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<< personnes de votre trempe ne me condamniez pas. In« dépendamment même de l'état de ma santé, il a été << au-dessus de mes forces de supporter plus longtemps << l'horreur que me causaient ce sang, cette reine presque

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égorgée, ce roi amené esclave, entrant à Paris précédé << des têtes de ses malheureux gardes; ce cri de : Tous les évéques à la lanterne!... un coup de fusil, que j'ai vu << tirer dans le carrosse de la reine; M. Bailly, appelant <«< cela un beau jour; l'assemblée, ayant déclaré froide<< ment qu'il n'était pas de sa dignité d'aller tout entière << environner le roi; M. Mirabeau, disant impunément <<< dans cette assemblée que le vaisseau de l'État, bien loin « d'être arrêté dans sa course, s'élancerait avec plus de <«< rapidité que jamais vers sa régénération; M. Barnave, « << riant avec lui quand des flots de sang coulaient autour << de nous; le vertueux Mounier, échappant comme par << miracle à vingt assassins qui avaient voulu faire de sa «< tête un trophée de plus... C'est à l'indignation, c'est à « l'horreur que le seul aspect du sang me fait éprouver, « que j'ai cédé... Ils me proscriront, ils confisqueront <«<mes biens; je labourerai la terre et je ne les reverrai plus... Voilà ma justification, vous pouvez la montrer ; << tant pis pour ceux qui ne la comprendront pas; ce sera << alors moi qui aurai eu le tort de la leur donner (1). » Lally, comme on l'a vu, avait d'abord été enthousiaste de la révolution et des premiers actes de l'assemblée; bientôt désillusionné, effrayé de la marche des événements, les journées des 5 et 6 octobre mirent le comble à ses regrets,

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(1) Journées mémorables de la révolution.

à sa douleur d'avoir prêté lui-même la main à un mouvement que rien ne pouvait arrêter; et ce fut le dépit amer qu'il en ressentit, dépit si naturel à une âme impressionnable comme la sienne, qui le porta à mettre tant d'éclat à sa rétractation.

La disparition subite d'un si grand nombre de députés encourut toutefois le blâme des bons citoyens. Découragés, ils désespérèrent trop tôt de la chose publique; s'ils fussent restés à leur poste, ils auraient empêché une foule de motions qui surgirent depuis leur retraite, et qui amenèrent les conséquences les plus déplorables. Malouet, Clermont-Tonnerre, Cazalès, avec des principes tout aussi favorables à la royauté, restèrent jusqu'à la clôture de l'assemblée (septembre 1791), luttèrent contre les factieux avec courage et fermeté.

Ces retraites nombreuses et simultanées de députés ne tendaient à rien autre qu'à la dissolution de l'assemblée. Les réunions des états dans quelques provinces, malgré les ordres du roi qui les défendait, pouvaient devenir formidables. Pour prévenir de telles conséquences, l'assemblée résolut, de son chef, par des injonctions beaucoup plus sévères, d'interdire toutes ces assemblées dans les provinces. Elle décréta en même temps qu'il ne serait plus accordé de passe-ports aux députés que pour un temps bref, déterminé ; et quant aux passe-ports illimités, pour raison de santé, qu'ils ne seraient délivrés aux représentants qu'après que ceux-ci seraient remplacés par leurs suppléants (1). En dépit de tout l'arbitraire des actes de l'assemblée, et de la conduite qu'elle avait tenue à l'égard du

(1) Moniteur, t. II, p. 92.

monarque, nommement dans les journées des 5 et 6 octobre, ses injonctions suprêmes étaient d'un plus grand poids que alles de Louis XVI. D'ailleurs, on ignorait généralement, in de Paris, le caractère sinistre de ces événements, et les deux dispositions des representants que nous venons de signaler etalent de nature à arrêter, à paralyser toute reaction centre l'assemblee.

Cependant les campagnes ne cessaient d'être le theâtre des devastations les phas epouvantables sans que l'autorité intervint; d'ailleurs, où la chercher, où trouver cette autorite tutéaire; elle n'existait reellement plus. Tout, de la part des soldisent pouvoirs exauté dans les provinos, se rainset à de vaines proclamations, à des invitations à l'ordre, à la paix. Esbands par l'impunité, les agitateurs, pour stimuler encore les bordes mutinees, faisaient inscrire sur leurs bannières, en gros caractères, les mots : « Guerre aux châteaux! paix aux chaumières! Dans cette conflagration générale, dans ce silence des lois et des règlements repressifs, les gentilshommes aisés, les proprietaires des châteaux, victimes de toutes ces devastations, sentirent qu'ils n'avaient rien à attendre d'une assemblée dominée par les députés de l'extrême gauche, et d'un roi réellement captif; d'un prince qui, même s'il eût été libre, ne se serait pas déterminé à tirer l'épée pour réduire les agitateurs, pour défendre enfin le droit de tous contre un parti rebelle à son autorité, à l'instar de son aicul Henri IV:

Seul roi de qui le peuple ait gardé la mémoire (1).

