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l'heure pour les novateurs littéraires, d'applaudir, mais en

blámant un peu.

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Charles Nodier; Paul-Louis Courier.

Dans cette première période de la Restauration, la prose eut, comme la poésie, ses habiles écrivains et ses auteurs éloquents. Chacun des deux partis rivaux paye encore ici son tribut à l'histoire littéraire: les opinions royalistes nous donnent Charles Nodier; l'opposition, Paul-Louis Courier; le parti religieux ultramontain, l'abbé de Lamennais; le libéralisme, Benjamin Constant.

Les deux premiers de ces écrivains sont surtout des hommes de style: Nodier1, charmant conteur, savant philologue, curieux naturaliste, bibliophile passionné, éparpilla sur mille sujets divers son incroyable facilité, et porta partout la grâce un peu apprêtée de sa diction. Sans but bien sérieux, sans convictions bien profondes, il aima le paradoxe comme un bon avocat aime une cause difficile; pour lui la forme est tout; les grâces du langage furent sa plus sincère passion. « C'est partout et à tout propos, dans la description d'un paysage comme dans l'analyse d'une passion, dans la révéla

1. Né en 1783; mort en 1844.

2. Nodier avait tant écrit, qu'il ne savait pas lui-même le nom de tous ses ouvrages. Ce qu'il a publié suffirait pour composer une bibliothèque. Les plus connus de ses romans sont : Jean Sbogar, Thérèse Aubert, le peintre de Salzbourg, Mlle de Marsan, Smarra ou les Démons de la nuit, Songes romantiques. Parmi ses ouvrages philologiques, on peut citer son Examen critique de la langue française et son Dictionnaire des onomatopées.

tion d'un caractère, dans le récit d'une catastrophe, dans la peinture d'un amour frais et jeune, le même style harmonieux et souple, diapré comme les ailes d'un papillon, nuancé de mille couleurs, délicat et parfumé comme les fleurs d'un gazon au premier jour de mai. Sa parole ne ressemble à aucune autre parole; il la dévide comme un ruban qui commence on ne sait où, dont il ne peut pas même prédire d'avance les couleurs variées, qui ne finit que lorsque lui-même en tranche la trame, et qui, sans cela, se déroulerait à l'infini et incessamment1. » Nodier lui-même nous donne une idée plus exacte encore de ce curieux travail de style.

Smarra, dit-il, est une étude qui.... ne sera pas inutile pour les grammairiens un peu philologues.... Ils verront que j'ai cherché à y épuiser toutes les formes de la phraséologie française, en luttant de toute ma puissance d'écolier contre les difficultés de la construction grecque et latine, travail immense et minutieux comme celui de cet homme qui faisait passer les grains de mil par le trou d'une aiguille. » On pressent que, dans le travail régénérateur du dix-neuvième siècle, ce ciseleur de langage ne verra guère que la question littéraire. Il fut un des premiers à en deviner l'approche. « Il faut dire.... que j'étais seul, dans ma jeunesse, à pressentir l'infaillible avénement d'une littérature nouvelle. Pour le génie, ce pouvait être une révélation: pour moi, ce n'était qu'un tourment. » Nous avons vu plus haut que, dès l'époque de la Muse française, Nodier s'unit à ceux qu'on nommait déjà romantiques. Cet écrivain capricieux, humoriste, était charmé d'entendre dire un peu de mal des règles d'ailleurs l'école -nouvelle était un paradoxe de plus 2.

Paul-Louis Courier est aussi avant tout un excellent ar

4. G. Planche, Portraits littéraires.

2. Smarra est composé, en grande partie, de passages traduits d'Homère, de Théocrite, de Virgile, de Catulle, de Stace, de Lucien, de Dante, de Shakspeare, de Milton. L'auteur se moque des critiques de l'époque, qui prirent Smarra pour une œuvre romantique et la blàmèrent à ce titre : « Larisse et le Pénée! où diable a-t-il pris cela? disait le bon Lemontey (Dieu l'ait en sa sainte garde!) C'étaient de rudes classiques, je vous en réponds. »

3. Né en 1773, assassiné en 1825. Armand Carrel a donné, en 1834, une édition des OEuvres complètes de Courier, précédée d'un remarquable Essai sur la vie et les écrits de l'auteur.

tiste. Habitué par son éducation à saisir rarement le grand côté des choses, il ne vit dans l'Empire que des prétentions ridicules, et dans la Restauration qu'un objet de mesquines tracasseries. C'est le libéralisme dans ce qu'il a de plus étroit et de plus bourgeois. Mais il est difficile d'avoir plus d'esprit sur un sujet donné, plus de malice sous une apparente bonhomie que Paul-Louis n'en jette à pleines mains dans ses feuilles légères, dans son Livret, dans sa Gazette du Village, et surtout dans son Pamphlet des Pamphlets. Ces croquis délicieux, ces boutades comiques sont plus encore d'un homme d'esprit que d'un ennemi du gouvernement. Sa Lettre à M. Renouard sur la fameuse tache d'encre du manuscrit de Longus est une plaisanterie des plus ingénieuses et des plus acérées. La forme surtout est toujours chez Courier d'une rare perfection. Ce pamphlétaire, qui ne se gênait, dit Armand Carrel, d'aucune vérité périlleuse à dire, hésitait sur un mot, sur une virgule, se montrait timide à toute façon de parler qui n'était pas de la langue de ses auteurs. Il s'était fait un industrieux langage composé de celui des auteurs grecs, qu'il connaissait mieux qu'homme d'Europe, de notre langue du seizième siècle, qu'il cultivait avec amour, et du franc et énergique parler du peuple, qui a si bien conservé les idiotismes de nos vieux écrivains: Courier s'était fait ancien pour se rajeunir. Il ne pouvait souffrir le style du dix-huitième siècle. « Gardez-vous bien, écrit-il à M. Boissonade, de croire que quelqu'un ait écrit en français depuis le règne de Louis XIV: la moindre femmelette de ce temps-là vaut mieux pour le langage que Jean-Jacques, Diderot, d'Alembert, et postérieurs; ceux-ci sont tous ânes bâtés, sous le rapport de la langue, pour user d'une de leurs phrases; vous ne devez pas seulement savoir qu'ils aient existé. » Paul-Louis, comme André Chénier, descend directement des Grecs : l'un est l'héritier de Lucien, comme l'autre de Théocrite. Tous deux parlent à ravir le langage de leur nouvelle patrie, mais la pureté de leur trait, la simplicité de leurs couleurs, la combinaison

