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aimant comme lui? Ah! c'est maintenant que nous pouvons comprendre combien Dieu est bon et sociable, puisqu'il nous a créés, lorsqu'il pouvait si facilement se passer de nous. N'avait-il pas l'éternelle société de son Fils et de son Saint-Esprit? Et cependant nous sommes, nous existons; Dieu nous a créés, il nous a créés sociables, il nous a mis en société les uns avec les autres; bien plus, il nous a mis en société avec lui-même, avec cette société intérieure, cachée, mystérieuse, infinie qui est en lui. Avant nous, elle était pour lui seul; depuis qu'il nous a créés et élevés par sa grâce à l'état surnaturel, elle est aussi pour nous.

Dieu seul est grand, Dieu seul est bon, Dieu seul est sociable; il l'est par lui-même, il l'est de toute éternité, il l'est sans bornes. C'est lui qui est la société éternelle et le type éternel de tous les êtres sociables. C'est parce que Dieu est bon que nous existons, c'est aussi parce qu'il est sociable que nous le sommes nous-mêmes, comme va nous le montrer le chapitre suivant.

CHAPITRE VIII.

C'est à raison seulement de leur ressemblance avec Dieu que les intelligences créées, les anges et les hommes, sont des êtres sociables.

Dieu seul est donc grand, Dieu seul est bon, Dieu seul est sociable par lui-même, et il l'est de toute éternité, car la société en lui est éternelle; il l'est infiniment, car la société en lui est infinie. En l'homme, au contraire, la société est très-imparfaite et ne date que d'hier; encore n'est-ce pas l'homme qui s'est fait lui-même, c'est Dieu qui l'a fait, qui lui a donné l'intelligence, la volonté, la bonté, le langage, la sociabilité; il en est de même pour les anges.

C'est donc Dieu qui a fait l'homme et la société humaine; mais où a-t-il pris le modèle de cette double création? En lui-même, et non ailleurs; car le modèle de l'intelligence, n'est-ce pas la souveraine intelligence? Le modèle de la bonté, n'est-ce pas la souveraine bonté ? Le modèle de la sociabilité, n'est-ce pas l'éternelle sociabilité?

C'est donc Dieu également qui est l'original de l'homme et de l'ange, leur modèle, et nul autre ne l'est hors de lui. Ce n'est pas seulement la raison qui le prouve, c'est aussi la foi, c'est Dieu lui-même qui nous l'apprend. « Faisons, dit-il, l'homme à notre image et à notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les bêtes et sur tous les reptiles qui se meuvent sur la terre. Dieu créa donc l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu. » (Genes., 1, 26-27.)

Voilà, si je puis parler ainsi, le premier extrait de naissance de l'homme; il vient de la propre main de son Créateur; il est donc authentique, et quelle créature en pourrait souhaiter un plus beau? Quant à l'ange, nous n'avons pas de témoignage semblable; l'homme n'existait pas quand Dieu faisait les anges, il ne pouvait donc recueillir ses paroles; mais les titres sont pareils, sinon supérieurs dans les anges, et montrer que Dieu est le modèle de l'homme, c'est montrer d'une manière surabondante qu'il est aussi celui de l'ange.

Revenons donc à ces paroles créatrices, les plus belles assurément qui aient jamais été prononcées touchant l'homme et sa grandeur. Que dit le Créateur au moment le plus solennel de son ouvrage, celui où il le contemple dans son esprit, avant de le réaliser au dehors? « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. » Et c'est, en effet, à cette image et à cette ressemblance de Dieu que l'homme est créé. « Et creavit Deus hominem ad imaginem suam; ad imaginem Dei creavit illum. » Il faut que Dieu ait eu bien à cœur de convaincre l'homme de cette ressemblance, car il l'énonce quatre fois en quelques mots. L'homme a-t-il donc tant de peine à se persuader une chose

qui peut-être lui paraît trop belle. On connaît le prover be: Trop beau pour être vrai, mais ici il n'en est pas ainsi. Il est vrai que le privilége est inouï; et si le néant pouvait aspirer à l'existence, quel néant eût jamais osé aspirer à la ressemblance avec Dieu? Mais ce que l'homme, encor e dans le néant, n'a pu ni souhaiter, ni même connaître, Dieu par une bonté toute gratuite, le lui a donné quand il l'a créé, car il l'a créé à son image.

Et il ne faut pas croire que l'homme n'ait été créé qu'à l'image d'une seule personne de la Sainte-Trinité, à l'image du Père, par exemple, ou du Fils, ou du Saint-Esprit seulement; il est tout ensemble à l'image des trois. Est-ce, en effet, une seule personne qui parle dans cette puissante parole: Faisons, ou les trois? Ce sont incontestablement les trois. << Faisons notre ressemblance, dit à ce sujet Tertullien, et faisons-la pour nous. Faciamus et Nostram et Nobis: car, poursuit-il, avec qui Dieu le Père faisait-il donc l'homme et à qui le faisait-il semblable? Avec le Fils, et au Fils qui devait un jour se faire homme, avec le Saint-Esprit et au Saint-Esprit qui devait le sanctifier.» « Cum quibus enim faciebat hominem, et quibus faciebat similem? Filio quidem qui erat induturus hominem, Spiritui vero qui erat sanctificaturus hominem. »

L'homme est donc d'abord l'image du Père, parce que le Père est principe, pouvoir; et comme image du Père, l'homme aussi est principe et pouvoir. Dieu l'a créé pour qu'il préside, et præsit. Son pouvoir ne s'étend d'abord que sur la nature inanimée, ou tout au plus sur les animaux. Mais bientôt il imite Dieu le Père de plus près, il deviendra lui-même père, principe d'autres hommes, et à titre de principe et de père il deviendra seigneur, roi. Il

représentera dans sa personne la grandeur, la puissance et jusqu'à la majesté de Dieu le Père. C'est cette image superbe du Père que la politique moderne veut transformer en image du peuple, c'est-à-dire en l'image de tout ce qu'il y a de plus informe, de plus tumultueux, de plus capricieux, de plus déréglé par soi-même; car pourquoi le peuple a-t-il tant besoin de gouvernement, sinon parce que de lui-même il n'est que désordre et confusion?

En second lieu, l'homme est l'image du Fils, parce qu'il est intelligence, lumière, raison, sagesse, conseil, et aussi parce qu'à l'exemple du Fils, il illumine les êtres inférieurs; il leur donne, pour ainsi dire, de la raison, de l'intelligence, de la sagesse, en les employant aux usages auxquels Dieu les a destinés, en les gouvernant et en les conduisant à leur fin. L'homme préside à l'univers entier, et il donne une voix, une langue, une âme à tout ce qui en est privé. « OEuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur. Louez-le et exaltez-le dans tous les siècles. » Benedicite, omnia opera Domini, Domino, laudate et superexaltate eum in sæcula. (Daniel.) Avant la création d'Adam, toutes ces œuvres étaient muettes; mais Adam une fois créé, ce concert unanime, ce cantique universel commence, et il dure encore, et il durera toujours, in sæcula.

Mais ce ne sont pas seulement les êtres inanimés, les brutes que l'homme illumine. A l'image du Fils, il illumine aussi d'autres intelligences. « Un fils sage, dit l'Écriture, est la sagesse et la doctrine même de son père. » Filius sapiens, doctrina patris. (Sap., XIII, 1.) De même, un peuple éclairé est la sagesse et la doctrine de son roi; l'Église est la doctrine de son pontife infaillible. L'homme, selon son rang, sa sagesse, sa science, éclaire, illumine une famille, un peuple,

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