41) Voltaire.

Dès lors le sentiment de leur propre sûreté prévalut dans ces cœurs ulcérés sur l'attachement qu'ils portaient à leur sol natal, et les décida à passer à l'étranger. Les sinistres journées de Versailles mirent le comble à l'exaspération des Français attachés inviolablement à leur roi, aux institutions monarchiques, et durent multiplier encore le nombre des émigrants. C'était, dans ces temps, une sorte de loi fondamentale de la monarchie, que tout noble se devait corps et biens au service de son roi, représentant des intérêts de tous les Français indistinctement (1).

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(1) Par le temps où nous vivons, nous ne saurions avoir une idée nette de cé dévouement de l'ancienne noblesse française à ses monarques; et, pour la rendre plus claire, pour la mettre plus à portée des idées de la génération 'présente, nous avons cru devoir rapporter ici un passage de l'ouvrage de Hallam, l'Europe au moyen âge, où cette question se trouve présentée sous le jour le plus vrai; et certes, ce n'est pas Hallam qu'on pourra jamais taxer d'un respect superstitieux pour la royauté de race. L'auteur fait remonter l'origine de ce sentiment jusqu'au temps de la féodalité, des devoirs réciproques du vassal envers soh seigneur suzerain, du seigneur envers son vassal, et il poursuit en ces termes : «< De « ces sentiments, engendrés par la relation féodale, naquit ce sentiment << particulier de respect et d'attachement personnel à l'égard du souverain, «< que nous nommons fidélité, aussi différent de la dévotion stupide des esclaves d'Orient, que du respect abstrait que les citoyens libres por<< tent à leur premier magistrat. Des hommes qui avaient été habitués à jurer fidélité, à faire profession d'obéissance, à suivre, en temps de « paix, comme en temps de guerre, un supérieur féodal et sa famille, transportèrent facilement la même soumission au monarque. C'était un «< sentiment si puissant, qu'il pouvait faire endurer aux hommes les plus << braves les mépris et les mauvais traitements de leur souverain, et leur « faire déployer tous leurs efforts et toute leur énergie pour un homme qu'ils n'avaient jamais vu, et qui n'avait peut-être pas des qualités es<< timables. Dans les âges où l'on ignorait les droits politiques de la com«<munauté, ce sentiment était le grand principe conservateur de la << société ; et de nos jours, quoiqu'il ne fasse plus que concourir avec d'au<< tres principes, il est encore indispensable à la tranquillité et à la stabi«lité de toute monarchie. Sous un point de vue moral, la fidélité n'a

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monarque, nommément dans les journées des 5 et 6 octobre, ses injonctions suprêmes étaient d'un plus grand poids que celles de Louis XVI. D'ailleurs, on ignorait généralement, loin de Paris, le caractère sinistre de ces événements, et les deux dispositions des représentants que nous venons de signaler étaient de nature à arrêter, à paralyser toute réaction contre l'assemblée.

Cependant les campagnes ne cessaient d'être le théâtre des dévastations les plus épouvantables sans que l'autorité y intervînt; d'ailleurs, où la chercher, où trouver cette autorité tutélaire; elle n'existait réellement plus. Tout, de la part des soi-disant pouvoirs exécutifs dans les provinces, se réduisait à de vaines proclamations, à des invitations à l'ordre, à la paix. Enhardis par l'impunité, les agitateurs, pour stimuler encore les hordes mutinées, faisaient inscrire sur leurs bannières, en gros caractères, les mots : «Guerre aux châteaux! paix aux chaumières! » Dans cette conflagration générale, dans ce silence des lois et des règlements répressifs, les gentilshommes aisés, les propriétaires des châteaux, victimes de toutes ces dévastations, sentirent qu'ils n'avaient rien à attendre d'une assemblée dominée par les députés de l'extrême gauche, et d'un roi réellement captif; d'un prince qui, même s'il eût été libre, ne se serait pas déterminé à tirer l'épée pour réduire les agitateurs, pour défendre enfin le droit de tous contre un parti rebelle à son autorité, à l'instar de son aïeul Henri IV:

Seul roi de qui le peuple ait gardé la mémoire (1).

(1) Voltaire.

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