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dans ses manifestes, et les soutiendra au besoin de son épée. »>

Le Commerce, après avoir longuement commenté le discours du roi, termine ainsi :

<«< En résumé, le programme politique du ministère Guizot est une de ces œuvres condamnées dès leur naissance. Rien n'y parle au sentiment national, et il semble écrit sous la dictée de ces feuilles étrangères qui à la fois proclament l'impuissance de la France et l'excitent à se jeter dans les voies de la guerre civile. Aussi sa lecture a-t-elle produit dans Paris une profonde impression, une impression de ́tristesse et d'alarme. Dans la chambre, son mauvais effet a été presque général, et, pour tout dire en un mot, à la Bourse même, les joueurs de rentes en ont été confus. >>

Le Constitutionnel et le Courrier Français s'exprimaient en termes non moins indignés :

« Le discours qu'on a mis dans la bouche du roi est une palinodie flagrante. »

« Nous avons besoin de relire les bulletins de la république, du consulat et de l'empire, pour nous consoler de vivre dans un temps comme celui-ci. Heureusement, le peuple vaut mieux que ceux qui le gouvernent, et l'étranger le sait bien ! »

M. Guizot néanmoins était peu touché des blâmes de la presse. Uniquement préoccupé des résultats du scrutin, il ne cherchait aucun triomphe au delà de l'enceinte du Palais-Bourbon. Pour lui, l'opinion publique était renfermée sous les voûtes législatives, et la nation était circonscrite dans le cercle de deux cent mille électeurs. Au delà, rien ne comptait pour lui; la voix populaire n'était qu'une fiction à laquelle il ne croyait pas, et, oubliant sa propre origine,

il n'avait pour la presse que de superbes dédains. Dominateur du petit monde politique qu'il s'était fait, retranché dans le pays légal, il voyait toute la tactique du gouvernement dans les batailles du scrutin et toute la gloire de l'administration dans les succès de tribune. Ainsi se trouvent expliquées et ses bonnes et ses mauvaises fortunes. En diminuant le terrain politique, il y paraissait dans des proportions plus grandes. Artiste plutôt qu'homme politique, orateur plutôt que ministre, réduisant la carrière administrative à une carrière académique, il s'y montrait avec un éclat qui le trompait sur ses véritables forces. Mais aussi, resté en dehors de la nation, n'ayant aucun souci des populations exclues du scrutin, méconnaissant leurs intérêts, méprisant leur langage, il multipliait sur sa tête les haines, provoquait les colères, accumulait les difficultés, sans toutefois s'en effrayer, parce qu'il trouvait à tout une solution dans un vote parlementaire; jusqu'à ce qu'enfin le parlement, le pays légal et le trône s'écroulèrent ensemble sous le poids des forces nationales dont on n'avait pas tenu compte.

Avec des conceptions politiques aussi rétrécies, M. Guizot se voyait triomphant dès le premier jour; le scrutin s'était prononcé pour lui. Il se préparait avec confiance à compléter sa victoire dans la discussion de l'adresse.

Dans ces sortes de joûtes, la chambre des pairs servait habituellement de première arène. C'est là que les ministres préludaient, pour interroger en quelque sorte les opinions de l'autre chambre; faisant réserve, il est vrai, des grands moyens dans une lutte toujours complaisante, mais aussi se montrant plus à nu et ménageant moins les expressions qui trahissent le fond de la pensée. C'est ainsi que M. Guizot ne

craignit pas de faire entendre ces mots, comme son programme politique : « La paix, partout, la paix, toujours, » au moment où l'Europe attentive se demandait comment la France supporterait une injure. Il est vrai que le ministre niait qu'il y eût injure; il ne voyait dans la conduite des puissances qu'un mauvais procédé. Telles étaient les subtilités dont se payait un homme chargé de protéger l'honneur de la France. Casuiste politique, c'est avec de vains jeux de mots qu'il prétendait satisfaire la conscience publique. Ses efforts tendirent surtout à amoindrir la portée du traité du 15 juillet. Ce n'était selon lui qu'une simple question de famille, destinée à régler les rapports du sultan et du pacha; l'Angleterre et la Russie n'y apportaient qu'une intervention désintéressée, et il n'y avait pas lieu à de sérieuses inquiétudes. Ce thème maladroit était une accusation directe contre le ministère du 1er mars, qui avait fait de si grands armements, contre le roi qui avait si hautement exprimé ses colères, contre la France indignée, contre l'Europe alarmée. Depuis trois mois les journaux anglais ne produisaient pas d'autre argument. Il y avait quelque chose d'étrange à l'entendre répéter par l'ambassadeur mystifié de Londres. La pairie cependant l'accueillit de bonne grâce. L'adresse fut adoptée par 116 voix sur 119 votants.

