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CINQUIÈME PARTIE

XXIII

Fuad-Pacha, en arrivant à Beyrouth, organise une commission de secours. - Proclamation du commissaire impérial.- Diverses correspondances de Beyrouth et de Damas sur les premières mesures prises par le plénipotentiaire, et sur la situation de la Syrie, après son arrivée à Beyrouth. La nouvelle d'une intervention militaire produit le plus fâcheux effet. — Instructions de Fuad-l'acha en vue du débarquement des troupes françaises et proclamation aux troupes ottomanes. - Réponse du commissaire impérial à une lettre de son délégué, AbroEffendi, qui lui signalait des rumeurs malveillantes sur un prétendu ralentissement d'action à Damas, où huit cents individus avaient été arrêtés, et cinq cents jugés en quelques jours. — Quelle a été la conduite de Fuad-Pacha? Nouvelle série de lettres de Beyrouth et de Damas qui la font connaître. Indication sommaire des peines infligées, et des secours accordés aux victimes. Memorandum de Fuad-l'acha résumant son œuvre de répression à Damas. — Exeention d'Ahmet-Pacha.

Fuad-Pacha, accompagné de plusieurs bataillons de troupes éprouvées, était arrivé à Beyrouth le 17.

Jamais mission n'avait été aussi difficile que celle qui lui était confiée. Il lui fallait en même temps commander l'armée, rendre la justice, organiser des secours, administrer une province aussi grande qu'un royaume, organiser tous les services, pourvoir à tous les emplois, présider une commission, maintenir l'ordre dans un pays profondément troublé, relever des populations abattues, les arracher du découragement, leur rendre confiance, et tout cela avec des troupes insuffisantes et des ressources que l'état financier de la Turquie rendait précaires. Général, magistrat, diplomate, administrateur, les yeux de l'Europe et du monde entier étaient sur

lui. Mais si ardue que fût la tâche, il se sentait la force de la mener à bonne fin. Dans ses yeux on lisait la volonté de prouver à tous que la Turquie possédait encore des hommes dévoués et énergiques. Avec son esprit observateur, il saisit d'un coup d'œil ce qu'il avait à faire.

Son premier soin en arrivant fut d'organiser une commission de secours pour tous les malheureux qui s'étaient réfugiés à Beyrouth. Cette commission fonctionne encore maintenant, et si des critiques amères ont atteint tous les actes du gouvernement turc, personne n'a osé du moins attaquer cette institution qui, pendant plus de seize mois, a préservé des milliers d'hommes de la faim et du froid.

Le firman qui investissait Fuad-Pacha de pleins pouvoirs fut lu le 19, et le commissaire ottoman faisait publier dans toute la Syrie la proclamation suivante :

Peuples de Syrie,

La guerre civile qui a éclaté dans le mont Liban entre les Maronites et les Druzes et fait couler des torrents de sang, a excité l'indignation et les regrets de S. M. le Sultan, dont la justice et la miséricorde s'étendent à tous ses sujets également et sans distinction.

Il est tout à fait contraire aux sentiments de Sa Majesté que tout individu ou population, pour quelque raison que ce soit, ou d'aucune manière, attente aux droits d'autrui. Par conséquent ceux qui trangressent ces ordres sont regardés comme rebelles envers le gouvernement. Désormais, après la constatation des excès commis par les habitants du Liban, toute trace d'hostilité doit disparaître.

Je suis venu avec une commission impériale, indépendante et extraordinaire, pour punir ceux qui ont perpétré ces crimes. La nature de mes pouvoirs est constatée par le haut firman qui m'a été adressé. Il fera connaître la justice de S. M. le Sultan qui donne refuge aux opprimés et inflige des punitions aux oppresseurs. Je remplirai ma charge avec une parfaite impartialité. Que tout soit en paix. Pour ce qui regarde les familles qui ont été expulsées de leurs maisons, je me charge de leur subsistance et j'aurai soin qu'elles soient pourvues de moyens d'existence. Ainsi leur seront manifestées la compassion et l'équité souveraines.