4. « Il n'a jamais lu l'histoire, dit son éloquent éditeur, pour le fond des événements, mais pour les ornements dont les grands écrivains de l'antiquité l'ont parée. »

savante de leurs constructions, indiquent assez qu'ils n'ont point oublié leur langue maternelle. Toutefois Courier nous semble inférieur à Chénier parce qu'il a moins de naturel. Son style est trop souvent une combinaison savante d'archaïsmes qui n'obéit pas assez à l'émotion spontanée de l'auteur. On y trouve quelquefois la pire des affectations, celle de la naïveté.

Cependant l'apparition d'un pareil écrivain était, plus encore que celle de Nodier, un symptôme de révolution littéraire. C'est au nom des vrais classiques que Courier ne pouvait souffrir leurs prétendus imitateurs.

De Lamennais.

Tandis que ces deux savants philologues s'efforçaient avec une patiente industrie à renouveler la prose française, deux autres écrivains prouvaient, par leur exemple, que le travail le plus fécond, dans l'intérêt même de la forme littéraire, c'est celui de la pensée. Lamennais et Benjamin Constant formaient entre eux le plus frappant contraste : l'un, défenseur ardent de l'unité, cherchait la vérité dans l'harmonie de toutes les intelligences, représentée par l'autorité sociale et religieuse; l'autre, passionné pour l'indépendance individuelle, ne demandait aux institutions politiques et religieuses qu'une garantie, qu'une protection pour le libre développement de toutes les facultés personnelles.

La carrière philosophique de Lamennais ' semble présenter, dans ses diverses parties, un contraste non moins violent. On n'a pas épargné les épithètes rigoureuses au prêtre qui commence par l'Essai sur l'indifférence, pour finir par l'Esquisse d'une philosophie en passant par les Paroles d'un Croyant. Pour nous qui n'aimons pas à prononcer sur les intentions, dont Dieu seul est le juge, nous croyons que, quand il s'agit d'hommes d'une pareille valeur, il vaut mieux comprendre que d'anathématiser : il est vrai que c'est quelquefois moins facile.

1. Félicité-Robert de Lamen nais, né à Saint-Malo en 4782; mort en Paris en février 4854.

Au reproche de légèreté et d'inconstance dans ses doctrines, Lamennais lui-même opposait cette énergique apologie: Ceux qui annoncent hautement la prétention d'être invaiables, qui disent: Pour moi, je n'ai jamais changé, » ceux-là s'abusent; ils ont trop de foi dans leur imbécillité; idiotisme humain, même soigné, cultivé sans relâche, avec in infatigable amour, ne va pas jusque-là, ne saurait atteindre à cette perfection idéale1. » On peut faire valoir en faveur du célèbre écrivain une autre excuse moins amère, mais non moins puissante. C'est que les changements de ses opinions, quelque complets qu'ils puissent paraître, n'en sont pas moins des développements logiques, naturels, et tous compris en germe dans le premier de ses ouvrages.

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Ce fut en 1817 que parut le premier volume de l'Essai sur l'indifférence en matière de religion. Cette œuvre répondait au besoin secret du temps. « Le titre de cet ouvrage est lui seul un trait de lumière, écrivait alors M. de Genoude, et il est aussi bien approprié à ce moment-ci, que le nom que donna Bossuet à son histoire de la Réforme, quand il l'appela l'Histoire des Variations. L'indifférence doit finir par cela seul qu'on l'a signalée. » Le siècle se sentait malade d'absence de foi, dégoûté d'un grossier athéisme, d'un déisme égoïste et sans influence sociale, d'un protestantisme inconséquent et illogique. Le premier volume de l'Essai était entièrement critique; il montrait l'importance de la religion pour l'individu, pour la société, et en quelque sorte pour Dieu, dévoilait la folie de ceux qui, incrédules eux-mêmes, ne veulent la religion que pour le peuple; il combattait le système des indifférents qui repoussent toutes les religions révélées, et ne veulent admettre qu'une prétendue religion naturelle; enfin, reprenant les armes de Bossuet, il prétendait forcer les membres des églises dissidentes à renoncer même au nom de chrétiens, et à reculer au simple déisme. Jusque-là le sentiment public était avec M. de Lamennais. A part quelques exagérations, quelques erreurs de détail, une argumentation un peu étroite et trop semblable à la dialectique de séminaire, l'Essai

4. Préface des Troisièmes mélanges.

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