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vinces de la France au profit de l'Autriche, notamment la Lorraine, ancienne propriété de la maison régnant présentement en Autriche (1).

Peudant que les armeés prussiennes étaient en pleine retraite, qu'elles abandonnaient le sol français, la fortune n'était pas moins favorable sur le Rhin aux armées de la nouvelle république. Custines, à la suite d'une manœuvre rapide et hardie, après s'être emparé de Worms et de Spire, se présenta devant Mayence. La ville se rendit par capitulation. Trois jours après, un détachement français entra à Francfort. Custines, maître de toute cette contrée, y leva de fortes contributions. Dès lors fut adopté le système dont on ne s'est jamais écarté durant les guerres de la révolu tion, de faire vivre les armées aux dépens du pays dont on envahissait le territoire, bien que l'assemblée constituante et la législative eussent solennellement déclaré, au nom de la nation française, que celle-ci renonçait à tout jamais à faire des conquêtes, et, dans aucun cas, ne serait à la charge des peuples dont elle allait briser les fers. Cette campagne de quelques jours fut brillante, et produisit le plus grand effet sur les esprits à Paris et dans toute la France. Du côté de l'Italie, même succès. Le général Montesquiou entra en Savoie; le 22 septembre il s'était emparé de Chambéry, et l'armée française occupait toute

(1) Sans oser pénétrer les desseins de la Providence dans le gouvernement de ce monde, ne serait-on pas enclin à croire que, quand Dieu veut châtier notre race, il lui suffit de troubler son intelligence naturelle et de jeter les hommes dans un monde d'illusions: tout cela peut se rapporter aux gouvernés comme aux gouvernants. La tour de Babel ne serait-elle pas la figure de cette punition de l'éternelle Justice touchant l'espèce humaine en général ?

cette province. La conquête de Nice et des Alpes maritimes ne fut pas plus difficile.

L'autorité suprême et éphémère à cette époque, en France, ne pouvait s'attribuer la gloire de ces brillantes conquêtes. La défense du territoire envahi un instant par l'étranger, le mot magique de liberté et l'honneur national, avaient excité un mouvement universel. Ce n'étaient point les opinions politiques de toutes couleurs qui enflammaient l'ardeur guerrière de la jeunesse française; c'était un véritable amour de la patrie, s'unissant à l'esprit militaire, sentiment héréditaire chez les Français. Totalement étrangère aux dissensions des partis à l'intérieur, l'armée était fidèle à ses drapeaux. Ce fut dans les armées que l'ordre et la hiérarchie des pouvoirs se conservèrent; ils étaient méconnus partout ailleurs.

Tandis que les armées françaises maintenaient ainsi l'antique honneur de leurs drapeaux, que se passait-il à l'intérieur? La terreur planait encore sur la grande cité, quand, le 16 septembre, une voix éloquente dans l'assemblée se risqua à peindre la situation du pays; cette voix était celle de Vergniaud : « D'où vient, » dit-il, «< cette espèce de torpeur dans laquelle paraissent ense« velis les citoyens de Paris? Ne le dissimulons plus : il est

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« temps de dire la vérité. Les proscriptions passées, les proscriptions futures, les troubles intérieurs, ont répandu la consternation et l'effroi. L'homme de bien se «< cache, quand on est parvenu à cet état de choses que « le crime se commet impunément. Il est des hommes qui ne se montrent que dans les calamités publiques, «< comme il est des insectes malfaisants que la terre ne produit que dans les orages. Ces hommes répandent << sans cesse les soupçons, les méfiances, les jalousies, les <«< haines, les vengeances; ils sont avides de sang: dans << leurs propos séditieux ils aristocratisent la vertu même, « pour acquérir les droits de la fouler aux pieds; ils dé« mocratisent le crime, pour pouvoir s'en rassasier sans «< avoir à redouter le glaive de la justice. Tous leurs ef« forts tendent à déshonorer aujourd'hui la plus belle des « causes, afin de soulever contre elle toutes les nations << amies de l'humanité. Citoyens de Paris, je vous le demande, ne démasquerez-vous jamais ces hommes per« vers, qui n'ont pour obtenir votre confiance d'autres <«< droits que la bassesse de leurs moyens et l'audace de << leurs prétentions? Citoyens! lorsque l'ennemi s'avance, « et qu'un homme, au lieu de vous inviter à prendre l'épée << pour le repousser, vous engage à égorger froidement «< des femmes ou des citoyens désarmés; celui-là est en« nemi de votre gloire, de votre bonheur: il vous trompe « pour vous perdre. Abjurez donc vos dissensions intes

