval que montait Abdalla-Hottar-Kassem.

10. Pour avoir au mois de juillet de la même année réuni à Azelhoun un petit nombre de ses suivants de la plus mauvaise réputation dans le but de massacrer certains personnages de la famille de Kassem qui s'y trouvaient encore, et par conséquent ayant été l'instigateur et l'auteur de la mort de la femme de Diab-Kassem et de sa fille Susanne qui furent fusillées; et des blessures qui furent faites à la tête de sa seconde fille Naufara par des coups de yatagan, aussi bien que de la destruction de la maison de Nicolas Kassem et de la mise en fuite du reste de cette famille qui se trouvait à Azelhoun.

11. Pour avoir ordonné qu'on n'enterrât pas ces victimes; mais qu'on les dépouillåt de leurs vêtements, et après les avoir laissées dans cet état plusieurs jours, fait trainer leurs cadavres jusqu'à une muraille qu'on fit écrouler sur elles; et aussi pour le pillage de leurs maisons.

12. Pour avoir aggloméré et confisqué la récolte de la famille de Kassein, ses chevaux et ses bestiaux.

15. Pour avoir ordonné de couper les chemins et pour avoir ordonné de poursuivre dans leur retraite un grand nombre de paysans qui habitaient une autre pr.vince, soit chrétiens ou mutualis, qui ont été arrêtés et dépouillés.

14. Pour avoir frappé et emprisonné plusieurs habitants paisibles qui avaient refusé de se soumettre à ses ordres d'insurrection.

15. Pour avoir envoyé de ses agents à d'autres provinces pour inviter leurs habitants à prendre les armes contre les chefs féodaux et le gouvernement local, ce qui amena une insurrection qui fut suivie de grandes pertes pour les chefs.

16. Pour avoir annoncé par maintes lettres dispersées dans diverses provinces, qu'il était le représentant du peuple suivant la volonté des sept puissances européennes, et qu'il était en possession d'ordres honorifiques desdites puissances qui l'attestaient.

17. Pour avoir été une des causes principales du grand mouvement d'insurrection, connu dans le monde sous le nom d'insurrection de Kasrawan contre les chefs féodaux, qui emmena leur expulsion de leurs terres et la confiscation de leurs biens; auxquels le gouvernement turc n'a su venir en aide quoiqu'il en eût le vouloir.

18. Pour avoir intimé à certains de ses suivants d'attaquer et de mettre en fuite les officiers et gens du gouvernement turc qui étaient venus pour faire restituer certains biens confisqués à Nekach, en leur tirant des coups de fusil jusqu'à ce qu'ils eussent été mis en fuite

19. Pour avoir agi d'une telle manière, que quand il fut nécessaire un jour d'envoyer une force, de la part de la Porte, dans le Kasrawan pour calmer une guerre que les chrétiens avaient commencée contre les mutualis, que cette force fut obligée d'aller à Djebeïl, de crainte d'être attaquée le long de la côte comme cela était arrivé auparavant.

20. Pour avoir écrit une lettre aux habitants de Djebeil dans laquelle il leur dit de ne pas reconnaître l'ordre du gouvernement turc et du caïmakam donné à la force dernièrement arrivée, parce qu'il possédait un bonyourouldi » des sept puissances, qui déclare que la liberté a été donnée aux chrétiens et qu'ils ne sont sujets de personne et que s'ils voulaient être délivrés de l'esclavage, personne ne

pouvait les empêcher, ni le muchir ni le caïmakam; et dans laquelle il leur dit aussi que s'ils avaient besoin d'aide, il leur enverrait une quantité d'hommes, et que si par hasard le commandant de la force envoyée par le gouvernement avait l'audace de ne pas reconnaître l'ordre qu'il lui envoie de quitter le pays, qu'ils devaient lui écrire de suite afin d'amener des hommes de tout côté.

