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<< Ne prenez pas le change. On a dit et répété beaucoup que l'honneur et les intérêts de la France n'étaient nullement engagés. Ainsi on se met fort à son aise en se donnant à soi-même un démenti bien éclatant. Mais si vous oubliez ce que vous avez dit, la France et l'Europe peuvent-elles l'oublier? Croyez-vous que la France ait des impressions aussi mobiles que les vôtres? Non, ce que vous avez dit, elle le maintient; l'insuccès ou la faiblesse du pacha ne change rien à sa conviction; car ni le droit, ni l'honneur, ni les intérêts n'ont changé. »

Après avoir énergiquement engagé la chambre à repousser cette détestable excuse des faits accomplis, l'orateur poursuivit :

<< Il faut, Messieurs, que je vous dise mon sentiment sur quelques incidents de ce débat, un des plus douloureux auxquels j'aie assisté dans nos débats parlementaires. Une lutte personnelle, directe, s'est engagée, une lutte entre deux hommes qui dans ces derniers temps ont dirigé la politique extérieure du pays. Je ne sais s'il est un seul membre qui n'ait été péniblement affecté au fond de son cœur, lorsqu'on a vu l'ambassadeur et le ministre se combattre à cette tribune avec des notes même confidentielles, lorsqu'on a vu deux hommes identifiés, pour l'étranger au moins, dans une même politique, se livrer le plus déplorable combat.

« Est-ce que vous croyez que dans une telle lutte, les hommes et les choses ne reçoivent pas une sérieuse atteinte? Ah! je le sais, vous n'avez pas trahi; vous avez obéi aux instructions qui vous étaient données; personne ici ne soupçonne le contraire. Mais savez-vous ce qui, à la lecture de certaines pièces, a soulevé l'expression unanime

d'un pénible sentiment?........ Désormais, s'est-on dit, qui sera sûr de la discrétion du pouvoir dans la direction des affaires, quand un ministre, ayant choisi un représentant de la France au dehors, et lui ayant confié non-seulement des documents officiels, mais ses plus intimes pensées, ce représentant, passant sans transition dans un camp opposé, viendra à cette tribune donner au pays et à l'étranger le douloureux spectacle d'un tel antagonisme, et se servira même des pièces où la pensée intime du ministre se sera épanchée.

« Ah! que de tels exemples ne se reproduisent pas! On peut être sûr de soi, on peut avoir une confiance personnelle dans son talent; mais il est des situations qui dominent tous les talents.

<< Voulez-vous mon sentiment? ambassadeur de cette politique, confident intime de cette politique, vous étiez le dernier homme qui pouvait remplacer le ministre qui l'avait pratiquée. >>

Paroles cruelles et bien méritées! accusation d'autant plus accablante, qu'elle était dans la bouche de tout le monde !

L'autorité morale du nouveau cabinet était loin de s'être raffermie dans cette longue discussion. Mais il comptait, non sans raison, sur les complaisances d'une chambre incapable de résolutions énergiques. Vainement la voix ardente de quelques orateurs se faisait l'écho de généreuses inspirations; les muets du parlement trouvaient bien plus d'éloquence dans les conseils de leur égoïsme, et de leurs secrètes terreurs; les dévoués des centres ne voyaient rien au-dessus des arguments d'un ministre, et les nombreux fonctionnaires prenaient le mot d'ordre de leurs chefs suprêmes. Cependant malgré tous ces éléments d'un succès

assuré, M. Guizot fut obligé de modifier les termes de ses engagements pacifiques. Il avait fait dire au roi que le traité du 15 juillet était circonscrit dans les mesures que les quatre puissances avaient prises pour arranger un différend entre le sultan et le pacha; il avait affirmé à la tribune de la pairie que le traité était tout entier dans cette phrase, rien de plus, rien de moins. La commission de la chambre des députés avait complaişamment répété les mêmes paroles. L'attitude de la chambre et du pays la contraignit de changer de langage; elle vint elle-même apporter des amendements à son humble projet. Au lieu de présenter les conventions du traité comme de simples mesures pour un arrangement entre le sultan et le pacha, elle disait : « La France s'est vivement émue des événements qui viennent de s'accomplir en Orient. » Au lieu d'énumérer complaisamment toutes les violences qu'elle pouvait subir jusqu'au territoire menacé, elle se résignait à dire : « La France veillera au maintien de l'équilibre européen, et ne souffrira pas qu'il y soit porté atteinte. » C'était se placer bien loin de la paix partout et toujours. M. Guizot lui-même, en présence des sentiments non équivoques de la chambre, fut obligé d'accepter les amendements. Il est vrai qu'il n'en était guère embarrassé;, il était facile de les rendre illusoires. Mais il n'en était pas moins réduit à se démentir et à désavouer l'audace de ses abaissements. La chambre, n'osant mieux faire, le condamnait à l'hypocrisie.

