A l'aspect du péril, si ma foi s'intimide; Si la chair et le sang se troublant aujourd'hui, Et ne punis que moi de toutes mes foiblesses. La situation d'Andromaque dans le même poëte n'est pas moins attendrissante. Cette veuve d'Hector étoit esclave avec son fils Astyanax à la cour de Pyrrhus, fils du meurtrier de son époux. Les Grecs demandoient à ce prince le jeune Astyanax pour le faire périr. Pyrrhus, qui vouloit épouser Audromaque, piqué des refus de cette princesse, dit dans un transport de colère : .... Allons aux Grecs livrer le fils d'Hector (a). ANDROMAQUE se jetant aux pieds de Pyrrhus. Ah, seigneur, arrêtez ! que prétendez-vous faire ? Pyrrhus paroît persister dans sa résolution, Andromaque tâche de le fléchir par ce discours si touchant. Seigneur, voyez l'état où vous me réduisez. (a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin du deu. xième Volume. J'ai vu trancher les jours de ma famille entière, rois, Puisqu'il devoit servir, fût tombé sous vos loix. La colère de Pyrrhus s'adoucit, mais sans qu'il renonce à son premier dessein. Il laisse à Andromaque le triste choix de l'épouser, ou de voir périr son fils. Dans cette cruelle perplexité, elle dit à sa confidente: Quoi, Céphise, j'irai voir expirer encor Ce fils, ma seule joie, et l'image d'Hector, (a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin du premier Volume. (b) Voyez ce mot, ibid. Ce fils que de sa flamme il me laissa pour gage, Chère épouse, dit-il, en essuyant mes larmes, ▸ J'ignore quel succès le sort garde à mes armes. Je te laisse mon fils pour gage de ma foi; » S'il me perd, je prétends qu'il me retrouve en toi, » Si d'un heureux hymen la mémoire t'est chère; » Montre au fils à quel point tu chérissois le père.» Et je puis voir répandre un sang si précieux ? Et je laisse avec lui périr tous ses aïeux ? Je l'en puis détourner, et je t'y vais offrir ! Le succès d'une tragédie dépend en grande partie de l'art avec lequel la terreur et la pitié y sont excitées, et du degré auquel ces deux passions y sont por tées. Ainsi le Poëte doit s'attacher à les graduer depuis le commencement de l'ac tion jusqu'à l'entier dénouement. Il faut que le péril où se trouve son héros, et le malheur qu'il éprouve., soient présentés de manière que les incidens qui suivent, rendent ce péril et ce malheur plus terribles, { propres à et plus attendrissans qu'ils ne l'étoient dans les incidens qui ont précédé; afin que la terreur et la pitié croissent toujours, jusqu'à ce qu'elles soient parvenues à leur comble. Cela n'empêche pas pourtant, comme je l'ai dit ailleurs, qu'on ne puisse, qu'on ne doive même entrelacer les situations, de quelques momens de joie et d'espérance, qui soulèvent l'âme, pour la faire retomber avec plus de force. Malheurs Il s'ensuit de tout ce que j'ai dit, que la la tragédie. tragédie veut nécessairement une action malheureuse. Mais il ne faut pas conclure de là que toute action malheureuse puisse en être le sujet. Une mort violente, un assassinat peuvent bien souvent n'être pas tragiques. Ce sont les circonstances qui les rendent tels. Or, comme l'observe Aristote, ces circonstances sont, 1°. celles des personnes qui agissent ou contre lesquelles on agit 2°. celles des rapports plus ou moins intéressans que ces personnes ont entr'elles. 1o. Les circonstances qui accompagnent une action, sont celles des personnes qui agissent ou contre lesquelles on agit. Toute action théâtrale est une entreprise, dans laquelle il y a des obstacles à vaincre, et où par conséquent plusieurs personnages agissent l'un contre l'autre. Or, le principal, celui pour lequel on s'intéresse, soit qu'il fasse lui-même l'entreprise, soit qu'on la fasse contre lui, ne doit pas, lorsqu'il tombe dans l'infortune, être tout-à-fait méchant et tout-à-fait criminel. S'il l'étoit, il ne pourroit exciter ni la terreur ni la pitié. Pourroit - on craindre pour un scélérat menacé de perdre une vie si funeste aux gens de bien? Pourroit-on être touché de pitié, s'attendrir sur un malheur qui ne seroit que la juste punition de ses forfaits? Ce principal personnage, loin d'être intéressant, seroit odieux. Il ne doit pas non plus être toutà-fait bon et tout-à-fait innocent. Il exciteroit alors moins de pitié pour lui que d'indignation contre celui qui l'opprimeroit le premier sentiment seroit étouffé par le second, parce que nous serions révoltés de voir la vertu la plus pure, l'innocence la plus éclatante dans l'opprobre et dans l'humiliation. Il faut donc que ce personnage auquel se rapporte tout l'intérêt, et dont le malheur fait le dénouement de l'action, soit, ou criminel, mais un peu vertueux, ou vertueux, mais un peu coupable. Il sera criminel; mais il aura commis un crime sans avoir l'habitude du crime : une fureur passagère, l'excès d'une passion bonne en elle-même l'aura conduit à ce crime; et c'est pour cela que le malheur dans lequel il se sera précipité, excitera notre pitié, sans exciter notre haine. Il sera vertueux; mais sa vertu sera mêlée de quelque foiblesse qui l'aura fait tomber dans une faute, soit réelle, soit apparente; et c'est pour cela que le malheur qui en sera la suite funeste, déchirera Tome III. Q |