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factice que la lettre aux ambassadeurs et la réponse du roi à la députation avaient d'abord excité (1).

Malgré toutes ces marques de condescendance de Louis XVI aux volontés souveraines de l'assemblée, les orateurs des rues ne continuaient pas moins leurs vociférations, et les attroupements étaient tout aussi menaçants que dans les jours qui précédèrent l'envoi de la circulaire aux ministres résidant près les différentes cours de l'Europe, que nous venons de mentionner. Un garde national, qui avait, par les propos les plus grossiers, insulté le roi dans la journée du 18 avril, fut chassé; mais les Cordeliers le prirent sous leur protection. L'assemblée, informée tous les jours de ces désordres, témoignait tantôt son affliction (2), tantôt son indignation, et ne prenait réellement pas de mesures pour refréner cette licence, ou, selon toute probabilité, elle se sentait impuissante pour arrêter le mal qui rongeait déjà la société : on languissait, on se mou

(1) Bertrand de Molleville, t. IV, p. 317.

Elle sera plus tard le principal chef d'accusation de cet infortuné monarque; rien n'est plus logique souvent que la tactique des factieux.

La tâche de l'historien est bien dure lorsque la vérité, qui doit sans cesse guider sa plume, lui commande de rapporter de tels incidents. Ne devons-nous pas être peinés de voir Louis XVI, dont la loyauté était devenue proverbiale, amené à jouer un rôle à tel point double, à descendre à une telle dissimulation; et d'une autre part, jamais machiavélisme révolutionnaire s'est-il servi de moyens si insidieux, si lâches, pour mettre en défaut le monarque réellement dépossédé ? Nous nous abstenons, comme Ferrières, de toute remarque sur ce triste incident*; nous nous contentons de rapporter seulement ce que nous avons déjà dit à l'égard de Louis XVI (à la p. 432 du tome Ier), que lorsqu'un monarque s'est placé dans une fausse position, celle-ci en amène d'autres, encore plus ardues, qu'il ne lui est presque plus possible d'éviter.

(2) Thiers.

* T. III, p. 217.

rait de faiblesse avec toute l'apparence d'un pouvoir illimité.

Tant que les représentants ne faisaient que ruiner pièce à pièce l'édifice monarchique, le roi semblait considérer cette œuvre de destruction avec une impassible résignation; mais du moment que l'assemblée eut violenté sa conscience par l'acceptation forcée qu'elle lui fit faire des décrets touchant la religion et ses ministres, du moment surtout qu'on lui eut arraché la circulaire aux ambassadeurs, lorsqu'enfin il se vit réellement captif dans son palais, le jour où la populace s'opposa à son départ pour Saint-Cloud, et que l'assemblée parut ne pas s'apercevoir de cet outrage commis envers le chef de l'État, sa position ne lui parut plus tenable; il n'était plus roi; il pouvait se regarder comme un simple particulier qui devait songer au salut de ce qu'il avait de plus cher au monde, et il résolut de tout tenter pour recouvrer du moins sa liberté et celle de sa famille, qu'il voyait à la merci des factieux. Dans cette intention, Louis XVI expédia Alphonse de Durfort au comte d'Artois, en le chargeant de lui annoncer qu'il était réellement sous la férule de la Fayette, et qu'il avait la ferme intention de se retirer furtivement du côté de Valenciennes ou de Metz avec sa famille. Durfort était chargé, en outre, de prier le comte d'Artois de sonder les intentions de l'empereur à l'égard de la situation où le roi se voyait présentement, ainsi que sa famille. Léopold voyageait alors dans le nord de l'italie; informé du désir que le prince avait d'une entrevue avec lui, il la fixa au 20 mai, à Mantoue. — A son arrivée dans cette ville, le comte d'Artois apprit de

l'empereur lui-même que, d'accord avec le roi de Prusse, il songeait à venir au secours du roi et de la reine de France, et qu'il s'était assuré du concours des cercles de l'Empire, de l'Espagne, de la Sardaigne, même de la Suisse. Néanmoins, de l'avis de Léopold, tout mouvement de la force armée, toute opération hostile, de vaient être préalablement réglés par un congrès des puissances. A la fin de la note dont Durfort était chargé, l'empereur demandait à Louis XVI de ne point songer à recouvrer sa liberté par lui-même, de s'appliquer à se rendre populaire autant que faire se pouvait, au point que la nation, à l'approche des armées coalisées, ne vît de salut que dans sa médiation royale, plan qui, tout illusoire qu'il était, n’entrait pas moins dans les vues du roi. Ainsi, de la part du chef de l'Empire, il ne s'agissait point d'une invasion immédiate sans négociations préalables (1).