Que les hostilités cessent partout. Dès aujourd'hui les troupes impériales, sous notre commandement, agiront contre le parti qui transgressera ces ordres et qui commencera les hostilités, et nous punirons sur-le-champ les fauteurs de tout désordre. Tout en mettant un terme aux dissensions, nous avons aussi à notre disposition des moyens extraordinaires pour juger les cas d'un caractère criminel affectant les individus. Que chacun donc, grand ou petit, nous fasse connaître librement ses griefs et nous lui prêterons la plus grande attention.

Que ceci soit connu de tous.

Voici une série de correspondances de Beyrouth sur les événements de cette époque.

Beyrouth, 24 juillet.

<< Enfin nous sommes tranquilles. Fuad-Pacha, muni de pleins pouvoirs, est arrivé accompagné de plusieurs bataillons. L'état du pays autour de notre ville est calme. Une sorte de paix ayant été conclue entre les Maronites et les Druzes, ces derniers sont rentrés chez eux. Fuad-Pacha s'occupe de rétablir la confiance dans l'autorité. Il a ordonné à Hourshid-Pacha de visiter avec une corvette les côtes jusqu'à Latakié; mais c'est plutôt pour prendre en son absence des informations précises sur la conduite qu'il a tenue pendant ces malheureux événements.

«Le vice-amiral Mustapha-Pacha a mis à la voile pour l'autre partie de la côte, jusqu'à Acre. Un des membres catholiques de la mission du plénipotentiaire, Franco-Effendi l'accompagne, chargé de distribuer des secours à ceux qui ont souffert des derniers événements et qui sont réfugiés dans les ports de mer.

« Ahmet-Pacha, l'ex-muchir de Damas, est arrivé ici; il a été mis aux arrêts, après qu'on lui eut retiré son sabre et ses décorations. Toutes les apparences sont contre lui. Un fonctionnaire doit savoir, au moment du danger, payer de sa personne et ne pas abandonner son poste, en s'enfermant, comme il l'a fait, dans la citadelle.

« Le pacha, que quelques personnes ont pu approcher, allègue pour son excuse que n'ayant pas une force suffisante pour maitriser l'insurrection, il a voulu du moins se maintenir dans le château qu'il pouvait défendre, et ne pas s'exposer à tomber entre les mains des insurgés, ce qui aurait rendu l'événement infiniment plus grave, en même temps qu'il se privait du moyen de donner refuge aux chrétiens qu'il voulait sauver.

« Ahmet-Pacha sera embarqué ce soir sur le Taïf, qui retourne à Constantinople.

« Les nouvelles de Damas sont relativement bonnes. MohammerPacha y était arrivé avec des troupes; le désordre avait cessé. Beaucoup de personnes se trouvent encore enfermées dans les endroits où elles ont trouvé asile dès les premiers jours.

« On m'assure qu'on ne tardera pas à arrêter Hourshid-Pacha, ainsi que son kéhaya et un certain Ahmed-Effendi, emlak mudiri. Comme je vous le disais plus haut, Fuad-Pacha a voulu éloigner le premier pour recueillir le plus d'informations possible sur son compte. Il paraîtrait qu'elles ne sont pas en faveur de notre ex

gouverneur. »

Beyrouth, 29 juillet.

