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Dans l'origine, le clergé seul possédait les moyens d'instruction; plus tard, il admit les laïques à ses leçons; mais la noblesse, qui aurait pu en profiter, était trop occupée à l'attaque et à la défense pour jouir de cet avantage. L'éducation des jeunes chevaliers se bornait au maniement des armes, aux exercices de la chasse; tout tendait au développement physique; quant à la culture des facultés intellectuelles, il n'en était pas encore question; à peine savaient-ils lire et écrire, et nous voyons nos plus illustres guerriers sceller avec le pommeau de leur épée les traités qu'ils n'auraient pas su revêtir de leur signature.

Mais si la noblesse ne fréquentait pas encore les écoles des monastères, la bourgeoisie, cette classe supérieure du tiers état, les bourgeois qui ne pouvaient prétendre à la noblesse, mais qui voyaient par des exemples nombreux qu'on pouvait parvenir par le savoir aux plus hautes dignités de l'Église, et par la suite de l'État; les bourgeois, disons-nous, saisissaient avec empressement les moyens d'élever leurs familles, et c'est dans les écoles du clergé que ceux de leurs enfants qui n'avaient pas de vocation pour l'état ecclésiastique puisaient les notions qui leur étaient nécessaires pour exercer celles des professions qui, à cette époque, exigeaient quelques connaissances.

Quant au peuple, c'est-à-dire aux petits marchands, aux manants, aux laboureurs, aux artisans, ils n'éprouvaient aucun besoin de savoir, et c'est à peine si quelques écoles de cathédrale, soumises à la direction su

prême de quelque haut dignitaire du chapitre 1, pouvaient <«< offrir aux enfans, tant fils que filles, leur créance, « service, premières lettres, et iceux instruire et con« duire en bonnes mœurs. >>>

Cet enseignement ecclésiastique ne resta pas longtemps le seul; quelques professeurs célèbres des cloîtres ouvrirent, par la suite, des écoles particulières dont l'abord était plus facile, et ils y enseignaient des connaissances qui n'avaient plus spécialement pour but de conduire aux fonctions ecclésiastiques. Ces efforts, d'abord isolés, se réunirent et formèrent un corps laïque qui, sous le nom général d'Universités, offrit, dans quelques villes importantes, un centre d'études vers lequel on accourait de toutes parts, et où les élèves étaient classés par catégories de nations.

Cette accumulation de jeunes gens de tous les pays, qui ne possédaient, loin de leurs familles, ni logis ni ressources, donna naissance à la création des colléges, qui furent d'abord de simples hôtelleries où quelquepieux fondateur donnait asile à un certain nombre d'étudiants qui continuaient à suivre les cours des diverses facultés de l'université; mais plus tard, aux moyens d'existence on joignit l'enseignement, et dès lors les colléges devinrent des établissements d'instruction publique tout à fait indépendants les uns des autres, ne se rattachant par aucun lien aux Universités et n'ayant d'autres règles que les statuts de leurs fondateurs.

1 Voyez le Rapport historique sur les écoles primaires de la ville de Paris, par РH. POMPÉE. Paris, imprimerie royale, 1839.

De leur côté, quelques professeurs ouvrirent leurs maisons à des élèves que l'état de leur fortune n'obligeait pas de recourir aux bourses des colléges; et l'accroissement de ces établissements donna naissance aux pédagogies, qui furent connues plus tard sous le nom de pensions et d'institutions.

