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avoir détruit la ville punique, fondèrent à quelque distance, dans un site de leur choix, une cité entièrement nouvelle. Si originale que soit sa physionomie, la Sardaigne porte, comme les autres parties de l'empire romain, la marque de cette domination puissante qui a pendant plus de cinq siècles modelé fortement, mais non sans brutalité, l'Occident européen. L. A. CONSTANS.

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M. Vassel vient de publier dans la Revue Tunisienne un fragment d'inscription punique récemment découvert à Carthage et contenant les restes de quatre lignes, gravées en petits caractères. Il en donne la transcription suivante :

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<«< Les mots, dit-il, sont nettement séparés par des blancs, ce qui rend la coupe aisée, comme l'est la lecture; mais le sens n'en est guère éclairci. » Égaré précisément par ces apparences trompeuses, et prenant pour argent comptant ces semblants de coupes, M. Vassel a fait tout à fait fausse route. Après maints tâtonnements infructueux il renonce à traduire le texte ainsi transcrit par lui et conclut que c'est un « tissu d'énigmes ».

Je ne m'arrêterai pas à redresser par le menu les erreurs où l'auteur est tombé. Même sans le secours d'un estampage ou d'une copie figurée que je n'ai pas à ma disposition, il ne faut qn'un coup d'oeil pour les reconnaître et constater que nous avons tout bonnement affaire à un lambeau d'un de ces Tarifs de sacrifices, dont nous possédons déjà plusieurs exemplaires,

(4) Cf. la note succincte que j'ai communiquée à ce sujet à l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres (séance du 23 septembre 1921).

(2) Il ne subsiste plus de cette ligne, paraît-il, que le débris d'une seule lettre, taw ou lamed, vers le début.

- tous plus ou moins fragmentaires, eux aussi et dont la célèbre pierre de Marseille, une des pierres angulaires de l'épigraphie phénicienne, nous offre le spécimen le plus étendu. Comme je vais le montrer, le nouveau morceau de Carthage reproduit littéralement, mais en y introduisant un complément d'une importance capitale, une partie de la première ligne constituant le préambule du Tarif de Marseille, ligne qui, justement à l'endroit correspondant, était atteinte par la plus fâcheuse des lacunes: En échange, il y trouvera lui-même les éléments d'une restitution intégrale.

D'autre part, notre fragment s'apparente non moins étroitement, pour le corps même du texte, à la teneur d'un autre fragment congénère conservé au British Museum (2); il lui apporte, à lui aussi, et en reçoit en même temps d'utiles compléments. En somme, ces trois documents, diversement mutilés, vont se combiner à souhait entre eux, en se prêtant un mutuel

secours.

Il suffit, pour mettre la chose en évidence, de faire subir au déchiffrement matériel de M. Vassel, à ce que j'appellerai son produit épellatif, un traitement très simple, consistant à substituer aux invraisemblables coupes de mots pratiquées par lui, des coupes toutes différentes, qui fourniront des mots tout à fait plausibles et déjà connus par ailleurs. On obtient ainsi le texte très clair que voici :

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Je réserve provisoirement l'examen et l'interprétation de la ligne 1, qui constitue le morceau de résistance de notre petit texte et contient une donnée nouvelle qui en fait tout le prix. Je passe par anticipation à ce qui concerne les lignes 2 et 3. Elles se superposent exactement, ligne pour ligne aussi bien que mot pour mot, aux lignes 2 et 3 du fragment du British Museum où on lit, à propos des sacrifices respectifs du boeuf et du veau (ou du bélier?):

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J'ai souligné, pour faire mieux ressortir la concordance, la série de caractères commune aux deux fragments; on remarquera, à la fin de la ligne 3, l'aleph isolé, qui précède la lacune et dont on ne pouvait jusqu'ici expliquer le rôle. Notre nouveau fragment nous révèle le mot de l'énigme; la concordance est trop complète pour qu'on hésite à voir dans cette lettre l'amorce de l'expression: ... « à condition de donner au prêtre) le (ou les)... » (3). Nous sommes donc pleinement autorisés à rétablir dans son ensemble une même phrase, répétée textuellement quatre fois, avec plus ou moins de manques accidentels, d'une part aux lignes 2 et 3 de notre fragment, d'autre part aux mêmes lignes du fragment du British Museum, à savoir :

וכן הערת לכהנם ותברת לבעל הזבח אם לתת לכהן אית[ה.

et la peau sera pour les prêtres et la (ou les) TBR T pour l'auteur du sacrifice, à condition de donner au prêtre le (ou les)....

