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Note F, page 354.

Voici avec quel enthousiasme la spirituelle madame de Sévigné louait les Petites Lettres, c'était le nom donné communément alors aux Provinciales :

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« Quelquefois pour nous divertir, écrit-elle à sa fille, nous lisons les Petites Lettres : bon Dieu, quel charme! et comme mon fils les lit! je songe toujours à ma fille, et combien cet excès de justesse de raisonnement serait digne d'elle, mais votre frère dit que vous trouvez que c'est toujours la même chose. Ah, mon Dieu! tant mieux; peut-on avoir un style plus parfait, une raillerie plus fine, plus naturelle, plus délicate, plus digne fille de ces dialogues de Platon, qui sont si beaux? Et lorsque, après les dix premières lettres, il s'adresse aux révérends Pères, quel sérieux! quelle solidité! quelle force! quelle élégance! quel amour pour Dieu et pour la vérité ! quelle manière de la soutenir et de la faire entendre! c'est tout cela qu'on trouve dans les huit dernières lettres, qui sont sur un ton bien différent. Je suis assurée que vous ne les avez jamais lues qu'en courant, grapillant les endroits plaisants: mais ce n'est point cela, quand on les lit à loisir (1). »

guerre (f). Toutes ces manières de parler sont exclusivement propres à Sénèque parmi tous les écrivains profanes.

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(a) Animo cum hac carne grave certamen est, ne abstrahatur (De consol. ad Martian., cap. xxiv). Animus liber habitat; nunquam me caro ista compellet ad metum (Ep. 65). Non est summa felicitatis nostræ in carne ponenda (Ep. 74). (b) Nec ego, Epicuri angelus, scio, etc. (c) 11 Cor., XII. (d) Sacer intra nos spiritus sedet (Ep. 41). (e) Vir bonus vera progenies Dei (De Providentia, cap. 1). — (f) Ep. 51, 96. Voir Schoell, p. 450 à 452, et Fr. Ch. Gelpke: Tractatiuncula de familiaritate quæ Paulo apostolo cum Senequa philosopho intercessisse traditur, verisimillima. (Leipzig, 1813, in-4.)

(1) Mercredi, 21 décembre 1689, t. IX de l'édit. de Blaise. 1818, p. 265 et 266, in-8.

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C'est donc vous, madame la marquise, qui avez promené la science en jupon (1). Je vous en félicite, et je suis charmé que vous ayez pu, comme moi, examiner de près cette femme célèbre, ou fameuse, qui aurait pu être adorable, et qui a voulu n'être qu'extraordinaire. Il ne faut pas disputer des goûts; mais, suivant le mien, elle s'est bien trompée. Je trouve que vous la jugez parfaitement bien, excepté dans l'endroit où vous dites que souvent elle dit des choses qu'elle ne pense pas. Oh! pardonnez-moi. Elle dit fort bien ce qu'elle veut dire. Je ne connais pas de tête aussi complétement pervertie; c'est l'opération infaillible de la philosophie moderne sur toute femme quelconque, mais le cœur n'est

(1) Madame de Staël,

pas mauvais du tout. A cet égard, on lui a fait tort. Quant à l'esprit, elle en a prodigieusement, surtout, comme vous le dites fort bien, lorsqu'elle ne cherche pas à en avoir (1).

Le premier malheur de madame de Staël fut de n'être pas née catholique. Si cette loi réprimante eût pénétré son cœur, d'ailleurs assez bien fait, elle eût été adorable au lieu d'être fameuse.

Le second malheur pour elle fut de naître dans un siècle assez léger et assez corrompu pour lui prodiguer une admiration qui acheva de la gâter. S'il lui avait plu d'accoucher en public dans la chapelle de Versailles, on aurait battu des mains. Un siècle plus sage aurait bien su la rendre estimable, en la menaçant du mépris.