M. Guizot s'y résigna facilement, et cette accommodante abnégation lui valut pour l'ensemble de l'adresse 247 voix voix contre 161 opposants.

Ainsi la même chambre avait donné la majorité à trois ministères d'origines diverses et de prétentions bien oppo

sées. Le 12 mai avait été choisi en dépit de la coalition parlementaire, et le parlement accepte de bonne grâce sa défaite. Une seconde coalition renverse le 12 mai, et le Ier mars promet l'inauguration du régime parlementaire. Mais, bientôt infidèle à ses engagements, il subit le gouvernement personnel avec autant de résignation que ses prédécesseurs, et la chambre lui donne aveuglément son concours. Il tombe, non pour avoir fait acte de courage, mais pour n'avoir pas consenti à faire acte public de peur, et lá chambre, qui l'avait salué de ses applaudissements et de ses votes, tend la main au 29 octobre et se déclare prête à le suivre. Absence de principes, oubli de ses propres actes, désaveu de ses victoires, voilà ce qu'on pouvait lire dans les votes successifs de la chambre. Il y avait plus encore. Toutes ces évolutions ministérielles auxquelles elle assistait avec tant de bonhomie, démontraient de mieux en mieux combien le régime parlementaire, dans son organisation actuelle, était défectueux et impuissant. Exprimant un jour sa volonté pour subir le lendemain une volonté contraire, appuyant un ministère pour le déserter, avouant une politique pour l'abandonner, le parlement n'avait d'existence à lui que le jour où la main royale qui le maintenait se retirait fatiguée. Mais dès que cette main s'avançait encore, il se courbait en silence, acceptait doucement le joug, et rentrait dans le sillon qui lui était tracé. Aussi, chacune des législatures qui se succédaient devenait - elle tellement déconsidérée, qu'aucune n'achevait le cours de son existence légale. Une dissolution par ordonnance les empêchait de s'affaisser sur elles-mêmes dans leur propre décomposition. La chambre qui venait d'absoudre M. Guizot, venait de précipiter les jours de sa décadence.

CHAPITRE II.

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Nouvelle note de lord Palmerston. Lettre de Louis-Philippe à ce sujet. Nouvelles insurrections dans la Syrie. — L'émir Beschir traite avec les Anglais. Ils le transportent à Malte. Prise de Beyrouth, de Saïde, de Sour, de Saint-Jean-d'Acre. - Énergie de Méhémet-Ali, Attaque d'Alexandrie. — Méhémet-Ali est trahi par ceux qui l'entourent. Capitulation. = Traité du 27 novembre. Luttes à l'intérieur. Circulaire de M. Martin du Nord. Saisie du National. Condamnation de M. de Lamennais. Interdiction du banquet annuel des Polonais. - Inondations dans l'Est et le Midi. Désastres de Lyon et de Mâcon.-Nouvelles intrigues ministérielles.-M. Molé et l'alliance russe. - Discussion de la loi des fortifications.

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Au moment où M. Guizot proclamait à la tribune la soumission aux faits accomplis, il s'en accomplissait d'autres qui devaient agrandir le cercle des concessions.

Une nouvelle note de lord Palmerston, en apparence destinée à répondre à M. Thiers, mais datée du 2 novembre, alors que l'on connaissait à Londres le changement de ministère, venait répéter à la France que les coalisés ne consentiraient à aucune transaction. M. Thiers, dans sa note du 8 octobre, prétendait faire de la déchéance du pacha un casus belli. Voici ce que répondait le ministre anglais :

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