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aux Bédouins de l'Arabie. Le commerce sacrilége des hommes brisait ainsi tous les liens de l'ordre social; et malheur aux êtres souffrants! car ils étaient abandonnés sur les chemins, et souvent mis à mort, quand les marchands perdaient l'espérance d'en retirer un prix égal aux dépenses qu'ils leur occasionaient. On calculait sur la place de Smyrne, au 15 mai, que les Grecs vendus ou à vendre, qui se montaient à plus de quarante mille, évalués au prix moyen de trois cents piastres par tête, formaient un capital éventuel de douze millions, dont le tiers revenait au Grand Seigneur, qui comptait ainsi sur une rentrée de quatre pour cent, provenant de la vente de ses sujets de l'île de Chios. Jusque-là le débit des esclaves avait été assez rapide; mais comme le nombre s'en accroissait journellement (1), le fisc impérial crut nécessaire au maintien du prix d'interdire les arrivages; et il fut même question d'abolir la traite. Mais cette mesure, à laquelle les Turcophiles voulurent donner une couleur philanthropique, s'expliqua bientôt d'elle-même.

Le firman qui défendait la vente des Grecs ne concernait que les francs et les chrétiens, auxquels il était interdit d'acheter des Chiotes, à quelque titre et condition que ce fût, parce qu'on s'était aperçu que, dégagés de la sujétion à l'égard de leur souverain par le contrat de vente, on les faisait passer hors des domaines de Sa Hautesse, but con

(1) Spectateur Oriental, no 54.

traire à ses vues politiques. En vendant les Grecs, on avait d'une part en vue d'en déterminer le plus grand nombre à l'apostasie, et de l'autre, de ne pas perdre de vue ceux qui persisteraient dans le christianisme. Ainsi l'acquisition d'un esclave n'était en principe qu'une acquisition à réméré, avec risques de la perte du capital, s'il plaisait non-seulement à l'autorité, mais au premier fanatique coiffé d'un turban, d'assassiner les malheureux qu'on avait payés à bons deniers comptants. Ce défaut de garantie dans les achats fit baisser le cours des esclaves, qui faiblit et tomba si bas que les dévastateurs de Chios commencèrent à égorger les captifs qu'ils s'ennuyaient de nourrir. On craignait même qu'ils ne se révoltassent; et le capitan pacha, dans l'intérêt du fisc, eut recours aux régences barbaresques. Il les invita, par un reïs bouïourdi, à s'approvisionner à bon compte de chrétiens et de femmes, qu'il proposait au rabais, en promettant de les faire rendre à destination sous le pavillon des francs, trop honorés sans doute de lui rendre, comme on dira ci-après, un service qu'un Turc aurait rougi d'avouer, s'il se fût agi de trafiquer sur le sang de ses coreligionnaires.

Quoique ces dispositions parussent annonçer une pleine sécurité, les Turcs, agités par des inquiétudes dont ils ne pouvaient trop se rendre compte, puisqu'ils étaient vainqueurs, vivaient dans des alarmes continuelles. Quoique les bâtiments insurgés ne se montrassent que de loin en loin sur les rivages de Chios, dès qu'on entendait quelques coups

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de canon, on était consterné, parce que chacun s'étant enrichi, ne songeait plus qu'à jouir du fruit de ses brigandages. Mais il n'en était pas ainsi du capitan pacha, qui se complaisait sur le théâtre de sa coupable gloire, où il savourait les compliments de certains capitaines indignes de ce nom qui commandaient les stations navales des puissances chrétiennes dans le Levant.

Ces fractions de pouvoir s'étonnaient de voir l'hémovore inactif après un coup de main qui n'était regardé que comme le prélude de l'extermination entière des peuplades grecques de l'Archipel. On aurait voulu le voir le fer et la flamme à la main parcourir l'Archipel, dévaster ses îles et terminer une lutte qui occupait depuis trop long-temps l'attention publique. Mais leurs vœux ne furent pas

écoutés.

