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mairement. Ainsi l'expédition sortie des Dardanelles à la fin du mois de janvier, trompée dans son attente relativement au complot qui devait lui livrer Hydra, entamée lorsqu'elle doubla le cap Ténare, repoussée à l'attaque de Navarin, battue aux rivages de l'Achaïe, où elle n'avait débarqué quatre mille Asiatiques que pour les livrer au glaive des chrétiens, rentrait, au bout de deux mois de campagne, dans le canal de l'Hellespont, après avoir dévoilé son impéritie, sa lâcheté. L'assistance même des Anglais n'avait pu lui être profitable; et une correspondance que les Grecs prirent sur un émissaire protégé par le frère du consul de Sa Majesté Britannique à Patras, les mirent au fait des projets des Turcs contre les succès des soldats de la croix.

Cet évènement nous oblige à nous rapprocher encore une fois de la police de Zante, pour dire comment celui qu'on avait vu paré des vêtements du prince Mavrocordatos fut arrêté par les croiseurs grecs, dans une de ces coupables excursions qu'il faisait à l'abri du pavillon de la Grande Bretagne. Hélé à la hauteur du cap Papa, par un bâtiment insurgé qui le sommait de venir à l'obédience, l'émissaire, trop long-temps impuni, menaça vainement le capitaine croiseur du courroux de la terrible nation souveraine des mers, à laquelle il appartenait. On lui répondit, que ses couleurs ne devaient pas servir à masquer l'espionnage, et il dut céder à la nécessité. On enleva de sa barque un nommé Omer, aga de Candie, favori de Jousouf pacha; on se saisit des

dépêches dont il était porteur; et son protecteur, croyant faire trembler les éphores de l'Étolie, suivit le captif à Missolonghi pour le réclamer.

Il croyait encore parler à des raïas, mais son arrogance dut fléchir devant le sénat de pêcheurs rassemblé dans cette ville. Ils rejetèrent raisons, prières, offre de rançon; sans craindre de faire entendre au jeune barbare anglais des vérités dont il se souviendra peut-être à son heure suprême, en jetant un dernier regard sur l'or, souillé de sang, qui fait son opprobre et celui de ses pareils. « Tu t'es « nourris de larmes et de carnage, lui dirent les « Grees; sois libre, Dieu seul doit te châtier; quant « à ton associé, Omer aga, il sera pendu; sors de « notre présence. »

Il partit, le misérable; et de retour à Zante, il appelait la vengeance de la Grande Bretagne sur la tête des Grecs. Ils lui avaient enlevé, disait-il, jusqu'à ses vêtements; mais comme on découvrit que ces prétendus spoliateurs avaient respecté une somme de trente mille piastres qu'il portait avec lui, ce fut un trait de lumière qui dessilla les yeux de l'amiral anglais, Graham, indigné d'avoir été trop long-temps la dupe de l'intrigue et de l'avidité.

Cependant il n'était question, à Zante, que du supplice d'Omer Aga. On racontait qu'enduit de goudron, il avait été brûlé vif par la populace de Missolonghi; et les détails de sa mort étaient si bien circonstanciés, qu'ils paraissaient véritables. On criait anathème contre la barbarie des Grecs; la relation du trépas

!

d'Omer aga allait retentir en Europe, quand le consul du roi de France à Patras fit savoir à l'autorité supérieure de Zante : qu'Omer vivait, que ses jours seraient respectés, et qu'il pourrait même être rendu à la liberté! Il avait employé un moyen plus puissant que l'or pour le sauver c'était de demander sa grace au nom du Roi très-chrétien; et une lettre de son agent consulaire, Antoine Maritza, lui annonçait qu'elle avait été accordée.

