Images de page
PDF
ePub

Je ne connais pas d'auteur (Tacite peut-être excepté) qu'on se rappelle davantage. A ne considérer que le fond des choses, il a des morceaux inestimables; ses épîtres sont un trésor de morale et de bonne philosophie. Il y a telle de ces épîtres que Bourdaloue ou Massillon auraient pu réciter en chaire avec quelques légers changements: ses questions naturelles sont, sans contredit, le morceau le plus précieux que l'antiquité nous ait laissé dans ce genre: il a fait un beau traité sur la Providence qui n'avait point encore de nom à Rome, du temps de Cicéron (1).

XV

La muse de Louis Racine, héritière (je ne dis pas universelle) d'une autre muse plus illustre, doit être chère à tous les instituteurs; car c'est une muse de famille, qui n'a chanté que la raison et la vertu. Si la voix de ce poëte n'est pas éclatante, elle est douce au moins et toujours juste. Ses Poésies sa crées sont pleines de pensées, de sentiment et d'onction. Rousseau marche avant lui dans le monde et dans les académies; mais dans l'Eglise, je tiendrais pour Racine (2).

Chez les

(1) Les Soirées de Saint-Pétersbourg, t. II, p. 179 et 180.Romains païens, Providentia signifiait proprement prévoyance, faculté de prévoir. Providere, c'était pourvoir, faire des provisions. Dans César, Comment., on lit ce verbe dans ce sens : Providere rei frumentariæ, rem frumentariam, de re frumentaria, faire provision deblé, se pourvoir de blé. La providencedes Romains était donc quelque chose d'équivalent à celle de nos modernes accapareurs.— Voir la note E. (2) Les Soirées de Saint-Pétersbourg, t. I, p. 213.

-

XVI

La bibliothèque de Voltaire (déposée au palais de l'Ermitage) donne lieu à des observations importantes qui n'ont point encore été faites, si je ne me trompe. Je me souviens que Lovelace, dans le roman de Clarisse, écrit à son ami: Si vous avez intérêt de connaître une jeune personne, commencez par connaître les livres qu'elle lit. Il n'y a rien de si incontestable; mais cette vérité est d'un ordre bien plus général qu'elle ne se présentait à l'esprit de Richardson. Elle se rapporte à la science autant qu'au caractère, et il est certain qu'en parcourant les livres rassemblés par un homme, on connaît en peu de temps ce qu'il sait et ce qu'il aime. C'est sous ce point de vue que la bibliothèque de Voltaire est particulièrement curieuse. On ne revient pas de son étonnement en considérant l'extrême médiocrité des ouvrages qui suffirent jadis au patriarche de Ferney. On y chercherait en vain ce qu'on appelle les grands livres et les éditions recherchées surtout des classiques. Le tout ensemble donne l'idée d'une bibliothèque formée pour amuser les soirées d'un campagnard. Il faut encore y remarquer une armoire remplie de livres dépareillés dont les marges sont chargées de notes écrites de la main de Voltaire, et presque toutes marquées au coin de la médiocrité et du mauvais ton. La collection entière est une démonstration que Voltaire fut étranger à toute espèce de connaissances approfondies, mais surtout à la littérature classique (1). S'il

(1) M. Leouzon-Leduc a dernièrement feuilleté les 7,500 volumes de

manquait quelque chose à cette démonstration, elle serait complétée par des traits d'ignorance sans exemple qui échappent à Voltaire en cent endroits de ses œuvres, malgré toutes ses précautions. Un jour peut-être il sera bon d'en présenter un recueil choisi (1), afin d'en finir avec cet homme (2).

XVII

Un homme de lettres français du premier ordre, mais que je n'ai pas le droit de nommer, me confessait un jour, tête à tête, qu'il n'avait pu supporter la lecture des Petites Lettres. La monotonie du plan est un grand défaut de l'ouvrage : c'est toujours un jésuite sot qui dit des bêtises, et qui a lu tout ce que son ordre a écrit. Madame de Grignan, au milieu même de l'effervescence contemporaine, disait déjà en bâillant: C'est toujours la même chose, et sa spirituelle mère l'en grondait (3).

Sur le fond des choses considérées purement d'une manière philosophique, on peut, je pense, s'en rapporter aux jugements de Voltaire, qui a dit sans détour: Il est vrai que tout le livre porte sur un fondement faux, ce qui est visible (4).

la bibliothèque de Voltaire (à l'Ermitage), et ses observations confirment pleinement celles de M. de Maistre.

(1) C'est ce que fera non-seulement pour Voltaire, mais encore pour tous les encyclopédistes, L'Esprit de Féron, que nous avons annoncé plus haut. (P. 147, note 1.)

(2) Les Soirées de Saint-Pétersbourg, t. I, p. 319 et 320.

(3) Voir la note F.

(4) Siècle de Louis XIV, t. IH, ch. xxxvII. — De l'Église gallicane, édit. Migne, colonne 533.

XVIII

Buffon écrivit les aventures de l'univers, et pour se

faire le romancier du globe en démentit le saint historien (1).

(1) Examen de la philosophie de Bacon, t. II, p. 203.

[ocr errors]

NOTES

DU CHAPITRE VII.

Note A, page 339.

Veut-on savoir ce que Voltaire pensait des Lettres provinciales? Qu'on écoute ce juge peu suspect:

« Qu'on mette, dit-il, en parallèle, les Lettres provinciales et les Sermons du père Bourdaloue, on apprendra dans les premières l'art de la raillerie, celui de présenter des choses indifférentes sous des faces criminelles, celui d'insulter avec éloquence: on apprendra, avec le père Bourdaloue, à être sévère à soi-même et indulgent pour les autres. Je demande alors de quel côté est la vraie morale, et lequel de ces deux livres est le plus utile aux hommes? J'ose le dire, il n'y a rien de plus contradictoire, de plus inique, de plus honteux pour l'humanité, que d'accuser de morale relâchée des hommes qui mènent en Europe la vie la plus dure, et qui vont chercher la mort au bout de l'Asie et de l'Amérique. Quel est le particulier qui ne sera pas consolé d'essuyer des calomnies, quand un corps entier en éprouve continuellement d'aussi cruelles (1)? »

Je conseille à ceux qui voudraient savoir à quoi s'en tenir sur la valeur des allégations des Lettres provinciales, de lire les ouvrages suivants du père Daniel: Entretiens de

(1) Lettre au R. P. de Latour, jésuite, principal du collège Louisle-Grand, 7 février 1746.

« PrécédentContinuer »