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esprit et avec grâce, peut pour un instant flatter agréablement l'imagination du spectateur, qui admire, en souriant, la délicatesse, la légèreté, le coloris de l'auteur. Mais il s'en faut bien qu'il y trouve un grand fonds d'instruction, et un sujet réel d'amusement, qui sont les deux fins de la bonne comédie. Son esprit ne peut certainement pas y puiser de grandes lumières sur la nature d'un caractère, sur un défaut, sur un ridicule; et son âme, loin d'éprouver un vrai sentiment de joie, loin de s'ouvrir aux transports toujours renaissans d'une gaîtó vive et durable, retombe bientôt dans son premier état de dégoût, de langueur et d'affaissement. Ainsi l'on peut dire alors ce que le C. de B** dit (peut être avec raison) de la comédie de nos jours, dans son Epitre sur le Goût, au duc de Nivernois :

On ne rit plus; on sourit aujourd'hui,
Et nos plaisirs sont voisins de l'ennui.

Le comique d'action, au contraire, nous amuse autant qu'il nous instruit. C'est là que le poëte, en nous montrant son personnage sous le côté ridicule, dévoile au grand jour le caractère, le défaut, le vice qu'il a eu intention de peindre pour nous divertir et pour nous corriger. Loin done de courir après l'esprit, il ne doit s'attacher qu'à dresser son plan et à conduire son action, de manière que ses personnages se trouvent dans des situations vraiment comi

LETTRES. ques. Alors il n'aura besoin ni de saillies, ni de bons mots pour exciter le rire du spectateur. Les expressions les plus naturelles, les pensées les plus simples produiront cet effet à cause de la situation du personnage.

d'une COT

Pour avoir un bel exemple de ce comique Analy de situation, d'un coup de théâtre amené die de avec un art admirable, et généralement de Molière. la manière de conduire une pièce, nous n'avons qu'à ouvrir Molière. Je choisis préférablement l'Ecole des Maris, parce qu'il n'y a presque point de scène, qui ne présente une situation. Bret a bien raison de dire que cette pièce est le chef-d'oeuvre da génie comique pour les vués, la disposition et la conduite de l'ouvrage.

Il n'y a point dans cette comédie de caractère principal. Il y en a quatre, comme je l'ai déjà dit, qui sont à-peu près de la même force, qui brillent presqu'également. Les principaux personnages sont Sganarelle, Ariste frères, Isabelle, Léonor sœurs, et Valère amant d'Isabelle. La scène est dans une place publique."

Acte I. Sganarelle et Ariste ouvrent la scène. Sganarelle est un homme d'un âge un peu avancé, bizarre et singulier dans ses manières, dans son habillement, d'une humeur farouche et sauvage, fuyant tonte société, et de plus, est-il dit dans le cours de l'action, ayant un mauvais œil. Ariste est un homme d'un sens droit et d'une raison saine: il pense que l'homme sage doit s'accommoder au plus grand nombre, n'avoir rien d'affecté dans

ses habits, et suivre l'usage. L'action est préparée dans cette scène par des discours relatifs à la façon de vivre de chacun de ces deux personnages. On va voir le sujet exposé dans celle qui suit.

Isabelle, Léonor et Lisette suivante de celle-ci, sortent de la maison, pour aller respirer la douceur du beau temps. Sganarelle les appercevant, défend à Isabelle de sortir. Ariste lui demande en vain de les laisser aller se promener. Sganarelle lui répond que les actions d'Isabelle doivent dépendre de lui, puisqu'il est son tuteur; et en parlant des deux sœurs

il dit:

Elles sont sans parens, et notre ami leur père,
Nous commit leur conduite à son heure dernière ;
Et nous chargeant tous deux ou de les épouser,
On sur notre refus, un jour d'en disposer,

Sur elles, par contrat, nous sut, dès leur enfance,
Et de père et d'époux donner pleine puissance.
D'élever celle-là vous prîtes le souci,

Et moi, je me chargeai du soin de celle ci.
Selon vos volontés, vous gouvernez la vôtre ;
Laissez-moi, je vous prie, à mon gré régir l'autre.

Sganarelle voulant donc épouser Isabelle, prétend qu'enfermée au logis, elle ne s'occupe que des choses du ménage à recoudre son linge, à tricoter quelques bas, et ne sorte jamais sans avoir qui la

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veille; car il dit tout nettement à Léonor qu'elle gâte sa pupille. Ariste lai représente que les soins défians et la gêne ne font point la vertu des femmes; mais que l'honneur doit les tenir dans le devoir. Je laisse, poursuit-il en parlant de Léonor, je laisse à son choix liberté tout entière.

Si quatre mille écus de rente bien vehans,
Une grande tendresse, et des soins complaisans
Peuvent, à son avis, pour un tel mariage,
Réparer entre nous l'inégalité d'âge,

Elle peut m'épouser, sinon choisir ailleurs,

Je consens que sans moi ses destins soient meil

leurs ;

Et j'aime mieux la voir sous un autre hyménée,
Que si, contre son gré, sa main m'étoit donnée,

Il ajoute en réponse aux questions que lai fait Sganarelle, que, s'il épouse Léonor, elle aura toujours la liberté d'aller au bal, de fréquenter les lieux d'assemblée, et de voir le monde. Sganarelle le traite de vieux fou, et fait rentrér Isabelle, afin qu'elle n'entende pas, dit-il, cette pratique infâme.

Ariste dit qu'il veut s'abandonner à la foi de celle qu'il aura épousée, et qu'il prétend vivre toujours comme il a vécu. Alors Sganarelle s'écrie qu'il aura bien du plaisir, lorsqu'il le verra trompé par sa femme. Léonor lui proteste qu'Ariste n'aura point à craindre cette disgrace, s'il faut qu'elle en

soit l'épouse; mais qu'elle ne répondroit de rien, si elle étoit la sienne. Lisette ajoute qu'il mériteroit bien d'éprouver le sort dont il parle.

Sganarelle, seul, grondant contre cette famille, composée, suivant lui, d'un vieillard insensé, d'une femme coquette, et de valets impudens, prend la résolution de se retirer à la campagne avec sa pupille, afin qu'elle ne perde point les sentimens d'honneur qu'il lui a inspirés. Valère, amant d'Isabelle, vient l'acoster, et lui témoigne qu'étant son voisiu, il seroit enchanté de lier connoissance avec lui. Sganarelle lui fait diverses reparties très-brusques, et le laisse. Le jeune homme est désespéré de voir celle qu'il aime au pouvoir d'un sauvage. Depuis quatre mois, dit-il à son valet, il la suit par-tout, sans avoir pu trouver un moment pour lui parler. Isabelle l'a va; mais a-t-elle compris le langage de ses yeux ? connoît→ elle et approuve-t-elle l'excès de son amour? que faire pour le savoir? Il entre chez lui avec son valet, pour y mieux rêver."

Acte II. Isabelle venant montrer à son tuteur le logis de Valère, dit à part :

O ciel ! sois-moi propice; et seconde en ce jour
Le stratagème adroit d'un innocent amour,

Et un peu après, en s'en allant :

Je fais pour une fille un projet bien hardi : it

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