«

tines; que votre profonde indignation pour le crime « encourage les hommes de bien à se montrer; faites ces« ser les proscriptions, et vous verrez aussitôt se réunir « à vous une foule de défenseurs de la liberté. >>

C'était déjà jeter le gant aux ordonnateurs des massacres. Cependant l'orateur girondin, s'il était revenu sur le passé, s'il eût scruté profondément son sentiment intime, ne se serait-il pas attribué à lui-même, à son parti, tous les maux dont présentement il s'indignait? Ne sont-ce pas les girondins qui, les premiers, ont provoqué ces passions désordonnées, qui les ont fait fermenter? Serait-ce donc à une déplorable destinée qu'il faudrait imputer tous ces malheurs, à l'instar de quelques-uns des historiens de nos jours ? N'est-ce pas aux hommes, à leurs passions, à l'action qu'ils exercent sur la société, qu'il faut en revenir toujours? Ce retour tardif aux opinions modérées, nous avons pu le remarquer dans la plupart des principaux acteurs du drame. Une partie de l'assemblée applaudit Ver. gniaud : il fut même invité à lui présenter un projet de proclamation. C'était la seule mesure que cette réunion des députés, naguère si fière, osât se permettre dans l'état de marasme où elle se trouvait réellement.

Si la sûreté et la vie des citoyens étaient moins menacées qu'au lendemain des massacres, le brigandage devenait de jour en jour plus audacieux. Le ministre de l'intérieur dénonça à l'assemblée tous ces désordres; l'assemblée se contenta d'applaudir ce rapport... Mais quant aux mesures décisives de la part de ce pouvoir censé suprême de l'État, de nature à refréner toutes ces énormités, il n'en fut pas même question : tout s'y passait en vaines paroles, en proclamations. Chaque jour de nouveaux pillages étaient signalés des inconnus, revêtus d'écharpes municipales, se présentaient, soit aux Tuileries, soit dans les différents hôtels désertés par leurs propriétaires;

ils en faisaient briser les portes, et s'emparaient des objets précieux qu'ils y trouvaient. — Enfin, le 20 septembre, l'assemblée, au moment de se séparer, crut devoir prendre, comme par acquit de conscience, des mesures soi-disant énergiques pour le rétablissement de la tranquillité publique et de l'obéissance aux lois, et rendit sans discussion un décret portant que le maintien de l'ordre devait être confié aux quarante-huit sections de la capitale, dont chacune devait armer une réserve de cent hommes à pied et douze cavaliers, pour veiller à la sûreté des personnes et des propriétés, en dehors du service ordinaire (1). Cette mesure tardive, venant d'une autorité qui était à la veille de se dissoudre, était de fait une lettre morte.

Les élections des députés de Paris, pour la nouvelle assemblée nationale (la Convention), avaient commencé le 2 septembre; ce fut sous l'influence immédiate des ordonnateurs des massacres qu'elles s'accomplirent. Robespierré, le plus servile courtisan de la multitude, fut élu le premier; puis Danton, Marat: s'il y avait eu la moindre liberté dans les élections, cet homme aurait-il été choisi? Tous les fauteurs des assassinats de septembre, BillaudVarennes, Fabre d'Églantine, Camille Desmoulins, d'autres, encore obscurs, furent élus. Le dernier fut le duc d'Orléans: il n'était plus ni duc, ni Orléans; la commune de Paris venait de lui conférer le surnom d'Égalité. Ce soi-disant chef de parti se voyait depuis longtemps complétement annulé. Il avait joué sa vie, son honneur, tout

(1) Burette, t. II, p. 329.

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