Tous ces établissements d'origine différente avaient cependant tous un point commun de ressemblance, c'était l'enseignement qu'on y recevait. Alors la langue française n'était qu'un jargon inintelligible, qu'un idiome barbare, informe et incertain qui variait, de province à province, de ville à ville; c'est en latin qu'on rendait les ordonnances de nos rois, les arrêts des cours souveraines; c'est en latin qu'on passait même les transactions entre les simples particuliers; c'est dans cette lan gue seule que l'on pouvait rechercher et retrouver le dépôt de tout le passé, de toute la civilisation antérieure, car seule elle servait de lien entre le passé et le présent; c'est dans cette langue que le clergé puisait ses traditions de dogme et de culte, que les magistrats étudiaient les règles générales d'organisation sociale et de justice; c'est dans cette langue, enfin, qu'on devait écrire, sous peine de n'être pas entendu; aussi toutes les études générales se bornaient-elles à donner à ceux qui les faisaient la possibilité de comprendre et de parler la langue universelle, c'est-à-dire le latin.

Aujourd'hui que l'universalité de la langue française a remplacé celle de la langue latine; aujourd'hui que l'esprit humain a fait dans toutes les branches des con

naissances des progrès qui ont dû naturellement laisser en arrière tout ce que nous avait légué la civilisation grecque et romaine; aujourd'hui que nous avons vu naître et croître sous nos yeux les sciences physiques et naturelles dont les applications nous ont envahi de toutes parts, on a de la peine à se reporter à ce plan d'études et à convenir qu'il était alors le seul, et par conséquent le meilleur qu'on pût suivre. N'oublions pas, pour être justes, que le moyen âge, lorsqu'il créa ses colleges, n'avait pas encore découvert le nouveau monde, que l'invention de l'imprimerie n'avait pas encore substitué l'intelligence à la force brutale, et que la réforme religieuse n'avait pas encore amené l'émancipation séculière de la société.

Quelques protestations s'étaient cependant déjà élevées dès cette époque contre le programme d'études et les méthodes en usage. En lisant Rabelais1, Montaigne2, et Charron3, on trouve déjà des idées de réforme, on réclame déjà contre cet enseignement exclusif de la langue latine. A la fin du seizième siècle, il était défendu par les règlements scolaires à tous écoliers de parler la langue française dans les colléges; aussi voit-on le nombre des

1 Voyez Annales de l'éducation, rédigées par F. Guizot, no 12 et suiv., 15 mars 1812, Des idées de Rabelais en fait d'éducation, où l'on trouve, non-seulement une critique des études alors en usage, mais un plan très-curieux présentant les rudiments d'un enseignement utile et appliqué des sciences qui venaient de naître. 2 Voir aux chapitres de ses ESSAIS: De l'Institution des enfants et De l'Affection des pères aux enfants.

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CHARRON, De la Sagesse, liv. III; Devoirs des parents et enfants.

critiques s'augmenter dans le cours du dix-septième siècle. Écoutons un des devanciers du grand Rollin, le célèbre abbé Fleury, l'illustre auteur du Traité du choix et de la méthode des études, dont la première édition parut en 1686. C'est une opinion bonne à recueillir.

<< Peut-on croire qu'il n'y ait rien de plus utile aux jeunes gens que de savoir la langue latine et la grammaire latine? de haranguer en latin et de faire des vers en cette langue? de connaître l'histoire romaine, les mœurs des Romains, leur manière de faire la guerre et de rendre la justice? Cependant c'est à quoi l'on réduit ordinairement les humanités. Je ne dis pas que ces connaissances ne soient utiles, mais, assurément, il y en a qui le sont plus.

« Nous sommes plus pressés d'apprendre à bien parler et à bien écrire en notre langue et à vivre selon nos mœurs. Nous sommes également plus pressés de nous mettre en état de raisonner juste sur les matières ordinaires de la vie que de discuter sur les degrés métaphysiques, sur l'acte et sur la puissance, et sur la nature de l'infini. Il me semble donc que nous devons accommoder nos études à l'état présent de nos mœurs, et étudier les choses qui sont d'usage dans le monde, puisqu'on ne peut changer cet usage pour l'accommoder à l'ordre de nos études.

« Les gens d'esprit voient bien sans doute tout cela; mais quoi! l'un veut que son fils soit officier de robe, l'autre désire qu'il ait un bénéfice; il faut des degrés, et pour y arriver il faut des attestations comme l'on a étu

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