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Une action dans le vraisemblable ordi-
naire, est celle qui arrive plus souvent
que l'action contraire; comme il arrive
plus souvent (pour me servir des deux
exemples donnés par le même Aristote)
qu'un homme foible est vaincu par un
homme fort;, qu'un homme simple est
trompé par
un homme subtil et adroit.
Une action dans le vraisemblable, extraor-
dinaire, est celle qui arrive bien moins
souvent que l'action contraire; mais dont
la possibilité est assez aisée

pour que cette chose ne soit pas regardée comme un prodige, quand elle arrive; comme lorsqu'un hommie fort est vaincu par un homme foible, un homme subtil et adroit trompé par un homme moins subtil et moins adroit que lui. On comprend assez que le vraisemblable ordinaire convient mieux à l'action dramatique que le vraisemblable extraordinaire. Il ne faut donc point employer celui-ci, sans avoir de fortes raisons de le faire, et sans ajouter à l'action même quelque circonstance, qui dispose l'esprit du spectateur à le bien.

recevoir.

dans l'ac.

tion.

Une action nécessaire est celle qui n'est Nécessaire point libre; elle ne peut pas ne pas être. Aristote auroit - il voulu dire que l'action dramatique doit être de cette nature? Voici le sens qu'on donne aux paroles que j'en ai citées.

Une action dramatique est une entreprise faite avec dessein. C'est un ambi tieux qui veut usurper une couronne, ou

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un prince légitime, qui veut remonter sur le trône d'où il a été chassé; c'est un vindicatif, qui veut exécuter ses projets de vengeance; un amant qui veut obtenir la main de la personne qu'il aime, etc.. Ces personnages commencent, poursuivent et achèvent leur entreprise. Cette action a donc plusieurs parties, out, l'on veut, renferme d'autres petites ac tions qui la composent, et qui en précèdent l'accomplissement. Toutes ces parties ou actions doivent être vraisemblables mais toutes ne peuvent pas être nécessaires. La première ne peut être que libre, et par conséquent vraisemblable seulement mais les autres peuvent être nécessaires par la liaison qu'elles ont avec la première, dont elles sont une suite essentielle. Ceci va être rendu plus sensiblepar un exemple.

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Poliencte, dans la tragédie de ce nom, vient de se faire chrétien, et de recevoir le baptême, au moment où l'on va offrir aux dieux du paganisme un sacrifice pour les remercier des victoires qu'a remportées l'empereur Décie. Il entre dans le temple; et à la vue de tout un peuple, en présence des magistrats, contre les Toix de l'empire, il renverse les autels, il brise les idoles. Cette action n'est point nécessaire, puisque Polieucte étoit parfaitement libre de la faire, ou de ne pas la faire. Mais étant faite, elle doit avoir des suites il faut que Polieucte soit arrele et jugé. Voilà donc une action né

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cessaire par la liaison qu'elle a avec la première. Félix, gouverneur du pays, offre la vie à Polieucte, pourvu qu'il adore les faux dieux voilà une action libre. Celui-ci refuse constamment de sacrifier aux idoles : voilà encore une action libre. Il faut qu'il soit mis à mort voilà une action nécessaire, puisqu'elle est une suite essentielle de son refus.

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J'ai dit que ces parties ou petites actions peuvent être nécessaires, parce qu'Aristote n'exige pas qu'elles le soient toujours, puisqu'il dit selon le vraisemblable ou le nécessaire. Il suffit souvent qu'elles soient vraisemblables. Cinna conspire contre Auguste la conspiration est découverte. L'acte de clémence que fait l'empereur, en lui pardonnant, n'est pas nécessaire : il est seulement vraisemblable. D'ailleurs, le philosophe grec dit dans un autre endroit que tout ce qui se passe, doit arriver néces sairement ou vraisemblablement de ce qui la précédé. Ainsi le nécessaire dont il s'agit ici, est le nécessaire de liaison et de conséquence.

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Ajoutons qu'on distingue encore le nécessaire de moyens par rapport à l'action, considérée simplement comme action 9 et considérée comme poëme. Lorsqu'un moyen est tellement nécessaire, que l'action ne peut point s'achever sans cela, on l'appelle besoin de l'action. Lorsqu'un moyen, sans être essentiel à l'action, est seulement nécessaire pour que l'ouvrage soit fait conformément aux règles de l'art x

de l'action

que.

on l'appelle besoin du poëte. Un moyen de cette dernière espèce est toujours une imperfection, et bien souvent un grand défaut dans une pièce de théâtre. Ainsi le, poëte ne doit bâtir le plan de son ouvrage, et conduire l'action jusqu'à sa fin, qu'en employant des moyens de la première espèce, c'est-à-dire, tirés du fond de l'action, même.

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Intégrité L'action dramatique,,, soit vraie, soit dramati- feinte, doit être entière; mot qui comprend la juste grandeur et le complément de l'action. Pour qu'elle soit d'une juste grandeur, elle doit avoir un commencement, un milieu et une fin elle ne peut pas, par conséquent, être momentanée, comme le meurtre de Camille dans les Horaces; meurtre qui se fait tout-à-coup et sans que l'esprit du spectateur y ait été préparé. Le commencement, .ce sont les causes qui doivent influer sur l'action et la résolution qu'on prend de la faire c'est cc qu'on appelle aussi l'exposition du sujet. Le milieu, ce sont les difficultés qu'il faut surmonter, les obstacles qu'il faut vaincre, par des efforts ou par des ruses, pour parvenir à l'accomplissement de l'action: c'est ce qu'on appelle aussi le noeud. La fin, c'est la cessation de ces mêmes difficultés

de ces mêmes obstacles, soit que le per sonnage qui fait l'action, vienne à bout de son entreprise, soit qu'il y échoue c'est ce qu'on appelle aussi le dénoue

ment.

གན་ན།།

Pour que l'action soit complète, il faut

qu'elle soit entièrement achevée, c'est-àdire, que l'événement qui la termine, satisfasse pleinement la curiosité du spectateur, qui doit se retirer, sans ignorer le sort et la situation des principaux personsonnages, et même sans être incertain si, après l'action qui vient de se passer sous ses yeux, il est arrivé quelque chose qui y tienne essentiellement. Dans la tragédie d'A thalie, le grand-prêtre Joad prend la résolution de couronner le jeune Joas, héritier du trône d'Israël, et qui a été secrètement élevé dans le sanctuaire; voilà le commencement. Athalie, qui depuis plusieurs années s'est emparée de la couronne, demande cet enfant au grand-prêtre, qui le refuse, et qui se met en défense contre cette reine; voilà le milieu. Athalie, attirée dans le temple par le grand-prêtre, est mise à mort par son ordre, et Joas est reconnu roi; voilà la fin. L'action est complètement achevée. Le spectateur sort pleinement satisfait, et sa euriosité n'a plus rien à désirer.

Il faut que l'action dramatique soit une, Unité de et qu'elle se passe tout entière en un même l'action jour, et en un même lieu.

Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli (1).

C'est le précepte qu'ont donné tous les grands maîtres , et qui a été rigoureu

(1) Boileau, Art Peét., chap. III,

dramati

que.

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