Cara Ali attendait la jonction de l'escadre égyptienne pour agir; et le rhamazan ou mois d'abstinence canonique, pendant lequel les armées turques sont inactives, commença sous ces auspices. Le 22 mai, l'apparition de la nouvelle lune, fut saluée par des décharges générales d'artillerie. On avait des esclaves, de l'argent, des provisions en abondance, et chacun oubliant bientôt le danger ne songea plus qu'à se divertir, sans s'inquiéter des armements grecs.

Cependant le temps du châtiment approchait; mais avant de parler du dénoûment du drame destiné à manifester la puissance redoutable d'un dieu vengeur de l'innocence, il est à propos de faire connaître ce qui se passait dans la mer Égée.

CHAPITRE VII.

Réflexions sur l'indifférence de la chrétienté relativement aux Grecs. Noms de plusieurs officiers étrangers accourus à leur secours. - Forban arrêté à Monembasie. Infortunes

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de l'épouse de Glaracès de Chios. Haine impie des habitants de Syros contre les insurgés. Affaires de l'île de Crète. Intrépidité des insulaires de Kasos. - Duplicité de Comnène Aphendoulieff.

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Sa lâcheté.

Bravoure

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de Baleste et du capitaine Justin de Rouen. Avantages remportés sur les Turcs. — Réunion de la flotte des Hellènes à Psara. Extrait du rapport du capitaine de frégate Paul Jourdain à l'amirauté d'Hydra. Suites des détails sur les désastres de Chios. Tableau des massacres et de la dévastation des villages situés dans la partie méridionale de cette île. Femme égorgée sur le berceau de son enfant. - Dévouement de deux prêtres grecs.- Combat naval du 30 mai. Suite des affaires de l'île de Crète. Arrivée <de l'escadre égyptienne. → Débarquement des Tures à Rhétymos. Combat. Baleste trahi, est tué par les mahométans. Envoi de sa tête et de ses mains au capitan pacha. Lycurgue Logothète interrogé et transféré à Hydra.- Les Samiens rejettent l'amnistie qu'on leur propose. - Résolution de détruire la flotte turque. Anthème, patriarche d'Alexandrie, bénit les brûlots de Constantin Canaris et de Georges Pépinis - Incendie du vaisseau amiral ottoman.

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Funérailles dignes de Baleste.-Mort du capitan pacha. - Triomphe et modestie de Constantin Canaris.-Il reçoit la communion des mains de l'évêque de Myrine. Rage et fureur des Turcs. Extermination totale des chrétiens de Chios.

FA

ALLAIT-IL abandonner les chrétiens à la rage de leurs bourreaux? Ne restait-il plus de pages dans

l'histoire à occuper par les descendants de ces nobles familles dont les ancêtres cueillirent tant de lauriers sous les murs d'Antioche et de Jérusalem ? Pourquoi, réunissant en leur nom privé des hommes avides de combats, ne venaient-ils pas venger l'humiliation antique de la croix sous les murs d'Athènes et dans la plaine du Stenyclaros, où tant d'illustres chevaliers français signalèrent leur courage contre les infidèles? N'existait-il plus de descendants de ces braves qui soutinrent les siéges mémorables de Candie et de la Sude? Où étaient les débris de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem? et comment ne vit-on pas, à cette époque mémorable de gloire et de dangers, aucuns profès de Malte faire étinceler au milieu des phalanges grecques le fer des batailles si long-temps funeste aux infidèles? En vain une fausse philosophie répondra qu'il eût été ridicule, au dix-neuvième siècle, de renouveler les croisades; à moins qu'on ne convienne qu'une nation entière devait périr, parce que réduite au désespoir et n'ayant plus que le choix de vaincre ou de mourir, elle s'était insurgée sous l'étendard de la croix.

Cependant, si on ne vit pas alors mêlés à la plus noble des causes, ni illustrations historiques, ni chevaliers de Malte, il se détachait encore quelques hommes généreux des plages de l'Occident, pour accourir au secours des Grecs. Nous en avons nommé quelquesuns; et le 16 avril, plusieurs autres, parmi lesquels on citait MM. Jourdain, ancien capitaine de frégate, Pourpaker, Suisse, Dejourdy, de Bade, Han, Danois

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