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« fait la proclamation qu'exige l'article IV. La constitu« tion n'a pas prévu sans doute tous les cas de déchéance, • mais vous ne pouvez établir votre jugement que sur les lois existantes. Le roi ne devait pas se séparer de vous. «Mais a-t-il faussé la constitution? A-t-il commis un dé« lit?... Au 18 avril, n'avez-vous pas vous-mêmes repoussé l'inculpation que le roi n'était pas libre..... Je « n'examinerai pas si la déclaration qu'il a laissée en << partant vous était légalement adressée, si, n'étant pas « une pièce officielle, elle peut devenir l'objet de votre dé« libération. D'ailleurs, la constitution n'était ni achevée « ni acceptée. C'est lorsqu'elle sera présentée au roi que, « libre de la refuser, s'il l'accepte, elle le liera d'une ma«nière inviolable aux lois constitutionnelles de l'État. « Ainsi, il n'existe pas de délit, et quand même il y en « aurait un, l'inviolabilité ne permettrait pas que le roi « fût mis en cause (1). »

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Muguet Nantoue fit observer en même temps que l'assemblée avait adopté le gouvernement monarchique parce qu'il présentait plus de moyens d'assurer la tranquillité de l'État; qu'il conservait mieux cette unité politique et de toute nécessité dans un vaste empire, dont toutes les parties tendent naturellement à se diviser; qu'il donnait seul, à une administration qui doit être une, cette activité sans laquelle cette administration languit et dépérit ; qu'en détruisant l'esprit de parti, en anéantissant les espérances des factieux, cette forme de gouvernement détruit à jamais les ambitions particulières, et qu'en élevant un seul

(1) Moniteur, t. IX, p. 113-115.

homme, elle conserve pour tous les autres cette égalité précieuse devant la loi, base immuable de toute association politique (1).

Le rapporteur établit ensuite la culpabilité de Bouillé et de ses complices, et présenta un projet de décret qui les renvoyait devant la haute-cour nationale. - Il crut que par là il attirerait sur ces hommes seuls la colère des Jacobins, car, pour ceux-ci, il fallait de toute façon trouver un coupable. L'extrême gauche de l'assemblée demanda avec chaleur l'ajournement de la discussion sur cette affaire. Les agitateurs voulaient absolument gagner du temps, temps, certains que chaque jour de retard accroîtrait l'effervescence et multiplierait leurs moyens de succès.-Quelques constitutionnels s'expliquèrent avec franchise et fermeté sur les motifs qui faisaient réclamer, par le côté gauche, l'ajournement, de plus longs délais ne pouvant apporter aucune lumière nouvelle; en conséquence, ils demandèrent que la discussion s'ouvrît séance tenante, et comme cette motion obtint la majorité, la discussion sur cette affaire continua.

Les discours opposés au rapport n'étaient, pour le fond, que des redites, des argumentations déjà présentées à la tribune des Jacobins. Pétion demanda, sans le moindre détour, que le roi fût jugé, soit par l'assemblée nationale, soit par une convention nommée ad hoc. Un député jusqu'alors inconnu, Vadier, s'exprima avec une telle virulence, que plusieurs voix s'écrièrent: C'est Marut! Ilopinait à toute force qu'une convention fût nommée pour

(1) Moniteur, Ferrières, t. IV, p. 107.

prononcer d'abord la déchéance de Louis XVI, puis pour L'abbé Grégoire surpassa tous ses

juger le roi parjure.

collègues en trivialités horribles. Robespierre ne manqua pas d'avoir recours à ses sophismes habituels pour établir la culpabilité du roi. Les tribunes, ce jour-là, étaient remplies de gens qui applaudissaient aux opinions les plus extrêmes, aux expressions les plus virulentes.

Les discours de Duport, de Salles et de Barnave, en fa veur du projet des comités se firent remarquer. Salles excita l'intérêt par un caractère tout particulier de franchise et d'indépendance; il ne ménagea personne, et se montra toujours conciliant; il parla des fautes de Louis XVI et les rejeta en majeure partie sur les fautes de l'assemblée même et du peuple; il signala l'influence qu'avaient dû exercer sur le roi les opinions de quelques royalistes regrettant l'ancien régime, lorsque, en retour des immenses sacrifices de leur ordre à la chose publique, ils se voyaient en butte aux outrages de la populace; mais il ajouta que tout cela se dissiperait sous un gouvernement régulier qui allait rendre le calme au pays.

