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avait duré jusqu'à nos jours. Ceux qui l'ont renversé chez eux s'en repentiront longtemps inutilement. Pour brûler une ville, il ne faut qu'un enfant ou un insensé ; pour la rebâtir, il faut des architectes, des matériaux, des ouvriers, des millions, et surtout du temps (1).

Ceux qui se sont contentés de corrompre les institutions antiques, en conservant les formes extérieures, ont peut-être fait autant de mal au genre humain. Déjà l'influence des universités modernes sur les mœurs et l'esprit national dans une partie considérable du continent de l'Europe, est parfaitement connue.

Enfin, si l'on n'en vient pas aux anciennes maximes, si l'éducation n'est pas rendue aux prêtres, et si la science n'est pas mise partout à la seconde place, les maux qui nous attendent sont incalculables: nous serons abrutis par la science, et c'est le dernier degré de l'abrutissement (2).

IX

La prodigieuse dégradation des caractères dans le dixhuitième siècle (publiée même physiquement, surtout

(1) M. de Bonald a dit, dans le même sens :

<< Tous sont propres à détruire, peu à réédifier. Si l'on donnait à une troupe de marmots le château des Tuileries à démolir, les plus petits casseraient les vitres, les autres briseraient les portes ou mettraient le feu aux charpentes, et l'édifice, malgré sa solidité, serait bientôt en ruine; mais, si on leur donnait une chaumière à construire, ils ne sauraient comment s'y prendre, parce qu'il faut, pour bâtir, un plan, un ordre de pensées et de travaux, et qu'il ne faut rien de tout cela pour détruire. C'est là l'histoire des révolutions, et la raison du grand nombre des talents révolutionnaires que l'on a trouvés jusque dans les derniers rangs, et que les sots admirent. » (OEuvres. Pensées, 1847, p. 307.)

(2) Essai sur le principe générateur des constitutions politiques, etc Édit. Migne, col. 131 et 132.

en France, par celle des physionomies) n'a pas d'autre cause que l'extinction des sciences morales sous le règne exclusif de la physique et de la desséchante algèbre (1).

(1) Examen de la philosophie de Bacon, t. II, p. 262 et 263. Voir la note B.

NOTES

DU CHAPITRE IV.

Note A, page 271.

Nous empruntons à l'excellent livre de M. Nicolardot : - Ménage et finances de Voltaire (1), — les pages suivantes, où il examine avec tant d'impartialité les causes et les funestes résultats de la suppression des jésuites, en France. Ces détails sont le développement de la proposition émise par M. de Maistre, et ils lui donnent une force immense; on ne résiste pas à l'exposé de faits tels que ceux qu'on va lire :

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« On ne peut nier, dit M. Nicolardot, - que la destruction des Jésuites ne soit un sacrilége en religion, une monstruosité en morale et une folie en politique.

« Un ministre doit protéger une religion qui est la religion de presque tous les sujets. Les Jésuites étaient certainement utiles au catholicisme, qui était la religion de presque tous les Français. Détruire les Jésuites, c'étail donc nuire à la religion, et, par conséquent, porter une atteinte à la liberté de presque tous les Français. Aussi, le 14 novembre 1771, Voltaire mandait-il à d'Alembert: « L'expulsion des Jésuites annonce la fin du monde, et

(1) 1854, 1 vol. in-8.]

<< nous allons voir incessamment paraître l'Antechrist. » D'Alembert tirait les mêmes conséquences. Le 2 mars 1764, il écrivait à Voltaire : « Le plus difficile sera fait quand << la philosophie sera délivrée des grands grenadiers du << fanatisme et de l'intolérance; les autres ne sont que des « cosaques et des pandours qui ne tiendront pas contre « nos troupes réglées. » Levis (1) n'a pas hésité à déclarer que le triomphe de l'irréligion ne date que de la suppression des Jésuites.

<< Pourquoi la destruction des Jésuites doit-elle être envisagée comme une monstruosité en morale et une folie en politique? Le 2 mars 1762, Bernis disait à Voltaire : « Vous êtes aujourd'hui le seul homme en France qui << voyiez les choses avec esprit et gaieté. » Voltaire était donc compétent dans l'appréciation d'un événement qui devait avoir de grandes conséquences. Aussi le 4 juin suivant, Bernis lui faisait cet aveu: « Je ne crois pas que la destruc«<tion des Jésuites soit utile à la France; il me semble «< qu'on aurait bien pu les gouverner sans les détruire. » Pourquoi la destruction des Jésuites n'était-elle pas utile? Nous trouvons la réponse à cette question dans ces mots que Voltaire envoyait à d'Alembert, le 14 avril 1762 : « Les « Jésuites étaient nécessaires. »

« Pourquoi les Jésuites étaient-ils nécessaires? C'est que ce n'était pas seulement une congrégation religieuse, mais un corps enseignant. M. Crétineau-Joly (2) a remarqué que les Jésuites possédaient en France quatre-vingtquatre colléges; ils en avaient encore un nombre plus considérable dans tous les autres royaumes. Montbarrey (3) n'avait donc pas tort de confesser que, sous ce rapport,

(1) Souvenirs et portraits. 1813, p. 176.
(2) Clément XIV et les Jésuites, p. 139.
(3) Mémoires, 1827, t. III, p. 94.

les Jésuites étaient très-utiles à tous les gouvernements, qui leur devaient beaucoup de connaissances. Les Jésuites avaient l'art de rendre leur enseignement agréable. On peut voir dans les Mémoires de Marmontel et dans toutes les correspondances des philosophes comment ils savaient allier la douceur à la sévérité, et s'emparer de toutes les facultés de la jeunesse. Les Jésuites ne se bornaient pas à élever des chrétiens, ils s'appliquaient aussi à former des citoyens aptes à tout. Le duc de Levis (1) leur a rendu ce témoignage : « Ils donnaient à la jeunesse des principes de « religion et de morale en même temps que des connais<< sances positives; ils savaient développer les talents na« turels de ceux qui entraient dans leur société et les faire « servir au progrès des sciences et des arts. » Dumouriez (2) avoue aussi que « les Jésuites avaient le grand << talent d'élever l'âme de leurs disciples par l'amour« propre, et d'inspirer le courage, le désintéressement et « le sacrifice de soi-même. » Levis (3) nous donne dans ces lignes la cause véritable de ces résultats : «Dans toute << l'Europe catholique, les Jésuites présidaient à l'éducation « de la jeunesse. Ils faisaient des recrues parmi les plus il<«<lustres familles, et leur grand nombre ne nuisait point à <«<leur considération individuelle. Ils avaient soin que « quelqu'un d'entre eux excellât toujours dans les arts et << dans les sciences. Ils avaient donc des mathématiciens << habiles, de bons astronomes, des physiciens, de grands <«< orateurs. Ils cultivaient la littérature avec le plus grand << succès et dans toutes ses branches; ils s'adonnaient à l'é<< rudition sacrée et profane, à l'intelligence des auteurs «< classiques, à l'éloquence, à la poésie; dans tous les gen

(1) Mémoires, t. III, p. 177.

(2) T. I, p. 9.

(3) P. 171.

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