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Que la langue française ait été d'un usage courant dans les Provinces-Unies au XVII° siècle, cela est un fait acquis à l'histoire littéraire. M. Salverda de Grave" et après lui, M. Brunot, ont recueilli des textes abondants et variés prouvant la diffusion de notre idiome dans les pays du nord. Le xvII° siècle marque d'ailleurs le terme d'une évolution qui prit naissance au moyen âge et dont il est facile de suivre le développement.

Dès le x siècle, les rapports politiques des princes néerlandais avec les souverains français sont constants. Florent V, l'un des derniers comtes de la maison de Hollande est l'allié de Philippe le Bel; les rois de France s'intéressent aux affaires de la Gueldre ou concluent des traités avec les Frisons. La majeure partie des chartes, correspondances ou traités relatifs à des alliances politiques ou des unions matrimoniales sont rédigés en langue française, Le traité de 1296, signé par les sires de Brederode, de Renesse et autres envoyés de Florent V est écrit en notre langue ce qui marque bien que les nobles hollandais de cette époque pratiquaient déjà le français. Au demeurant, dans la société cultivée du temps, le parler thiois ou néerlandais est délaissé, les jeunes hommes qui se destinent aux fonctions élevées ou pour lesquels on souhaite une éducation soignée sont envoyés en pays wallon pour en étudier la langue.

La noblesse néerlandaise ne cultive pas seule le français; le clergé l'étudie également, le plus souvent par la méthode directe, en venant à Paris ou à Orléans. Au XIII° siècle, Utrecht, Leyde, Amsterdam envoient des étudiants dans ces deux villes et cette coutume se continue au XIVe siècle. Philippe de Leyde, doctor decretorum de Paris, en 1369, est l'auteur d'un De cura reipublicæ et sorte principantis; de la dédicace de cet ouvrage, il ressort que nombre de ses compatriotes étudiaient vers 1378 dans les universités françaises. Des subventions étaient accordées par des villes de Hollande à des jeunes hommes

(Salverda de Grave, L'influence de la langue française en Hollande d'après les mots empruntés. Paris, 1913. Brunot, Histoire de la

langue française, t. V. Paris, 1917. Le Français dans les Provinces - Unies, chap. IV et suiv.

venant étudier à Paris, Orléans ou Montpellier; les magistrats de Middelbourg envoyèrent aux frais de leur cité des Néerlandais dans les écoles françaises. « A partir du duc Albert, écrit M. Pirenne, la francisation gagna la cour de Hollande comme elle avait gagné depuis longtemps celle de Flandre et de Hainaut. L'avènement de la maison de Bourgogne ne fit que consacrer et affermir la situation acquise par le français dans les Pays-Bas. » La connaissance d'une langue entraîne celle de la littérature. Au moyen âge la France a joué en Hollande un rôle considérable sous le rapport littéraire et les historiens de ce pays sont d'accord pour reconnaître que la majeure partie de la littérature néerlandaise de cette époque en tant qu'elle n'est pas traduite du latin est fondée sur des ouvrages français.

Dans les temps même où les lettres hollandaises subissaient l'influence de nos concepts littéraires, l'art français était soumis à l'action des artistes néerlandais. Au XIV siècle, la Hollande a orienté vers de nouvelles tendances les arts plastiques de notre pays. Des peintres, des sculpteurs originaires du Limbourg, de la Gueldre et de la Hollande qui s'étaient établis à Paris réagirent contre les formules conventionnelles de nos artistes et déterminèrent une réaction naturaliste grâce à laquelle l'art de la France royale rentra dans la bonne voie. Cette réaction s'ébauchait à peine en 1363 lorsque le roi Jean le Bon donna la Bourgogne à son fils Philippe le Hardi. Épris de goûts de luxe et amateur d'art, ce prince appela à Dijon des peintres et des sculpteurs. L'un d'eux, homme de génie, longtemps oublié, Claus Sluter, auteur des sculptures de la Chartreuse de Dijon et du Puits des Prophètes fonda une école, celle des Slutériens. L'observation directe de la nature, le goût du réalisme qu'exagéra même son neveu, Claus de Werve, natif de Hattem, caractérisèrent les tendances de cette école de Slutériens. Ce dernier ne put toutefois donner la pleine mesure de son talent car les successeurs de Philippe le Hardi sur le trône ducal de Bourgogne, Jean sans Peur et Philippe le Bon, trop activement mêlés aux querelles politiques du xv siècle ne disposèrent pas toujours des ressources suffisantes pour l'exécution de grandioses projets.