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Le discours qui produisit la sensation la plus profonde fut celui de Barnave. Après avoir présenté sous une face toute nouvelle des questions déjà agitées à l'assemblée, il dit : «< Toute constitution, pour être bonne, doit contenir « tous les éléments de liberté, de stabilité... Pour être « bon, un gouvernement doit être stable, sinon, au lieu « de présenter la perspective du bonheur, il n'annonce « que des troubles sans cesse renaissants et des agitations politiques interminables. S'il est vrai que le gouverne «ment monarchique offre ces avantages, s'il est vrai que

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<< la maxime de l'inviolabilité soit essentielle au gouverne<< ment monarchique, il est donc certain qu'elle est essen« tielle au bonheur et à la liberté du peuple... S'il est « encore vrai que des passions ambitieuses et factieuses << nous agitent, il n'est pas douteux que le gouvernement « monarchique est le seul qui nous convienne. Il n'est que <«< deux moyens pour assurer notre existence politique :

séparer les pouvoirs, garantir l'unité nationale... Vous << avez voulu un conseil exécutif, faible dans son essence, <«< contre l'amour de l'égalité, devenu la passion des Frauçais. Affaibli par la division de ses membres, l'État ré« sisterait-il longtemps au grand général qui aurait obtenu « l'amour et le respect du peuple, qui serait devenu l'ob

<< jet de son enthousiasme? Vous n'avez pas senti que si,

« par l'effet d'une passion, la nation pouvait détruire la « royauté, elle pourrait, par une autre passion, détruire la « liberté pour établir la tyrannie. » (Il s'éleva ici des applaudissements réitérés ; il y avait réellement quelque chose de prophétique dans ces paroles). «Enfin, » dit-il, «< allons<< nous terminer la révolution? Allons-nous la recommen« cer? » A cette interpellation, une vive agitation se communiqua dans toute l'assemblée, et de nombreuses acclamations manifestèrent la sympathie d'une bonne partie du public pour l'orateur, une conformité totale d'idées de la majorité de l'assemblée avec celles de Barnave. « Je ne <<< crains pas les étrangers,» poursuivit-il; « on ne peut nous faire aucun mal au dehors, mais on peut nous faire «< un grand mal au dedans, en perpétuant le mouvement « révolutionnaire qui a détruit tout ce qui était à dé<< truire... Vous avez rendu tous les hommes égaux devant

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<< la loi, vous avez consacré l'égalité civile et politique... <«< Un pas de plus dans la ligne de la liberté serait la des« truction de la royauté; dans la ligne de l'égalité, la des«<truction de la propriété. Si l'on voulait encore détruire <«< quand tout ce qui devait être détruit n'existe plus, si « l'on croyait n'avoir pas tout fait pour l'égalité quand « l'égalité de tous les hommes est assurée, trouverait-on « encore une aristocratie à anéantir si ce n'est celle des propriétés (1)? La nuit du 4 août a donné plus de bras « à la révolution que les plus sublimes maximes de la phi«<losophie. Or, quelle nuit du 4 août vous reste-t-il à «< faire? Il est donc vrai qu'il est temps de terminer la ré« volution; que si elle a dû être commencée et soutenue « pour la gloire et le bonheur de la nation, elle doit s'ar« rêter quand elle est faite; et qu'au moment où la nation « est libre, où tous les Français sont égaux, vouloir da<< vantage c'est vouloir commencer à cesser d'être libres << et devenir coupables. » (Ici la salle retentit d'applaudissements réitérés, et qui se prolongèrent durant quelques minutes.)« Aujourd'hui tout le monde sent que l'intérêt « de tous est de terminer la révolution. Ceux qui ont perdu << savent qu'il est impossible de la faire rétrograder; ceux qui l'ont faite savent qu'elle est achevée et que, pour <«< leur gloire, il faut la fixer... Régénérateurs de la nation « française! terminez la carrière que vous avez parcourue « avec courage. Vous avez montré que vous avez la force « pour détruire, la sagesse pour remplacer; apprenez au << monde que vous avez conservé votre force et votre sa

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(1) Admirables paroles de Barnave, qu'on serait fondé à adresser aux hommes qui, encore dans l'ombre, ruminent des révolutions.

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