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en accusaient les jacobins, qui voulaient, disaient-ils, se débarrasser par le poison d'un potentat qui avait mis sur pied de nombreuses armées, tandis que ceux-ci en rendaient responsables les émigrés, en haine des lenteurs de Léopold à marcher contre la France révolutionnée : lenteurs qui lui avaient attiré, de la part des royalistes émigrés, l'épithète d'Agamemnon cunctator.

A peine l'Empereur venait-il de rendre le dernier soupir, qu'un courrier extraordinaire fut expédié à Berlin : il était porteur d'une lettre du jeune successeur de Léopold, François II, à Frédéric-Guillaume, dépêche dont le contenu témoignait le désir de la continuation du système politique arrêté et suivi entre les deux cours, du vivant de l'empereur défunt. Cependant l'envoyé de Prusse, dès sa première conférence avec le prince de Kaunitz, put se convaincre que le cabinet de Vienne venait d'adopter un plan purement défensif. Ses instances furent inutiles pour en faire adopter un plus conforme à celui qui avait été arrêté du vivant de Léopold.

François II avait à peine vingt-quatre ans. Son alliance avec la Prusse, l'étendue de ses États héréditaires, vu surtout la situation où se trouvait l'Empire en face d'une révolution qui menaçait tous les trônes, ne laissaient aucun doute sur son élection de chef de l'Empire. Le nouveau souverain ne fit aucun changement essentiel dans son conseil quant à la manière dont au fond il considérait les affaires de France, on n'avait encore à cet égard que peu d'indices certains. Il fit seulement donner l'assurance aux princes français, « qu'il resterait fidèle au système de son « père; » assurance susceptible d'interprétations très-va

riables. L'ambassadeur constitutionnel, de Noailles, n'avait plus à la cour le même crédit que du vivant de l'em pereur défunt, et il était, en quelque sorte, gardé à vue.

A un intervalle d'environ quinze jours, le roi de Suède fut frappé à mort dans un bal masqué. Il ne survécut que douze jours à sa blessure, et dans ses derniers moments il dit: Je voudrais bien savoir « ce que Brissot dira de ma «< mort; » paroles qui, dans le monde politique, et surtout à Paris, firent une profonde sensation, notamment par la singulière coïncidence de cette mort avec celle tout aussi subite de l'empereur Léopold en face de la propagande révolutionnaire (1).

Louis XVI présidait son conseil, quand la foudroyante nouvelle du décès de son beau-frère lui parvint. Tous les assistants virent la consternation et l'abattement se répandre sur sa figure. - Le parti dominant dans l'assemblée, voyait dans cet événement de nouvelles chances de succès pour la Révolution. La première note officielle que le prince de Kaunitz fut chargé, le 18 mars, de remettre à l'ambassadeur de France depuis la mort de Léopold, était la réponse aux demandes d'éclaircissements de la part du ministère français, sur les intentions de l'Empereur à l'égard de la nation française; et le prince annonçait dans cette note que le roi de Bohême et de Hongrie adoptait envers l'ancien allié de l'Autriche le même système politique qu'avait suivi l'empereur défunt; que les mesures purement défensives ordonnées par le gouvernement impérial ne pouvaient être mises en parallèle avec

(1) Mémoires d'un homme d'État, t. I, p. 242-264.

que

les armements énormes de la France. Au reste, cette pièce diplomatique ne contenait qu'une répétition de ce le cabinet de Vienne avait précédemment représenté au gouvernement français, sur la nécessité où il se voyait d'étouffer dans sa source les coupables menées des jacobins par tous les moyens dont il pourrait disposer, afin de garantir les États de l'Allemagne de l'invasion de la propagande révolutionnaire. Une telle note, communiquée à l'assemblée par le nouveau ministre des affaires étrangères Dumouriez, dut soulever les esprits; quant à l'extrême gauche, elle l'accueillit par les plus bruyantes risées : elle ne se possédait pas de joie de voir cet incident précipiter le moment de la déclaration de la guerre. Dans cet intervalle, il y eut encore quelques notes diplomatiques échangées entre les deux cabinets, et qui n'étaient pas nature à rapprocher les esprits (1).