Les malheurs qui s'abattirent sur la France au cours de la dernière

(4) H. Pirenne, Histoire de la Belgique, t. II, p. 421.

période de la guerre de Cent ans eurent sur les relations intellectuelles franco-néerlandaises une fâcheuse répercussion; elles furent en partie interrompues. Néanmoins, à peine l'ordre fut-il rétabli dans le royaume que reprirent les rapports des Hollandais et des Français. Plus nombreux que jamais les hommes du Nord s'adonnèrent à l'étude de notre langue et vinrent suivre les cours de nos universités. Ce mouvement ne se ralentit à aucune époque du XVIe siècle.

En étudiant notre langue, des Hollandais poursuivaient parfois un but pratique; ils voulaient être à même de commercer utilement dans le royaume. Aussi bien, ceux à qui n'était pas permise l'étude directe de notre langage l'apprenaient-ils dans leur pays.

De Bayonne à l'embouchure de la Somme, ports et havres de l'Atlantique et de la Manche étaient depuis le xur siècle visités par les Hollandais; ils venaient enlever vins du Midi, eaux-de-vie de l'Aunis, sels et toiles de Bretagne, draps de Normandie, blés de toutes provenances. Les plus petits ports abritaient parfois leurs navires; ils abordaient par exemple à Bourgneuf, le Collet, Pornic dans le pays de Retz. Courtiers et facteurs néerlandais traitaient directement avec campagnards et citadins; force leur était donc de connaître notre langue. Dans les écoles hollandaises les enfants apprenaient les rudiments du français; au cours de leurs voyages, ils complétaient leur instruction. Les magistrats des villes hollandaises incitaient les enfants à apprendre le français; ils stipendiaient des maîtres chargés de cet enseignement. Le 26 avril 1503, les bourgmestres d'Amsterdam autorisent Jacob von Schoonhoven de Bruges à tenir école dans leur ville et à y enseigner le français. Son privilège prorogé en 1505, stipule qu'il enseignera aux personnes « masculini sexus » à lire et à écrire des lettres françaises et hollandaises, puis le calcul et tout ce qui peut être utile à un marchand. Au xvi° siècle, les bourgmestres d'Amsterdam accordent des gratifications à des maîtres de français nés, les uns, dans les provinces wallonnes, les autres, au cœur même de la France. Philippe van Halle, Philippe Jantz, Jean Anstaedt d'Anvers, sont au nombre des premiers, Jos le Pescheur, Jacques Leau, de la Rochelle sont de purs Français. A Leyde, en 1556, Peeter de Thoures four enseigne à lire et écrire notre langue. Les ordonnances des grandes et petites écoles de Delft stipulent que les

personnes qu'on admettra pour enseigner aux garçons le français ne paieront au recteur aucune redevance. Une résolution des magistrats de Rotterdam, en date du 19 juin 1552, défend tout enseignement sans consentement du recteur, hormis celui du français. Avant 1550, Utrecht et Gouda possèdent des maîtres de langue française.

Outre les fils de marchands, marchands eux-mêmes, qui apprennent notre langue dans un but utilitaire pour profiter des avantages commerciaux que le roi Louis XI a stipulés au profit des Hollandais établis à Bordeaux et à la Rochelle ou que les ducs de Bretagne ont octroyés à ceux qui fréquentent le port de Nantes, accourent vers la France ceux qui désirent participer à notre culture. Dès le règne de Louis XI, les Hollandais reviennent en foule à Paris. Au seul cours du xv siècle, M. de Wal, dans des listes incomplètes d'ailleurs, a noté plus de vingt Hollandais ayant été recteurs de l'Université de Paris. Vers la fin de l'été 1495, le grand Erasme arrive à Paris et y établit le centre de son activité.