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Cette nouvelle confondait la calomnie; et les agents anglais, ravis de recouvrer Omer, qui était le favori de Jousouf pacha, n'eurent que le déplaisir de devoir un pareil service à un Français, aussi indifférent à leur estime, que supérieur à leurs lâches persécutions.... Elles venaient de lui ravir l'homme juste, le vénérable ecclésiastique Spiros Antipa, que les chagrins dont ils l'avaient abreuvé firent mourir de douleur. C'était lui qui avait recueilli le pavillon sans tache des lys, au moment de l'incendie du consulat de France à Patras. Vieillard infortuné! sa cendre ignorée repose au fond des lagunes de l'Achélous! Français qui combattez encore sur ces bords, élevez un cippe funéraire à la mémoire de Spiros Antipa, agent de France à Pyrgos; il a bien mérité de l'humanité..

Le consul de France aurait pu également délivrer le harem de Khourchid pacha, mais il abandonna ce coup de finance aux soins cupides des agents anglais, pour ne s'attacher qu'aux malheureux. Il dédaigna même de faire valoir la délivrance d'Omer aga, qui vint,

quelques jours après, le remercier, pour obtenir la liberté de la famille du major russe Sava.

Possesseur d'aumônes recueillies à Paris par les soins généreux de la comtesse Orloff, de l'ambassadeur Pozzo di Borgo, et de plusieurs seigneurs russes, M. Hugues Pouqueville brisa les fers de quatre jeunes enfants et de leur mère, qui gémissaient dans une horrible captivité à Lépante. Les Turcs avaient décapité son époux, et il serait impossible de retracer la scène qui se passa quand la veuve Sava, restée fidèle à son Dieu, tomba prosternée, le visage collé contre terre, aux pieds de son vénérable père, resté muet de douleur entre sa bru et ses petits-enfants qu'il n'avait pas la force d'embrasser. La mère du major, âgée de cent dix ans, qui avait quitté pour la première fois son grabat depuis la perte de ses enfants, reconnut à la voix ceux qu'elle n'avait cessé d'appeler dans ses lamentables myrologies. Ses yeux fermés à la lumière, retrouvèrent des larmes pour pleurer, mais ce que le ciel seul put lui accorder, ce furent les expressions brûlantes qu'elle improvisa pour invoquer les bénédictions de l'Éternel sur la tête de la comtesse Orloff et des bienfaiteurs de sa pauvre famille.

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Tandis que ces scènes épisodiques du tableau des évènements de la Grèce se passaient, l'escadre d'Hydra, commandée par Miaoulis, qui se composait de trentè bricks ou brigantins armés de huit cent quarante pièces de canon, la division de Spetzias, aux ordres de Vasili Ghinis, forte de vingt bâtiments de différents échantillons, portant environ quatre cents bouches

à feu, et celle de Psara, guidée par Anagnostis Apostolopoulos, dans laquelle on comptait quatre navires à trois mâts, une goëlette, deux brigantins et dix chaloupes canonnières, se préparaient à prendre diverses stations afin de surveiller et d'inquiéter l'ennemi sur tous les points où l'on avait intérêt à connaître, à déjouer, à prévenir, ou à combattre ses mouvements. La guerre était flagrante au nord, au midi, à l'orient, à l'occident, du côté de Constantinople, de la Romélie, de l'Épire, de l'Égypte et des régences barbaresques. L'ennemi s'apprétait à surgir de tous les points de l'horizon contre la Grèce, et ses enfants devaient lui présenter de toutes parts un front menaçant. Ce n'était rien d'avoir dispersé une escadre, d'en avoir vaincu dix; il fallait combattre parce qu'on avait obtenu des succès, et vaincre de nouveau pour triompher jusqu'à ce qu'on eût anéanti des maîtres irrités, desquels il n'y avait ni paix ni trève à espérer que quand il ne leur resterait plus aucun moyen de guerroyer. On ne se dissimulait ni les difficultés ni la longueur de la lutte dans laquelle on s'était engagé. La palme était réservée à celui qui aurait la dernière planche de bois pour radouber un vaisseau, et le dernier baril de poudre pour faire sauter les bastions occupés par son antagoniste.

Le problème politique devait être résolu par une longue persévérance. Il fut en conséquence décidé que les Psariens cingleraient vers les côtes de l'Asie-Mineure, et qu'ils observeraient constamment les armements qui se

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