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sivement destinées aux fils des principaux fond tionnaires publics, est une troisième institution qui a encore pour but de rattacher les parens au chef de l'état par l'intérêt de leurs enfans. Buonaparte acquiert ainsi une grande influence sur toute la nation et sur les premières familles, en s'emparant de la jeunesse, en jetant, pour ainsi dire, la génération future dans le moule de la servitude, en la façonnant au dévouement à sa maison régnante, Ila, de plus, une autre vue politique dans cette institution, qui tend à établir insensiblement une aristocratie héréditaire des places, sorte de supplément à la noblesse. Les enfans des familles riches, des grands propriétaires, des hommes auxquels le gouvernement est obligé de laisser une certaine portion d'influence et d'autorité, seront seuls initiés de bonne heure au maniement des affaires publiques; ils formeront une espèce de corps privilégié, composé de familles patriciennes de la création de Buonaparte, qui occuperont seuls tous les emplois lucratifs et importans.

La légion d'honneur, dont la formation, méditée et préparée depuis long-temps, n'a eu lieu que d'une manière insensible et progressive, est une quatrième institution qui doit

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rendre le chef de l'état maître absolu de l'ar mée, distributeur des grâces, des honneurs, des titres, des marques de distinction, qu'il accordera exclusivement à ses créatures.

Cette légion est une cohorte prétorienne de nobles nouveaux, qui enchaînera toute la classe des militaires, et beaucoup d'hommes, dans l'état civil, au char du dictateur.

Enfin, l'établissement des sénatoreries, cinquième institution dictée par le même esprit, place dans la dépendance entière du maître la seule autorité créée par la prétendue constitution de l'an 8, qui paroissoit devoir protéger les droits de la nation et offrir une corporation intermédiaire, influente par son crédit politique, par ses lumières, son énergie, et par la force de l'opinion, propre à servir de rempart et de digue contre les assauts et les débordemens du despotisme.

Les collèges électoraux, présidés par des hommes à la nomination du premier consul composés des plus riches propriétaires et des citoyens qu'il a désignés, forment un sixième anneau de l'immense chaîne dans laquelle un maître habile enlace insensiblement toute une nation, justement fatiguée du régime qu'on avoit décoré à ses yeux du beau nom de li

berté; mais qui est entraînée, sans le savoir, vers l'extrême opposé, et qui se précipite dans la tyrannie.

Voilà les six institutions qui attestent, par leur nature et leur objet, que toutes les conceptions du maître sont uniquement et exclusivement relatives à l'agrandissement, à l'extension indéfinie, à la conservation et à la transmission de sa domination usurpée.

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En même temps qu'il organise, avec une circonspection inquiète et avec une dissimulation profonde, les divers élémens de sa puissance, qu'il éblouit dans l'intérieur les yeux des citoyens par quelques ordres utiles et politiques, relatifs à des réparations de routes, des ouvertures de canaux, pour favoriser la navigation et les communications intérieures ; il consacre secrètement sa pensée aux moyens d'effectuer promptement et avec succès son expédition projetée depuis long-temps contre l'Angleterre.

Il avoit médité la guerre, en signant la dernière paix. Cette paix lui a servi pour exciter l'enthousiasme et la reconnoissance des François, et pour lui assurer sa nomination au consulat à vie; la guerre devoit lui servir, immédiatement après, à détourner les regards des

François de leur situation intérieure, de leurs intérêts les plus chers et des accroissemens successifs de son autorité, pour transporter leur attention et toutes leurs pensées hors de leur patrie, et pour attacher uniquement leurs regards sur le théâtre des combats. Cette guerre entre en même temps dans son système de finances; la conquête doit lui fournir les moyens d'acheter par le brigandage et par les largesses de nouvelles créatures, et de conserver celles qui lui demandent le prix de la continuation de leurs services et de leur dévouement.

La France, administrée au dedans militairement et despotiquement, victorieuse au dehors, jette un éclat trompeur, comme sous Louis XIV; mais voit réellement dépérir peu à peu son agriculture, son industrie, son commerce, ses manufactures, ses finances, et surtout ses mœurs et son caractère national. La liberté civile et politique, principe créateur et conservateur de tous ses moyens de prospérité, s'éteint et disparoît. Le crédit n'existe plus; les impôts sont excessifs, les dépenses disproportionnées aux ressources : une impulsion rétrograde est imprimée à l'état, dont toutes les parties offrent des symptômes affligeans de décadence.

FRAGMENT

SUR LA SITUATION MORALE ET POLITIQUE DE LA FRANCE,

ET SUR LA SITUATION GÉNÉRALE DE L'EUROPE,

AU MOIS DE MAI 1805;

Extrait de Mémoires particuliers écrits à cette époque.

I.. ..................... L'EXAGÉRATION de la flatterie et de l'engouement est le caractère de l'époque actuelle. Il y a plusieurs grandes choses à admirer: ce ne sont pas celles qui obtiennent les éloges exagérés de beaucoup de gens. On a exagéré l'amour de la liberté, la haine de la superstition, l'horreur de tout ce qui rappeloit la monarchie, et ensuite l'horreur de tout ce qui tient à la philosophie, à la raison, à la liberté. On ne vouloit que réformer et innover : on proscrit les réformateurs, les innovateurs. On ne loue, on ne veut que ce qui existoit autrefois; on recherche et on rétablit les abus, plutôt que les choses qui pouvoient être en effet bonnes et louables. Tous les genres

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