Plus on avance vers le milieu du xvr° siècle et plus s'accroît le nombre des Néerlandais qui étudient en France. Paris n'est pas la seule ville qui les attire et les retient. De la Haye, d'Amsterdam, d'Utrecht, de Dordrecht, l'Université d'Orléans reçoit, chaque année, des élèves.

Affiliés à la nation germanique, ces Néerlandais sont fréquemment élus procurateurs, questeurs ou receveurs de cette nation. Arnold Perreds, de Leyde est receveur en 1508, Franco Boots en 1510, Cornelius Wilhelm, de Dordrecht, en 1511, Cornelius Fyctr, de Rotterdam, en 1515. Paris et Orléans ne sont pas les seuls centres d'études des Hollandais. Au temps de l'enseignement de Cujas, Bourges en reçoit en son université et n'aurions-nous pour nous renseigner que les souvenirs de Félix Platter, nous saurions qu'à Montpellier se rendaient ceux qu'attiraient les études médicales. A dater du jour où Duplessis-Mornay établit à Saumur son Académie, des Hollandais viennent y suivre les leçons des maîtres qui y professent. Que ces Hollandais vivent en groupes, qu'ils suivent des cours en latin, il n'en demeure pas moins vrai qu'ils participent à l'existence française, apprennent notre langue et s'imprègnent de notre culture. Il est inutile de rappeler que la réforme hollandaise est fille de la réforme française, c'est la foi de Calvin et non celle de Luther qui

SAVANTS.

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anime les Néerlandais, c'est-à-dire une pensée française, quand même. elle a passé par Genève et non pas une pensée germanique.

Dans un ordre d'idées moins élevé et tout différent, le théâtre hollandais du xvi siècle se ressent de l'influence française. Pour apprendre une langue rien n'est plus propre que les pièces de théâtre ou des dialogues, dit Zacharie Heyns dans la dédicace de l'Uxor mempsigamos. Les magistrats de Hollande, de bonne heure, mettent en pratique cette vérité. En 1533, les échevins d'Amsterdam subventionnent Philips van Halle qui a joué een spel in Walsch et les registres des comptes de Gouda, en 1548 et 1549, marquent que dans cette ville on accorde des subsides à Niccasius Amala qui a joué le jeu de l'Enfant prodigue. Ces représentations créées d'abord dans un but utilitaire font connaître nos auteurs de la Renaissance à la Hollande et développent chez elle le goût de notre théâtre.

L'intimité des rapports intellectuels et moraux franco-néerlandais qui s'était établie dès le moyen âge se resserre encore à la fin du XVe siècle et au xvi. Elle se manifeste de maintes manières. Au temps même où l'art italien règne souverainement en France, des artistes du Nord sont cependant appelés par des amateurs d'art de notre pays. En Touraine, des sculpteurs hollandais travaillent à la décoration du château d'Amboise; à Tournus, dans le Mâconnais, s'établit une colonie d'artistes hollandais. Ils renouent les traditions qui s'étaient quelque peu perdues depuis la disparition de l'école slutérienne de Dijon. De Hollande, nous viennent érudits et professeurs. Est-il besoin d'insister sur le rôle d'Erasme à Paris? faut-il rappeler que l'ami de Rabelais, Antoine Saporta est remplacé dans sa chaire à l'Université de Montpellier par Nicolas Dortoman et que le célèbre Gomar enseigne à l'Académie protestante de Saumur.

L'amitié qui unissait la France et la Hollande depuis plusieurs siècles déjà se fortifia encore à dater du jour où des relations politiques suivies s'établirent entre les deux pays. Il serait vain, après M. Waddington", de redire quelle intimité unit Français et Hollan

(4) A. Waddington, La République des Province-Unies, la France et les

Pays-Bas espagnols de 1600 à 1650.
Paris, 1895, 2 vol. in-8.

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