21. Pour avoir élevé le drapeau tricolore de la France afin d'exciter ces habitants å se réunir et à le suivre dans l'insurrection susdite.

(Suivent les signatures de sept cheikhs de la famille Kassem.)

On s'accorde généralement à attribuer cette révolution du Kasrawan aux prètres maronites; et tous ceux qui ont écrit sur la question de Syrie expriment cette opinion, sauf peut-être M. Baptistin Poujoulat. Il rejette la faute, et cela ne nous étonne guère, sur le gouvernement turc; mais ses arguments sont si complétement dénués de fonds et de logique, que nous aurions tort de le contredire. Le gouverneur de Saïda et la Sublime Porte ont vu s'abattre sur leur tête assez d'accusations injustes et absurdes, pour n'avoir pas du moins à réfuter celle-là.

Pourquoi, dira-t-on, ne réprimaient-ils pas l'insurrection? Mais le pouvaient-ils? N'avaient-ils pas les bras liés par les instructions de Chekib-Effendi que les cinq puissances considéraient alors comme un succès? Auraient ils pu s'ingérer dans les affaires de la Montagne sans soulever d'unanimes protestations? N'avons-nous pas vu, en décembre 1860, M. Béclard, commissaire français, protester formellement, au sein de la commission internationale, contre l'envoi de quelques soldats dans le Metn?

Mais revenons au clergé maronite.

L'église maronite avait conservé l'ancienne coutume de soumettre au vote populaire le choix des chefs ecclésiastiques. Depuis 1842, il y eut résistance de la part du clergé; de là, des froissements qui ont produit une grande hostilité. Actuellement, sur onze prélats maronites, un seul est de famille seigneuriale. les autres sortent du peuple. Le patriarche, Mgr Massad, est d'une famille de fellahs. C'est un homme très-instruit, mais orgueilleux et vain comme un parvenu, et qui voudrait voir tout le monde à ses pieds.

Parmi les autres prélats, c'est l'évêque de Beyrouth, Mgr Tobie, qui joue le principal rôle dans les événements du Liban. Nous aurons à parler plus d'une fois de ce personnage dans le cours de ce

il

livre, et il convient d'en donner ici quelques traits. Nous avons eu souvent l'occasion de le voir avec les uns, hautain et arrogant, est timide et astucieux avec les autres. C'est un vrai tyran au petit pied qui ne se montre fort qu'alors qu'il se sent derrière un bouclier, à l'abri de son ennemi. Il est évêque depuis 1841, et s'est trouvé mêlé dans toutes les questions politico-religieuses de la Syrie. C'est le même qui présentait à Halil-Pacha une pétition pour le rétablissement du gouvernement direct du Sultan dans la Montagne.

On accuse les chefs druzes d'avoir de tout temps voulu affaiblir les chrétiens pour les exterminer. Il est bien connu, et le consul de France le dit clairement dans ses dépêches, que, s'ils s'armaient, c'était uniquement pour repousser l'attaque de leurs administrés, au cas où elle viendrait à être dirigée contre eux. Nous savons de source certaine qu'au premier moment de l'agitation du Kasrawan, leurs émirs et cheikhs allèrent trouver les cheikhs chrétiens et leur proposèrent de les aider à comprimer la révolte populaire qui s'annonçait. N'était-ce pas là une preuve de bon vouloir? Et c'est, en effet, à la dernière heure seulement que les Druzes sont devenus agresseurs.

L'effervescence était à son comble dans la Montagne; nous en avons indiqué les causes. Jetons un coup d'œil sur les résultats.