Je reviens maintenant à l'examen de la ligne 1. Je l'avais ajourné à dessein, voulant avant tout établir que nous avions bien affaire à un nouvel exemplaire de Tarif de sacrifices de tout point comparable à ses similaires. Voici qui va achever de le démontrer, tout en éclairant d'une vive lumière un côté encore très obscur du passé de Carthage. Tout d'abord, une observation préalable, d'ordre purement matériel, mais qui a son importance. Cette ligne était indubitablement la première de l'inscription dans son état original; c'est ce que prouve surabondamment l'existence au-dessus d'elle, d'un restant de moulure d'encadrement signalé par M. Vassel, Elle faisait donc partie intégrante du préambule. Or, si, nous reportant à la ligne du Tarif de Marseille, nous lui superposons ce qui subsiste de la ligne de notre fragment, nous constatons que ce lambeau

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vient en quelque sorte s'y encastrer d'une manière inespérée. En combinant les deux documents on obtient finalement l'ensemble suivant où se trouve reconstitué en son entier tout le préambule du Tarif de Marseille :

כת בעל... בעת המשאית אש מנא שלשם האש אש על המשאתת עתר חלצבעל בשפט בן ברהנת בן בראשמן וחלצבעל השפט בן בראטמן בן חלצבעל וחברים

Temple de Baal... Tarif des taxes qu'ont établi les Trente membres préposés aux taxes; étant en exercice le rab (président) Hilles baal, sufète, fils de Bodtanit, fils de Bodechmoun, et le sufète Hillesbaal, fils de Bodechmoun, fils de Hillesbaal, et leurs collègues.

se

J'ai souligné les 18 lettres fournies par notre fragment, et intercalées à la place que j'estime devoir leur revenir. Défalcation faite des 2 lettres, recouvrant de part et d'autre, elles comblent exactement la lacune de la pierre de Marseille, lacune dont l'étendue, rigoureusement mesurée au compas, est de 16 lettres juste (1).

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Je n'ai pas besoin de faire remarquer que, selon toute vraisemblance, la même restitution de la formule introductoire est applicable aux autres Tarifs similaires dont les débris sont venus ou, espérons-le, viendront encore jusqu'à nous. C'est le cas, bien entendu, en premier lieu, pour notre nouveau fragment lui-même qui, pour cette partie, empruntera ses compléments à la pierre de Marseille, en échange de ceux qu'il lui a fournis; c'est le cas également pour les fragments n° 167 (British Museum) et n° 170, à ne parler que des plus notables (*). Naturellement, ces reconstitutions. doivent être faites mutatis mutandis en ce qui concerne les noms des magistrats en charge, qui devaient varier selon les époques (3), et ceux des

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(4) Et non pas de 14 lettres, comme l'évaluent les éditeurs du C. I. S., évaluation qui les a conduits à une restitution beaucoup trop courte (13 lettres), en leur faisant écarter l'idée qui était bonne, nous le voyons aujourd'hui d'un nom de nombre, idée suggérée par la comparaison avec le no 175, où il est formellement fait mention de decemvirs et dont je parlerai tout à l'heure.

(2) Voir dans le Journal Asiatique, 1921, I, p. 177 et suiv., le tableau synoptique, dressé par M. l'abbé

Chabot, des sept fragments, grands ou petits, de Tarifs carthaginois connus jusqu'alors, auxquels il faut ajouter maintenant le nouveau venu, last not least.

(3) C'est ainsi, par exemple, que dans l'inscription n° 170, le président et le vice-président du Conseil des Trente sont d'autres personnages que ceux du no 167. En outre, le premier ne porte pas le titre de sufète; la cassure ne permet pas de savoir s'il en était de même du second.

divers sanctuaires où étaient apposées les tables contenant le texte de ces règlements rituels.

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Les trente membres littéralement les triginta viri - qui font leur apparition ici se présentent à nous sous l'aspect d'un véritable collegium présidé par le sufète en exercice et son second. Comme nous le voyons, ce corps administratif avait dans ses attributions l'imposition des taxes. Outre le département très important des finances, il avait peut-être d'autres pouvoirs encore. En effet, étant donné ce chiffre caractéristique de trente, il est difficile de ne pas y reconnaître le fameux Conseil des Trente qu'un passage de Tite-Live nous montre comme un des rouages essentiels de l'organisation politique de Carthage :

Oratores ad pacem petendam mittunt triginta seniorum principes; id erat sanctius apud illos consilium maximaque ad ipsum senatum regendum vis (").

Ce Conseil des Trente semble avoir joué dans le sein du grand Sénat carthaginois des Cent, ou des Cent-quatre, un rôle prépondérant, celui d'un comité directeur concentrant entre ses mains l'autorité suprême. Ce n'est pas ici le lieu de reprendre le problème si débattu (2) des institutions puniques d'après les renseignements plus ou moins précis et concordants des auteurs classiques. Je me contenterai pour aujourd'hui de signaler l'importance de l'élément nouveau que je crois pouvoir y introduire grâce à notre petit fragment interprété rationnellement.

Je rappellerai en terminant que d'autres inscriptions puniques(*) toujours fragmentaires, hélas! - nous font connaître l'existence d'un autre genre de collège, celui des « dix hommes préposés aux sanctuaires ou aux choses du culte »), véritables decemviri sacris faciendis. Ce comité, ou cette commission, comme on voudra l'appeler, semble avoir été d'un ordre tout différent et, selon la judicieuse comparaison des éditeurs du Corpus, répondre simplement à nos conseils de fabrique. Ce n'est pas lui qui avait l'autorité de fixer les taxes, même rituelles. Sa compétence propre semble avoir été bornée aux travaux de construction et d'aménagement intérieurs

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