Quant à ses ouvrages, on peut dire, sans faire un jeu de mots, que le meilleur est le plus mauvais : il n'y a rien de si médiocre, que tout ce qu'elle a publié jusqu'à l'ouvrage sur l'Allemagne. Dans celui-ci elle s'est un peu élevée ; mais nulle part elle n'a déployé un talent plus distingué que dans ses Considérations sur la révolution française. Par malheur, c'est le talent du mal. Toutes les erreurs de la révolution y sont concentrées et sublimées. Tout homme qui peut lire cet ouvrage sans colère peut être né en France, mais il n'est pas Français (2).

Quant aux autres hommes, je n'ai rien à dire.

Quand on méprisera ces sortes d'ouvrages autant qu'ils le méritent, la révolution sera finie.

Une femme protestante prenant publiquement un

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archevêque catholique à partie, et le réfutant sur l'origine divine de la souveraineté, peut amuser sans doute certains spectateurs ; chacun a son goût : mais, pour moi, je préfère infiniment Polichinelle de la place Château; il est plus décent et non moins raisonnable (1).

II

Je vous crois trop accoutumés à réfléchir, pour qu'il ne vous soit pas arrivé souvent de méditer sur le bourreau. Qu'est-ce donc que cet être inexplicable qui a préféré à tous les métiers agréables, lucratifs, honnêtes et même honorables, qui se présentent en foule à la force ou à la dextérité humaine, celui de tourmenter et de mettre à mort ses semblables? Cette tête, ce cœur, sont-ils faits comme les nôtres ? ne contiennent-ils rien de particulier et d'étranger à notre nature? Pour moi, je n'en sais pas douter. Il est fait comme nous extérieurement; il naît comme nous; mais c'est un être extraordinaire, et pour qu'il existe dans la famille humaine il faut un décret particulier, un FIAT de la puissance créatrice. Il est créé comme un monde. Voyez ce qu'il est dans l'opinion des hommes, et comprenez, si vous pouvez, comment il peut ignorer cette opinion ou l'affronter! A peine l'autorité a-t-elle désigné sa demeure, à peine en a-t-il pris possession que les autres habitations reculent, jusqu'à ce qu'elles ne voient plus la sienne. C'est au milieu de cette solitude et de cette espèce de vide formé autour de lui qu'il vit seul avec sa

(1) Lettres et op., t. I, p. 503 et 504.

femelle et ses petits, qui lui font connaître la voix de l'homme: sans eux il n'en connaîtrait que les gémissements...... Un signal lugubre est donné; un ministre abject de la justice vient frapper à sa porte et l'avertir qu'on a besoin de lui : il part; il arrive sur une place publique couverte d'une foule pressée et palpitante. On lui jette un empoisonneur, un parricide, un sacrilége: il le saisit, il l'étend, il le lie sur une croix horizontale, il lève le bras: alors il se fait un silence horrible, et l'on n'entend plus que le cri des os, qui éclatent sous la barre, et les hurlements de la victime. Il la détache ; il la porte sur une roue: les membres fracassés s'enlacent dans les rayons; la tête pend; les cheveux se hérissent, et la bouche, ouverte comme une fournaise, n'envoie plus par intervalle qu'un petit nombre de paroles sanglantes qui appellent la mort. Il a fini : le cœur lui bat, mais c'est de joie ; il s'applaudit, il dit dans son cœur : Nul ne roue mieux que moi. Il descend; il tend sa main souillée de sang, et la justice y jette de loin quelques pièces d'or qu'il emporte à travers une double haie d'hommes écartés par l'horreur. Il se met à table et il mange; au lit ensuite, et il dort. Et le lendemain, en s'éveillant, il songe à tout autre chose qu'à ce qu'il a fait la veille. Est-ce un homme? Oui: Dieu le reçoit dans ses temples et lui permet de prier. Il n'est pas criminel; cependant aucune langue ne consent à dire, par exemple, qu'il est vertueux, qu'il est honnête homme,qu'il est estimable, etc. Nul éloge moral ne peut lui convenir, car tous supposent des rapports avec les hommes, et il n'en a point.

Et cependant toute grandeur, toute puissance, toute subordination repose sur l'exécuteur : il est l'horreur et

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