de

Enfin, l'ambassadeur de France crut devoir s'adresser au comte de Cobentzel, vice-chancelier, plus abordable que ne l'était le prince de Kaunitz; il lui fit part de ses dernières instructions, et le pria de lui faire connaître, dans le plus court délai possible, ce qui serait décidé dans les conseils du jeune monarque. Cobentzel ayant rendu compte de cette entrevue à François II, fut chargé de faire part au ministre de France : « Que la réponse à ces de« mandes d'éclaircissement avait déjà été faite dans la note << du 18 mars; qu'on pouvait d'autant moins en changer << les dispositions qu'elles coïncidaient entièrement avec le « sentiment du roi de Prusse sur les affaires de France. »

(1) Mémoires d'un homme d'État, t. I, p. 262 et suiv.

Cette réponse, communiquée à l'assemblée, satisfit en tous points les vues des ardents partisans de la guerre. Le roi ayant eu connaissance de l'impression que cet incident avait produite à l'assemblée, en fut alarmé; il prévoyait les calamités de toute espèce que la guerre allait attirer à la France; il la voyait inévitable. Ses ministres girondins, dominés sans cesse par la crainte de compromettre leur popularité, ne cessaient de presser la déclaration de guerre; mais ce ne fut qu'après les avoir obligés à lui donner séparément et par écrit leurs avis motivés, que Louis XVI résolut de faire à l'assemblée la proposition de la déclaration de la guerre à l'Autriche (1). A cet effet, et selon les formes prescrites par la constitution, le roi se rendit à l'assemblée le 20 avril, accompagné de tous ses ministres. Une foule pressée encombrait les couloirs et les tribunes publiques. Après un moment de silence et de calme, qui laissait apercevoir sur les physionomies les divers sentiments dont ils étaient affectés, Louis XVI, résigné à cette démarche, dit d'une voix altérée ces seules paroles : « Je viens << au milieu de l'assemblée nationale pour lui communiquer

« un des objets les plus importants dont elle puisse s'occu« per. Mon ministre des affaires étrangères va vous lire le <«< rapport qu'il a fait, dans mon conseil, sur notre situation

"

politique (2). » Cette lecture terminée, le roi, profondément ému, parla en ces termes : « Vous venez d'entendre « le rapport qui a été fait en mon conseil. Les conclusions

(1) Bertrand de Moleville, t. I, p. 294-297.

(2) Voir ce rapport dans le Moniteur, t. XII, p. 174. Il contient le résumé de tous les griefs ou prétendus griefs de la France à l'égard de l'Autriche.

« y ont été adoptées unanimement. J'en ai moi-même adopté la détermination. Elle est conforme au vou plu«<sieurs fois exprimé de l'assemblée nationale et à celui qui m'a été adressé par plusieurs citoyens de divers départements. J'ai dû épuiser tous les moyens de maintenir << la paix. Maintenant je viens, aux termes de la constitu« tion » (ici la voix de Louis XVI s'altéra), « vous propo<< ser formellement la guerre contre le roi de Hongrie et « de Bohême. » Lorsqu'il prononça cette dernière phrase, on vit quelques larmes s'échapper de ses yeux. De froids et rares applaudissements accueillirent cette proposition royale, qui pourtant remplissait le vœu le plus ardent de la majorité de l'assemblée; on n'y vit que l'effet de la contrainte que le prince subissait dans cette démarche. La réponse du président portait le caractère de ce laconisme arrogant que l'assemblée affectait souvent envers la personne de Louis XVI; il se contenta de dire au monarque qu'on l'instruirait par un message de la délibération de l'assemblée sur la proposition qu'il venait de faire aux représentants (1).

Le roi se retira, le président leva la séance; elle fut reprise le même jour à cinq heures : l'affluence était la même aux tribunes publiques que dans la matinée. Les girondins firent d'abord proposer, par l'un d'entre eux, le renvoi au comité diplomatique de la proposition du roi ; les constitutionnels appuyèrent fortement cette motion, qui leur aurait donné le temps de discuter dûment au sein de l'assemblée les motifs exposés par Dumouriez pour la

(1) Moniteur, t. XII, p. 176.

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