« Comme je vous l'ai annoncé Hourshid-Pacha a été arrêté. Voici dans quelles circonstances. A peine débarqué, le commissaire extraordinaire du Sultan ordonna à Hourshid-Pacha d'aller faire une tournée jusqu'à Latakié à bord de la corvette à vapeur l'Izmir, pour s'enquérir de l'état des esprits dans cette partie de la Syrie et y empêcher tout désordre. Fuad-Pacha, en éloignant de Beyrouth le · gouverneur, avait pour but d'ouvrir une enquête sur la conduite qu'il a tenue pendant les derniers événements, et de mettre ainsi à l'aise, par son absence, les personnes appelées à témoigner. L'enquête commencée, Fuad-Pacha n'a pas tardé à acquérir les preuves de la culpabilité de Hourshid. Une semaine après, il le rappela de Latakié, et, sans le laisser débarquer, S. E. donna l'ordre au commandant de l'Izmir de le mener à Constantinople. Le même jour ont été arrêtés Vassi-Effendi, kéhaya de Hourshid-Pacha, et AhmedEffendi, emlak mudiri, accusés d'avoir entretenu des relations avec les chefs druzes.

«On a de plus mis aux fers le lieutenant-colonel Osman-Bey, qui, après avoir fait rendre les armes aux chrétiens, les a livrés aux Druzes à Hasbeya; Abdul-Selam-Bey, caïmakam militaire de Deïr-el-Kamar; Tahir-Effendi, caïmakam civil de la même ville; deux bimbachis qui y commandaient aussi. Les soldats qui se trouvaient à Hasbeya, Racheya et Deïr-el-Kamar ont été envoyés enchaînés à bord des vaisseaux turcs mouillés ici.

«Le vice-amiral Inglizli-Moustapha-Pacha a été nommé gouverneur provisoire à Beyrouth. Le 26 juillet, Fuad-Pacha annonçait cette nouvelle aux consuls par la circulaire suivante.

Beyrouth, le 26 juillet 1860.

Fuad-Pacha a l'honneur d'informer MM. les consuls des puissances amies rési

dant à Beyrouth que, ayant jugé nécessaire de suspendre de ses fonctions gouverneur général de Saïda, Hourshid-Pacha, il vient de confier l'administration intérimaire de cette province à l'amiral Moustapha Pacha, commandant en chef des forces navales de S. M. le Sultan dans la Méditerranée.

En portant cette décision à la connaissance de M. le consul général de....... le ministre des affaires étrangères, en mission extraordinaire en Syrie, a le ferme espoir que le gouverneur ad interim, par les qualités qui le distinguent, imprimera aux relations des autorités locales avec le consulat de........... la meilleure harmonie, et saura répondre à la confiance dont il vient d'être l'objet.

Fuad-Pacha saisit, etc.

Signé: FUAD.

<«< Fuad-Pacha a quitté Beyrouth hier pour Damas; il a emmené avec lui deux bataillons de troupes et six pièces d'artillerie. Il a exprimé publiquement sa détermination d'agir avec la plus grande rigueur.

<«<Hier au soir est arrivé de Constantinople un vapeur portant des dépêches pressées pour le commissaire, en conséquence de la réception à la Porte de l'avis des événements de Damas. Un courrier a été expédié à Fuad-Pacha.

<< Avant son départ, le plénipotentiaire a envoyé Franco-Effendi et l'évêque Tobia dans le Kasrawan pour tâcher d'amener une réconciliation entre les paysans et les cheikhs Kazen qui ont été expulsés du Liban.

« Je dois vous dire un mot de la mission de Fuad-Pacha; elle est composée d'Abro-Effendi, directeur de la correspondance française au ministère des affaires étrangères, un des fonctionnaires les plus intelligents de la Porte;

<«< Franco-Effendi, directeur du bureau du contentieux à la Sublime Porte, qui s'est élevé par son seul mérite à ce poste élevé; il est originaire de Syrie et parle cinq ou six langues;

« Danish-Effendi qui, malgré sa jeunesse, a su mériter la confiance de Fuad-Pacha;

<«< Constant-Effendi et Arzuman-Effendi, secrétaires-traducteurs, qui ont déjà rempli avec honneur plusieurs missions.

<«< Les attachés turcs sont le grand mufti Chirvan-Zade-MéhémetEffendi, qui a une grande réputation d'activité, de probité et de savoir.

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