Il est vrai que ni le ministère ni le public n'attachaient une grande importance aux décisions du Luxembourg. C'était au Palais-Bourbon que se décidaient les destinées des ministères ; c'était là qu'on s'adressait plus directement, sinon à l'opinion publique, au moins à la France officielle, au pays légal qui disposait de toutes les forces constitutionnelles. La curiosité de tous était d'ailleurs fortement excitée

aux approches d'une lutte qui allait nécessairement s'engager entre le ministre tombé et son adroit successeur. On attendait avec impatience les explications qui devaient naître de leur ancienne position de chef et de subordonné, et comme il y avait encore des points obscurs sur les circonstances qui avaient précédé ou suivi le traité du 15 juillet, on comptait que plus d'une intrigue serait dévoilée, plus d'un mystère éclairci.

Les radicaux cependant s'efforçaient de rappeler aux députés que la question qui allait les occuper, ne devait pas être réduite aux mesquines proportions d'un débat personnel entre M. Guizot et M. Thiers, d'une lutte entre le 29 octobre et le 1er mars. Il s'agissait, en effet, de la dignité de la France, de son rang dans le monde politique, de son influence dans les conseils européens; il s'agissait d'un nouveau droit public brusquement introduit par les chancelleries étrangères. Quatre puissances prétendaient seules constater la légitimité ou l'illégitimité des conquêtes, intervenir seules dans les querelles des peuples et des rois, des vassaux et des suzerains; et dans ce droit international nouveau, la France était écartée des conseils communs, comme si elle ne comptait plus au rang des nations. Telle était la situation sur laquelle la chambre avait à se prononcer; telle était la véritable portée du grand débat qui allait s'ouvrir. Les députés avaient donc pour mission, non pas de savoir quel ministre avait été plus ou moins coupable dans les tristes circonstances qui s'étaient déroulées depuis six mois, mais d'interroger avec sévérité le système général qui avait créé de telles circonstances. Les ministres, quel que fût leur nom, n'étaient que des accidents, des faits de passage. A côté d'eux, au-dessus d'eux, était une pensée permanente

A

dont il fallait dévoiler les tendances, afin de faire éclater à tous les yeux la véritable cause d'une décadence si peu en rapport avec les forces et la grandeur de la nation.

Mais ces conseils des radicaux étaient trop hardis pour les habitudes parlementaires. La discussion ne fut qu'une grande joûte oratoire où se décidaient les fortunes, non de la France, mais de MM. Guizot et Thiers.

Ce fut le 23 novembre, que la chambre entendit la lecture du projet d'adresse: M. Dupin était rapporteur de la commission. Après un exorde qui n'était que la paraphrase des paroles royales, le projet ajoutait :

«En cet état de choses, notre concours, Sire, vous est acquis pour une paix honorable, aussi bien que pour une guerre juste une paix sans dignité ne serait jamais acceptée ni par la France, ni par son roi ; une guerre injuste, une agression violente, sans cause et sans but ne serait, ni dans nos mœurs, ni dans nos idées de civilisation et de progrès. La paix donc, s'il se peut, une paix honorable et sûre qui préserve de toute atteinte l'équilibre européen, c'est là notre premier vœu; mais si, par événement, elle devenait impossible à ces conditions, si l'honneur de la France le demande, si ses droits méconnus, si son territoire menacé... >>

A ces derniers mots, de violentes exclamations éclatent de toutes parts; des cris d'indignation se croisent en tous sens. «Quoi! le seul cas de guerre serait l'invasion du territoire! On supportera tout jusque-là! La commission fait bon marché de la fierté nationale! » Le président s'efforce en vain d'apaiser le tumulte. » La discussion viendra, dit-il; le devoir de tous, en ce moment, est le silence. » — « Il est des sentiments contre lesquels on ne peut assez tôt

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