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HISTOIRE

LA RÉGÉNÉRATION

DE LA

DE LA GRÈCE.

LIVRE SIXIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

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Insurrection de Samos. Levée et organisation de troupes régulières.-Fureur des Turcs asiatiques.-Désordres commis pár eux aux Dardanelles. Arrivée de la flotte mahométane à Mitylène ou Lesbos. —L'escadre grecque se met à sa poursuite.—Beau fait d'armes de quatre bricks grecs;

détruisent un vaisseau de ligne ennemi. Fuite de l'armée navale ottomane. Projet des Grecs sur Smyrne; Se dirigent vers Cydonie. Incendie et destruction de cette ville.--Les insurgés sauvent les habitants.-Chrétiens vendus par les barbares. Descente des Samiens sur les côtes de l'Asie mineure. Massacres de Smyrne. Belle conduite de M. David, consul de France. Zèle, charité, protection de la marine royale envers les Grecs. - Assas

sinat des autorités turques. Ochlocratie musulmane.Bâtiment sarde sacrifié ; son équipage assassiné. Causes et conséquences de cette affaire.

SANS s'occuper de la pensée des cabinets de l'Europe, les Grecs appareillaient pour se porter à la rencontre de la flotte ottomane, qui se disposait à entrer dans l'Archipel, afin d'attaquer Samos. Cette île s'était insurgée, comme nous l'avons dit, à la nouvelle de l'assassinat du patriarche Grégoire. Les primats rassemblés à Vathi, bourgade située vers l'embouchure de l'Imbrasos, fleuve que Junon honora de ses premiers regards, ayant proclamé l'indépendance, le peuple avait massacré le cadi et ses satellites, qui s'étaient rendus odieux par leurs iniquités. Les campagnes avaient suivi cet exemple, les Turcs qui s'y trouvaient disparurent, des actions de graces retentirent dans toutes les églises, et les paysans, ivres de joie, allumèrent un si grand nombre de feux sur les montagnes, qu'on aurait cru qu'ils célébraient encore une fois la victoire de Mycale, si on n'avait pas bientôt appris que c'était le triomphe de la croix, dont ils venaient d'inaugurer l'étendard.

Le conseil des anciens, présidé par l'archevêque, décréta de députer immédiatemment deux de ses archontes à Psara, pour y faire part de la révolution qui venait de s'opérer. Les consuls des puissances chrétiennes, qui étaient presque tous des indigè

que par

nes, s'empressèrent de sacrifier leurs emplois à l'honneur de servir leur patrie. Les hommes en état de porter les armes se présentèrent pour la défendre, et, dans l'espace de deux jours, on réunit six mille hommes, animés d'un excellent esprit. On ne tarda pas à recevoir du canon que les Psariens envoyèrent, et le port fut fortifié de manière à ne rien craindre du continent, dont l'île n'est séparée que par un canal d'un mille, qu'on peut franchir sur des radeaux. Cette espèce de dioryctos ou fossé, entre dans le système de défense de Samos, où l'on n'aborde le port Vathi, l'île n'offrant, dans une circonférence de plus de vingt-deux lieues, que des côtes inaccessibles même aux plus faibles barques. Ce mouillage est lui-même borné à peu de distance par des montagnes escarpées, dans lesquelles on ne pénètre qu'à la faveur de défilés, susceptibles d'être défendus en faisant rouler des roches qui forment des avalanches de pierres, mille fois plus meurtrières que le feu de l'artillerie. Les Samiens connaissaient l'avantage de la position qu'ils occupaient; et une idée salutaire qu'ils conçurent, les plaça tout-à-coup à la tête de l'insurrection. Ils se considérèrent comme le lieu d'asyle des chrétiens de l'Asie mineure; et la terre qui dévora Polycrate tressaillit, lorsqu'on proposa, dans le conseil des anciens, de former des corps disciplinés à l'européenne, pour défendre ce boulevard de l'indépendance.

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Plusieurs Samiens avaient combattu sous nos drapeaux pendant l'expédition d'Égypte; d'autres avaient

servi en Russie; et quelques jeunes gens, s'étant soumis à l'apprentissage de la manoeuvre, devinrent les instructeurs des milices montagnardes. Vers le commencement de mai, trois mille Samiens marchaient au pas, chargeaient par temps, quand les persécutions suscitées contre les chrétiens de l'Asie mineure refoulèrent vers eux une multitude de proscrits. Le dénombrement des soldats qui grossirent leurs rangs par ce reflux, se montait, au premier juin, à plus de quatre mille, tous gens de cœur. On n'avait encore mis en pratique que le système de stratégie par compagnie mais alors on les amalgama en régiments, et les officiers français, de la corvette la Chevrette, commandée par M. Richard, qui eurent occasion de les voir manœuvrer, furent étonnés de leur belle tenue. Les chefs étaient coiffés du casque hellénien, les soldats vêtus du costume historique; et si les mousquets n'eussent annoncé la différence des temps, on les aurait pris pour les vainqueurs de Tigrane.

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Au récit de ce prodige politique, les Turcs frémirent, et les Grecs de Scala Nova, de la Carie, de la Doride, de la Lycaonie, qui purent échapper à leurs poignards, s'embarquèrent en foule pour Samos. L'île qu'ils encombraient, allait se trouver dans le même embarras que Psara, par cette surabondance de population, si l'approche du danger n'avait pas obligé la majeure partie des réfugiés, qui étaient des femmes et des enfants, à se retirer dans des îles éloignées. Dans cette crise, l'archevêque de Samos devint le soutien de tous les infortunés. Il pourvut à leur

embarquement, et, après l'avoir terminé, il resta au milieu de dix mille combattants, qu'il eut le rare bonheur de maintenir dans une union parfaite. Il avait persuadé au Sénat, de les tenir en haleine; et ce conseil, ayant pour principe que la guerre doit nourrir la guerre, on résolut d'attaquer le continent,

La première expédition qu'on fit en Asie, fut de deux mille hommes, qui revinrent chargés de butin et suivis d'un grand nombre d'esclaves turcs des deux sexes, qu'on ne relâcha qu'après en avoir tiré une copieuse rançon. Huit jours après, les Samiens descendirent de nouveau au fond du golfe de Mycale, où la supériorité de la discipline leur procura seule la victoire contre une multitude de barbares qui se battirent avec acharnement. Enfin, ils renouvelèrent si souvent leurs excursions, que la partie de l'Anatolie qui fait face à Samos fut abandonnée à plus de six lieues à la ronde par les mahométans.

Les Turcs, qui ne se vengent jamais qu'en lâches, répondaient à chaque victoire des Samiens par le meurtre des chrétiens, que l'impunité avouée par le gouvernement livrait à leurs ressentiments. Ainsi, pour les préparer au carnage, on ferma les yeux sur quelques assassinats qui eurent lieu à Smyrne, dans les premiers jours de juin, car les grands coups ne devaient être portés qu'à l'apparition de la flotte turque. Elle était sortie de Constantinople, vers le milieu du mois de mai, avec des équipages composés de vagabonds de race franque, de galériens tirés du bagne, et d'un ramassis de brigands armés, qui auraient seuls suffi

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