Tandis que ces négociations secrètes se poursuivaient avec le chef de l'Empire, les résolutions du saint-siége, touchant la constitution civile du clergé décrétée par l'assemblée, arrivaient à Paris. — Pie VI déclarait, comme on devait s'y attendre, cette constitution hérétique sur la plupart des points, et contraire au dogme catholique. Il qualifiait de schismatiques les auteurs de cette œuvre, tout en menaçant de la réprobation de l'Église ceux qui auraient prêté le serment civique. Il mettait en même temps en interdit les nouveaux pasteurs et tous ceux qui les auraient consacrés. Les fervents défenseurs de la nouvelle loi, concernant la soi-disant Église de France, soutinrent,

(1) Mémoires d'un homme d'État, t. I, p. 115-119.

par contre, que les décisions de la cour de Rome étaient nulles, parce que, disaient-ils, la discipline particulière de cette Église interdisait au pape toute faculté de prononcer un arrêt quelconque à l'égard des évêques et des prêtres français. Ces argumentations, toutes captieuses qu'elles étaient, ne pouvaient contenter les jacobins. Ils sentirent toutefois que le moment n'était point encore arrivé où ils pourraient exercer les plus durs traitements à l'égard du clergé fidèle à la religion catholique; ils décidèrent qu'il fallait avilir d'abord tout ce qui tient au culte. Dès lors la licence de la presse et celle des théâtres ne connut plus de bornes; elle choisit pour victimes de ses sarcasmes les prêtres non assermentés. Les passions les plus basses se soulevèrent contre eux; les vertus de l'ordre le plus élevé, ainsi que les plus hauts enseignements du christianisme, furent chaque jour livrés à la risée du peuple, tant aux théâtres que dans des feuilles imprimées, dont un grand nombre tapissait les rues (1).

Cependant l'assemblée nationale, fatiguée de sa longue session, en désirait le terme. Ce grand corps pliait sous le fardeau de sa dictature, et l'excès même de l'autorité qu'il s'était arrogée semblait le frapper d'une décrépitude prématurée. Tous les bons citoyens aspiraient au moment où une constitution serait promulguée, où une loi fondamentale de l'État garantirait à chacun son existence respective. Les orateurs des clubs, les journalistes aux opinions extrêmes hâtaient aussi de tous leurs vœux les élections nouvelles, espérant qu'elles allaient ouvrir la

(1) Labaume, t. V.

tribune à leurs amis. Enfin, la France est un pays où l'on se lasse promptement du même spectacle et des mêmes acteurs. Il est temps, disait-on dans toutes les classes de la société, même sur les bancs des représentants, que l'assemblée termine ses travaux (1).

Une question des plus graves était alors à l'ordre du jour Les membres de la présente assemblée seraient-ils élus ou non à la législature suivante? Robespierre, toujours à l'affût de la popularité, déclara que les membres de l'assemblée actuelle étaient inéligibles au futur corps législatif (2). Aux applaudissements quasi-unanimes qui éclatèrent, on dut s'apercevoir que la question était décidée d'avance. Quelques bons esprits n'en étaient nullement satisfaits; toutefois ces représentants n'hésitèrent point à donner leur assentiment en faveur de l'inégibilité. Quant aux royalistes, ils ne pouvaient supposer une assemblée plus turbulente que celle où ils avaient été tant de fois vaincus, et ils votèrent dans le même sens. Ils semblaient défier la future assemblée de passer la mesure des actes arbitraires dont l'assemblée actuelle s'était souvent rendue coupable, dangereux défi qu'il ne faut jamais adresser aux révolutions. Dans aucune séance le nombre de déceptions ne fut si considérable que dans celle-ci. Le décret qui excluait de la prochaine législature les membres

(1) Droz, t. III, p. 381. Lacretelle, Constituante, t. II, p. 245. (2) Ce n'était point, au reste, pour ne plus prendre part aux affaires publiques, pour rester en dehors du mouvement, que les chauds partisans de l'inéligibilité, Robespierre en particulier, appuyèrent cette motion. Mais l'instinct naturel aux hommes de cette espèce leur fit pressentir d'avance que le centre de l'autorité allait être déplacé et fixé désormais aux Jacobins, où déjà ils trônaient.

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