XVI

Ma

Une querelle à propos d'un mouton devient le prétexte d'un combat entre Druzes et Chrétiens La paix est rétablie, grâce à Hourchid-Pacha, gouverneur général de Beyrouth. nœuvres du clergé maronite. La guerre contre les Druzes est prêchée parmi les Chrétiens. Des comités sont institués à Beyrouth et dans tous les centres maronites. - On achète des armes et des munitions. On enrôle les jeunes gens. - Des corps militaires s'organisent. Les Druzes s'arment de leur côté. Trois muletiers druzes sont tués le 14 mai. Trois Chrétiens sont mis à mort deux jours plus tard. Daher-Nassif se met à la tête d'un corps chrétien et déclare la guerre aux Druzes. Lettre de monseigneur Tobie, de l'évêque de Tyr et Sidon, et de Habib-Akawi, habitant chrétien de Deïr-el-Kamar.

-

Le 15 août 1859, une querelle au sujet d'un mouton devint le prétexte d'un furieux combat entre Druzes et chrétiens, lequel se

termina par l'incendie du village mixte de Beït-Meri, où ces faits s'étaient produits. Mais personne ne crut que ce fût le commencement d'un massacre. Le tort était des deux côtés. Le consul de France s'empressa de se rendre sur les lieux, et Hourshid-Pacha, gouverneur général de Beyrouth, déploya la plus grande activité pour mettre fin au conflit', et bientôt la paix fut conclue.

Le comte Bentivoglio écrivait à l'ambassadeur de France à Constantinople, le 30 juin de l'année suivante :

Je disais à cette époque que la solution donnée par Hourshid-Pacha était favorable aux chrétiens; les Druzes avaient été condamnés à payer à ces derniers une indemnité en argent et à leur rendre leurs objets pillés. Le muchir avait de plus promis de faire arrêter le cheikh Youssouf-Abdul-Melek qui avait été la cause de ces troubles. Mais ces mesures eurent un résultat tout autre que celui auquel on devait s'attendre. L'évêque Tobie, et, avec lui, les chrétiens se formalisaient de ce qu'une partie des objets pillés n'étaient pas rendus et de ce que Youssouf-AbdulMelek n'avait pas été arrêté. L'effervescence augmentait, le caïmakam druze et le caïmakam chrétien ne faisaient rien pour empêcher cette agitation sourde qui se traduisait d'abord par des plaintes et des murmures, et qui finit par prendre un caractère sérieux et inquiétant vers le commencement de l'année suivante.

Quand la première horreur du sang versé se fut un peu dissipée et qu'on remonta jusqu'à la source de ces excès regrettables, on fut presque unanime à reconnaître que les chrétiens étaient les vrais fauteurs des troubles.

Nous avons vu l'insurrection du Liban excitée par le clergé chré

Voici une lettre adressée par un filateur français du Liban à l'Impartial de Smyrne; elle dit assez de quelle manière honorable Hourshid-Pacha s'acquitta de son devoir:

« Monsieur le rédacteur,

« Je lis dans le numéro du 3 courant, d'un journal de Constantinople, une lettre de Beyrouth, au sujet des événements dont la Syrie vient d'être le théâtre. Les détails qu'elle donne sont généralement erronés; quelques-uns surtout sont tellement empreints de partialité, de malveillance même, que je me crois obligé de les réfuter.

Les filateurs français du mont Liban n'ont pas abandonné leurs établissements. Leur qualité d'étrangers, d'industriels, leur imposant l'obligation de ne pas s'immiscer dans les querelles entre chrétiens et Druzes, ils n'avaient rien à craindre en cette circonstance. Ce fait est tellement vrai, que les personnes des deux partis, que leur àge ou leur sexe éloignaient de la lutte, sont venues se réfugier chez eux comme en lieu neutre, y apportant également leurs effets les plus précieux.

« S. Exc. Hourshid-Pacha, loin d'avoir fait preuve de négligence et de faiblesse a, au contraire, déployé une équité, un zèle, une activité si remarquables, que la lutte a été étouffée, dès son début, et que la sûreté de la Montagne n'a pas été compromise. Veuillez, monsieur le rédacteur, agréer l'assurance de ma parfaite considération. ERNEST BATAILH,

a Filateur français sur le mont Liban.

a Krey, près Beyrouth, le 29 septembre 1859. »

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